Olta, la narratrice, grandit au sein de la République Populaire Socialiste d'Albanie, dans les années 1970. Enfant unique, elle partage sa vie entre son père, jeune homme riche et coureur de jupons et sa mère, femme perverse, d'une beauté fascinante.
Le pays communiste vit isolé du reste du monde, capitaliste, et vient de passer une alliance avec la Chine de Mao. Paranoïaque, le régime communiste fait vivre la population au rythme de la propagande de radio Tirana. le pays est persuadé que le monde entier l'envie et rêve de le détruire.
L'auteur semble faire un parallèle entre cette dictature sanguinaire et cette mère instable, obsédée par sa propre beauté et atteinte de délire de persécution. Les hommes sont dépeints comme imprévisibles et dangereux, à l'image de la police envoyant sous n'importe quel prétexte des prisonniers en camps de travail, des intellectuels riches pour la plupart.
Un ton enfantin et malicieux, naïf par jeu, permet de mettre à distance la tragédie pour faire transparaître la curiosité et l'instinct, la découverte du désir chez l'enfant. Sous la plume acide de l'auteure, la femme transparaît toujours sous l'enfant. Un livre que je qualifierais d'intéressant, foisonnant dans ces approches de la dictature, de l'enfance, des interdits et du conflit parental.
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La vie vue sous le regard délicieusement mordant la petite Olta, c'est un dur métier ; à la fois drôle et grave.
Servi par une écriture vive, facile à lire, voilà un roman que j'ai pris grand plaisir à découvrir.
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Drôle de livre... Je l'ai lu il y a deux mois et j'ai des difficultés a retrouver le fil de ce livre.
Pourtant, le début de cette lecture était très prometteuse et je dirais même réjouissante. Puis cela c'est dilué, l'histoire l'écriture la séduction sont tombés peu à peu.
Est-ce moi, est-ce le livre… Parfois c'est ainsi, on se lasse plus vite que de raison.
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Une image du vieux Japon surgit, fulgurante, celle d’un pauvre pêcheur tombé à la mer et trimballé par des vagues insolentes. L’océan se riait de l’homme et avait décidé de s’en moquer jusqu’au bout. L’histoire, que j’avais lue quelque temps plus tôt, se serait achevée là, pitoyablement, par sa mort, si ce n’est que tous les hommes, à l’image de mes parents, possèdent une âme de force à changer le cours du monde. En ce jour lointain, le destin de l’homme que l’océan avait pris pour chiffon faillit en être changé.
Sur la rive, un maçon repéra son semblable qui luttait sans espoir contre le monstre de la nature. Il vit ses forces s’affaiblir. L’océan allait avoir raison de sa frêle personne. Indifférent au danger, l’ouvrier courut vers les eaux troubles pour sauver le chiffon épuisé. Et voilà qu’au terme d’une longue bataille les deux hommes sortent vivants des eaux fâchées. Pendant un moment, ils reposent l’un à côté de l’autre, leurs poumons ont du mal à se remplir d’air. Certes, vivre est un dur métier.
Je ne connaîtrais plus le bonheur des nuits dans ce si bon lit, si fiable et tiède. Quelle invention magistrale, le modeste lit ! Je suis sûre que sa création – merveille sans pareille, trouvaille anonyme perdue dans la nuit des temps – est due au génie albanais ! Oh Dieu, Dieu, existes-tu ? Dieu, fais quelque chose, je suis en train de mourir ! Oh, Puçi, le chat du voisin, je ne le verrai jamais plus !
Une ombre austère, une odeur d’épouvante s’approcha de moi. Elle n’était guère différente des dessins que j’avais vus dans les livres. Sur son squelette flottait la toge noire, elle darda ses orbites vides sur mes yeux, déposant sa faux sur ma couverture. Elle semblait exaspérée. Bien sûr, dit-elle dans un souffle glacial, Bien sûr que je suis bien crevée, comment veux-tu qu’il en soit autrement ! Tu ne t’imagines pas combien de gens m’appellent, puis changent d’avis et se mettent comme toi à pleurnicher, Je ne veux plus mourir, mais je vous jure, Madame la Mort, que je voulais mourir, je ne plaisante pas ! Je voulais mourir de tout mon cœur, je voulais mourir véritablement, je n’en pouvais plus, mais, maintenant, maintenant, j’ai changé d’avis, ne m’emportez pas, s’il vous plaît ! Ils tremblent ces idiots ! Ils ont peur ! continuait la Mort assise sur mon lit. Comme si la Mort causait du mal ! Ils n’ont pas compris que c’est la vie qui est la cause de tout mal ! Prenons un exemple, tes parents veulent que toi, tu sois un génie, et toi, tu n’es pas un génie ma pauvre, tu es une fillette sans aucun intérêt, ainsi tu les déçois ! Tu m’appelles, et moi, vieille comme le monde, je viens jusqu’à toi, je prends la peine de venir jusqu’à toi ! Je ne sais pas si tu mesures cela ! Je te prends en considération, génie ou pas ! Tu comprends ? Est-ce que tu comprends cela au moins ? Moi, vieille comme je suis, je te prends en considération ! Mais la fillette, comme tant d’autres, change d’avis, et l’honorable Dame doit repartir !
Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer les exploits de nos génies par-delà les frontières. Les génies albanais ! Je songeais aux inventions à venir, autres que ce premier tracteur dont j’entendais célébrer les mérites chaque jour à la radio et au journal télévisé. Mais tant de vantardise commençait à me lasser.
Mes parents aussi avaient droit à une progéniture géniale, ils ne pouvaient faire exception sans se couvrir de honte. À moi de toucher le sommet. Pianiste surdouée, fille d’une intelligence et d’une honnêteté hors pair, et quand je serai grande – point d’une importance cruciale –, femme immaculée et ainsi de suite.
La perspective d’être grande m’était plus douce que celle d’être pianiste. Quant à mon père, rien ne pouvait lui faire plus plaisir, car chez nous c’est atavique, les jeunes couples rivalisent pour ne pondre que des génies.
Dans la plupart des cas, évidemment, c’est leur progéniture qui est la plus géniale. Quand les jeunes mariés se croisent dans la rue, ou lors d’une innocente visite le dimanche, après avoir échangé des gentillesses – Comment tu vas, Je vais bien, Comment tu vas, toi ? Je vais bien. Et toi ? Bien, bien, merci ! Et toi ? Comment tu vas ? Je vais bien merci ! Et vous, vous allez bien ? Pas mal, on fait aller comme on dit –, au bout d’un quart d’heure donc de révérences exquises, et une fois assurés que la santé est bonne, ils se passionnent pour leur propre descendance, les miracles qui la constituent et autres qualités ahurissantes.
Notre pays déborde de surdoués, qui, par un mystère jamais percé, ont choisi de voir le jour sur ce petit bout de terre qui est le nôtre.
Choisissant un pays fermé au reste du monde, ils demeureront sains, purs, face aux terribles infections dues à la société capitaliste, ainsi, ils deviendront des humains de la dimension la plus sublime qui soit.
Ces jours-ci, on ne cesse de se vanter d’avoir construit notre premier tracteur, par le seul génie albanais, sans aides étrangères, pas même celles des pays avec qui on collabore.
Je ne me souviens pas d’où je tenais l’information que les terribles pays capitalistes possédaient déjà des tracteurs, d’innombrables même, d’une puissance à la mesure de leur méchanceté, d’une beauté qui était celle du diable.