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EAN : 9782234062061
697 pages
(30/11/-1)
4.36/5   11 notes
Résumé :
Juin 1804. Un salon allemand, une promenade vers la rive du Rhin, paysage baigné d'une lumière pastel. Quelques heures durant lesquelles sont réunis Clemens, Brentano, Bettina von Arnim, Savigny et d'autres figures de l'intelligentsia allemande de l'époque. Dont Caroline von Günderrode et Heinrich von Kleist. Le récit évoque la rencontre imaginaire de ces deux écorchés vifs, confrontés à une existence où, pour le bonheur, la création, la liberté, il n'est "aucun lie... >Voir plus
Que lire après Aucun lieu, Nulle part : Et neuf autres récits (1965-1989)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le sujet était éminemment intéressant. Raconter une rencontre imaginaire entre deux grands poètes allemands de l'époque Romantique, Heinrich von Kleist et Caroline von Günderrode, et pour le lecteur, l'occasion de s'immerger dans la tête de ces deux écorchés vifs, avoir la possibilité d'appréhender leurs univers, leur détresse, leur incapacité à vivre dans le monde des hommes.
Le programme était alléchant et semblait plus que prometteur d'autant que la causerie était imaginée par Christa Wolf (1929 – 2011), l'une des grandes dames de la littérature Est-allemande, une romancière qui ne voulut jamais quitter la RDA, qui fut longtemps surveillée par la STASI et qui, après la chute du mur de Berlin, dut subir une affreuse campagne de dénigrement.

On a affaire à un texte très court, un peu plus d'une centaine de pages ; l'unité de lieu et de temps, comme au théâtre, réduite au maximum : un salon bourgeois allemand au début du XIXème siècle où sont réunis quelques intellectuels de haut rang dont Kleist qui sort d'une grave période de dépression et la belle Günderrode dont le caractère ombrageux et indépendant fait des étincelles…Au fil de l'après-midi puis au gré d'une promenade le long du Rhin, les deux poètes sont amenés à discuter, partageant ainsi leur certitude désespérée que « pour le bonheur, la création, la liberté, il n'y a aucun lieu, nulle part ».

Dans la réalité, ces deux-là, pourtant contemporains et relativement du même âge, ne se sont jamais rencontrés.
Christa Wolf a eu la brillante idée de croiser leur destin et, en exposant ainsi leur angoisse existentielle, en dévoilant toutes leurs similitudes de pensées, la romancière découvre à quel degré d'intensité les deux personnes se ressemblent, comme si, se regardant dans un miroir, ce n'est non pas leur propre reflet qui eut été projeté mais bel et bien la réflexion de l'autre, le pendant masculin et/ou féminin de leur personnalité fiévreuse. L'écho de leur voix intérieure s'accordera par ailleurs jusque dans la mort puisqu'ils se suicideront peu après à quelques années d'intervalle.

D'où vient alors cette impression irrépressible d'un texte qui s'éternise, qui semble long et imprime un sentiment de lancinance qui pourrait être facilement qualifié d'ennui ?
Il est avant tout mal aisé de pénétrer l'esprit tourmenté et confus des deux principaux personnages. La cause en est principalement à l'écriture décousue de l'auteur qui passe sans transition de l'un à l'autre des protagonistes, d'un monologue intérieur à une parole émise à haute voix, d'un échange verbal à une pensée intime, si bien que l'on se demande souvent qui parle de l'un ou de l'autre des êtres en présence, si même la parole a été échangée ou seulement forgée dans les replis de la conscience, et si elle a été dite, à qui a-t-elle été adressée dans ce salon où interviennent aussi Bettina Brentano, Savigny, Clemens ou le conseiller Wedekind?
Cela crée une confusion, un enchevêtrement de paroles, un bouillonnement de pensées dans une construction « fouillis», un embrouillamini de choses dites ou méditées donnant l'impression d'être aux prises avec des orties de mots.
Si ce désordre reflète parfaitement le jaillissement intérieur, la source tumultueuse, la riche vie intime des deux poètes, l'ensemble provoque un sentiment d'étouffement et une difficulté de compréhension qui rendent la lecture fastidieuse voire lassante.

Kleist et Günderrode sont accablés par quelque chose qui nous reste finalement assez étranger.
Le mal-être qu'ils éprouvent et qui les ronge vient pour beaucoup de la croyance inflexible qu'ils ont de leur propre supériorité et qui débouche sur l'intime conviction qu'il est impossible de concilier vie sociale et activité artistique.
Impression que leur tourment, leur incapacité viscérale d'adaptation au monde environnant, leur souffrance extrême, semblent outranciers et abusifs. Des êtres sur-jouant leur malheur, s'y complaisant presque, et qui, finalement, nous laissent de marbre.
Si la passion excessive, les sentiments exacerbés sont des caractéristiques dominantes du courant Romantique, l'on reste malheureusement en dehors de leur affliction et aucun des deux ne nous transmet cette empathie que l'on se devrait de ressentir face à de tels êtres en détresse.

Malgré la brièveté du récit, demeure alors la sensation malheureuse de tirer au flanc et de ne pas avancer dans sa lecture. S'accrocher pourtant, car l'écriture recèle de belles trouvailles, des phrases intéressantes, lumineuses parfois et propices à la réflexion par ce qu'elles nous révèlent des pensées tumultueuses des deux poètes mais aussi par l'écho qu'elles renvoient dans la propre existence de Christa Wolf et la difficulté d'écrire dans un pays dictatorial.
Et malgré tout, ce sentiment de déception ressenti devant le constat désopilant d'un rendez-vous manqué…Dommage…
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[…] Une nuit, c’était sur ce trajet honteux du retour, en revenant des côtes françaises, lorsque même la perspective de la mort s’était volatilisée, Kleist traversait une contrée de basses collines. Il était près de minuit et, en dépit de la fatigue, ses sens étaient tout à fait en éveil. Chaque fois qu’il redescendait une pente, il avait les collines autour de lui, comme les dos de grands animaux chauds, il les voyait respirer, s’arrêtait pour sentir battre le cœur de la terre sous la plante des ses pieds, et il rassemblait ses forces pour tenir bon devant le spectacle du ciel, car les étoiles n’étaient pas ces lumières qu’il avait l’habitude de voir, mais de terribles corps scintillants qui menaçaient de fondre sur lui. Il eut un instant d’égarement, sans capituler pour autant, et il courut un long moment avant d’apercevoir enfin, à main droite, les lumières matinales d’un village ; il frappa à une porte, une femme lui ouvrit, dont le visage éclairé par la chandelle lui sembla beau, elle le fit entrer, lui avançant sans rien dire une jatte de lait sur la table en bois brut et lui indiqua un lit de paille. Il s’y allongea, venant de faire l’expérience physique de la liberté, sans que ce mot même lui fût venu un seul instant à l’esprit. Une limite lui était donnée, qu’il devait essayer d’atteindre, la promesse qu’en tout être humain, et en lui également donc, existe un chemin qui mène à l’espace de la liberté ; car ce que nous pouvons désirer doit bien être à la mesure de nos forces, pensa-t-il, ou alors ce n’est pas un dieu, mais Satan qui gouverne le monde, et dans une de ses folles lubies il a crée un monstre condamné à hisser, à la sueur de son front, son propre malheur attaché à une chaîne de sorcière, plongeant dans le ventre des temps. […]
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Les poèmes sont un baume sur ce qui ne peut être apaisé dans la vie.
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Videos de Christa Wolf (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Christa Wolf
Christa Wolf (1929-2011), dans le puits du temps : Une vie, une œuvre (2013 / France Culture). Production : Matthieu Garrigou-Lagrange. Par Christine Lecerf. Réalisation : Charlotte Roux. Diffusion sur France Culture le 9 novembre 2013. Photographie : Christa Wolf im Jahr 1971. (dpa / picture alliance). Née en 1929, en Prusse orientale, aujourd’hui territoire polonais, Christa Wolf est précipitée dès l’origine dans le paysage tourmenté de l’histoire allemande. Comme beaucoup d’enfants, elle s’enthousiasme pour le Führer. Comme beaucoup d’adolescents, elle participe avec fierté à la naissance de la nouvelle Allemagne de l’Est. Et comme bon nombre d’intellectuels antifascistes qui croient à l’idéal socialiste, elle s’engage au parti communiste dès 1949. Mais Christa Wolf n’est pas tout à fait comme tout le monde. Elle écrit : sur la déchirure de l’Allemagne dans “Le ciel partagé” (1963), sur ses propres dénis dans “Trame d’enfance” (1976). Elle creuse l’oubli, rumine un passé qui ne passe pas. À partir de 1976, à la suite de son soutien au chanteur Wolf Biermann, Christa Wolf n’est plus une femme libre. La Stasi l’espionne. On refuse qu’elle quitte le parti. Plus on cherche à la museler et plus l’écrivaine s’échappe par l’écriture dans les strates du temps. Elle trouve refuge auprès des premiers romantiques allemands qui, comme elle, n’avaient “Aucun lieu. Nulle part” (1979). Dans “Cassandre” (1983) ou “Médée” (1996), elle s’inspire de ces « femmes sauvages » de la mythologie grecque qui avancent comme elle, tête haute, la parole vibrante. On se presse à ses lectures. On rêve l’esprit éveillé. Peu après la chute du mur, l’icône de la littérature est-allemande est injustement accusée d’avoir travaillé pour la Stasi. Dans “Ce qui reste”, elle écrit : « N’aie pas peur, dans cette langue, que j’ai dans l’oreille, pas encore sur les lèvres, j’en parlerai aussi un jour. » Brisée mais non vaincue, Christa Wolf entreprend alors dans “Ville des anges” (2011) une lente et ultime descente au « fond du puits ». Le corps perpétuellement en alerte, Christa Wolf luttait depuis des années contre la maladie. Elle est morte à l’âge de 82 ans.
Avec : Jana Simon, journaliste, petite-fille de Christa Wolf Nicole Bary, traductrice et éditrice de la revue “LITERALL” Pierre Bergounioux, écrivain Günter Grass, écrivain (Archives) Marie Goudot, auteur de “Cassandre” Alain et Renate Lance, traducteurs de l’œuvre de Christa Wolf Erika Tunner, germaniste, spécialiste du romantisme Irving Wohlfarth, germaniste
Et la voix de Christa Wolf
Textes lus par Blandine Molinier et Aurélia Petit. Avec la voix de Jean-François Néollier.
Extraits de films : “Le ciel divisé”, de Konrad Wolf, adaptation de Christa et Gerhard Wolf, DEFA, 1964 “Le tambour”, de Volker Schlöndorff, 1979 “Christa Wolf. Ein Tag, ein Jahr, ein Leben”, de Gabriele Denecke et Gabriele Conrad, ARTE, 2004
Source : France Culture
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