Cet ouvrage est un monument. Le romancier Georges WALTER le publia en 1998 et l'intitula fort honnêtement : "Enquête sur Edgar Allan Poe poète américain". Il mérite, à nos yeux, un très-très large lectorat...
Il s'agit du Fruit conséquent de plusieurs années d'un travail passionné et acharné : tout en épluchant à Richmond (Virginie) les archives commerciales/personnelles du père adoptif John Allan, l'auteur "paya de sa personne" par sa présence obstinée sur les divers lieux du Culte, un siècle et demi après la disparition du Géant...
Sans trop connaître l'Oeuvre immense de Poe, nous découvrons 620 pages denses d'une biographie admirablement contée, publiée - sans illustrations, ce qui ne nuit pas à l'ouvrage d'un prix très modique [13 €] - aux éditions Phébus (collection "Libretto").
Notre amie Woland lui a dressé ici un piédestal en 2007 et je ne rendrai jamais assez grâce à son article qui m'amena, moi aussi, un jour au pied de la statue du "Virginien", par le truchement de ce Monument d'empathie savante de Monsieur WALTER. [*]
L'imbécillité de l' "ami" exécuteur testamentaire (premier éditeur, charognard et Père-la-Morale) "révérend" Rufus Wilmot Griswold, les naiseries psychanalysantes & hilarantes de Marie Bonaparte, l'alcoolodépendance de l'artiste [Edgar Allan POE, 1809-1849] poursuivi par la dèche, de Boston à Baltimore, en passant par Richmond, Charlottesville, Boston, New-York, Philadelphie et Baltimore, n'y changeront plus jamais rien : l'intransigeant orphelin a mené - malgré tous les obstacles - une carrière épatante de critique, poète, essayiste, "nouvelliste" et romancier (le seul achevé fut le fameux et alors méprisé "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket" qui vit le jour en 1838...).
Un pourfendeur donquichotesque des "cliques" complaisantes et mafiosesques de la Critique de son temps (de New-York à Boston, on défend les ouvrages des "amis" et la respectabilité de ceux-ci, évidemment "sans taches au gilet")... et il paiera fort cher son outrecuidance ! Pauvre et "alcoolique" et encore... donneur de leçons de Littérature ! "Alors non, ça ne se passera pas comme ça ! " D'où ces démolitions-de-l'homme-par-la-Rumeur... ces prévisibles petites vengeance[s] & autres sournoiseries qui vous tueront à petit feu un homme déjà fort éprouvé par l'existence...
Aumônes éditoriales, inexistence du moindre des Droits d'auteur et joyeuse piraterie de toute la Littérature anglaise dans le (pas si) "Nouveau Monde"... Quelle époque de p...tains & flibustiers chez ces héritiers du Puritanisme !
Il fut le bel inventeur (scientifique) du Post-Gothique "poesque" en mille pièces de puzzle d'amours brèves et de morts précoces : de "Metzengerstein", "Manuscrit trouvé dans une bouteille", "Bérénice", "Morella", "Le Roi Peste", "Ombre", "Ligeia", "La chute de la Maison Usher", "Double assassinat dans la Rue Morgue", "Eléonora", "Le Portrait ovale", "Le Masque de la Mort Rouge", "William Wilson", "Le Jardin Paysage", "Le Mystère de Marie Roget", "Le puits et le pendule", "Le coeur révélateur", "Le Scarabée d'or", "Le Chat noir", "L'enterrement prématuré", "Révélation magnétique", "L'Ange du Bizarre", "La lettre volée", "Petite discussion avec une momie", "La vérité sur le cas de Monsieur Valdémar", "Le Domaine d'Arnheim", jusqu'à son inachevé "Le Phare"...
L'essayiste de "L'art du conte", "Le principe poétique" et, enfin, d' "Eureka"...
Le poète de "Tamerlan", "Stances à Hélène", "The Raven" ["Le Corbeau"] et du doux souvenir d' "Annabel Lee"...
La vénération des contes et récits de l'autre pionnier de la Littérature du Nouveau-Monde, son frère de rêves et son exigeant contemporain Nathaniel HAWTHORNE [1804-1864], père de "La Lettre écarlate" qui fleurit l'année 1850...
Sa voix de conteur toujours singulière, son ton inimitable, sa culture et son érudition immenses...
Bref, l'inadapté parfait.
"L'Oncle d'Amérique" (ainsi qualifié par Julien GRACQ dans l'un de ses ouvrages critiques) que fut Poe en sa trajectoire météoritique ABSOLUMENT singulière et solitaire... avait la dent dure et argumentait fort méchamment : on retrouve chez lui la constante de cette dénonciation (passablement violente et inattendue par eux) des moeurs de "gentlemen" ne se préoccupant alors ABSOLUMENT PAS d'art littéraire mais bien de commerce et de "renvois d'ascenseur" avant la Lettre - comme une préfiguration du pamphlet "La littérature à l'estomac" [1950] que fit paraître le jeune GRACQ à l'âge de 40 ans (l'âge de la mort du poète).
Monsieur GRACQ conclut d'ailleurs l'ouvrage-somme de WALTER par une somptueuse lettre manuscrite du 28 février 1991 : autre grand moment du livre (déjà fort de ses XVII chapitres, ses notes passionnantes, son index)... où l'auteur de "En lisant en écrivant" [1980] parle avec éloquence de son admiration pour cette biographie où le romancier a su se mettre dans la peau du très aristocratique Auguste Dupin de "Double assassinat dans la Rue Morgue" (que la traduction de Charles BAUDELAIRE nous rendit inoubliable)...
Derrière l'icône, l'homme obstiné : vous trouverez ici son émouvant, très sensible et très mouvant portrait - pour ainsi dire "SCIENTIFIQUEMENT EXACT" (jusqu'à voir les flous du daguerréotype tardif s'animer peu à peu sous nos yeux) !
Allons, lâchons bien vite "nos" chers Foenkinos, Gavalda, Nothomb, [...] et autres "Nouveautés (?) Amuse-Néant" [*] pour nous ruer en masse sur cette magnifique enquête biographique dont la précision et l'intérêt valent largement celles du "Simenon" et du "Hergé" de Pierre ASSOULINE...
[*] ... 3 seules critiques babéliennes de cet ouvrage en 14 années [!!!] sur notre Media "intelligent" favori... face à une moyenne de 15.000 textes (j'exagère à peine...) par "new-nouillerie" - je parle bien sûr de ces pénibles "Nouveautés" autoproclamées, tombant automatiquement dans La Gamelle et aussitôt avidement commentées ("Ah moi-z'ai aimé, pas toi ? Pareil... Allé-zou dans ma PAL !")... :-)
"Tu vois, (cher Eddy...) rien n'a vraiment changé depuis que tu nous as quittés... " [Cf. le très douloureux mais très jazzy "Pauvre Boris..." de Jean FERRAT]
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