C'est le premier roman de
Sarit Yishai-Levi et c'est un petit bijou à consommer sans modération, c'est d'ailleurs ce que j'ai fait et ce ne sont pas les 693 pages qui m'ont effrayée, bien au contraire, j'aurais aimé que l'histoire dure encore tellement je m'y sentais bien.
Gabriela vient de perdre Luna, sa mère, avec qui les relations étaient très conflictuelles, elles se disputaient sans cesse et parfois violemment. Gabriela cherche à comprendre pourquoi elles en sont arrivées là et veut lever certains points d'ombre concernant ses parents et la famille en général. C'est Rosa, sa grand-mère paternelle qui va commencer à l'éclairer et lui raconter la vie de la famille Ermoza, une famille juive sépharade d'origine Espagnole où les femmes de la lignée semblent avoir été frappées d'une malédiction : leurs maris ne les aiment pas !
L'histoire débute avec Rafael et Merkada, un mariage par dépit parce que Rafael est tombé amoureux d'une juive Ashkénaze qu'il a croisée dans les ruelles de Safed, il sait que l'union est impossible, il doit l'oublier mais il ne le pourra jamais. Il construit néanmoins sa vie avec son épouse, il la respecte mais il n'y a pas d'amour, elle lui donne des enfants dont Gabriel, qui travaille avec son père dans le commerce du marché de Mahane Yehuda à Jérusalem. Leur commerce est prospère, ils vivent chichement.
Gabriel est un beau jeune homme, mais l'histoire semble se répéter et la malédiction avec, voilà qu'un matin il est attiré par une jeune femme qui se promène sur le marché avec sa mère et s'arrête devant la boutique. Leurs regards se croisent et c'est le coup de foudre. Gabriel est comme envouté et n'écoute personne, elle s'appelle Rohel, c'est la fille de l'Ashkénaze dont Rafael était tombé follement amoureux plusieurs années auparavant, mais Gabriel ne le sait pas. Son père par contre s'en souvient parfaitement et Merkada qui a fini par comprendre elle aussi fera tout pour que Gabriel n'épouse pas Rohel.
Gabriel tient bon, il partira avec Rohel mais un évènement l'oblige à ne pas poursuivre son projet de mariage et sa mère en profite pour l'unir à Rosa, une jeune orpheline qui fait le ménage chez les anglais, qui n'est pas de la même condition sociale, qui n'est pas cultivée et qui ne peut même pas se targuer d'être belle, il ne l'aimera jamais. Ils auront trois filles, dont Luna, la maman de Gabriela qui sera surnommée «
La belle de Jérusalem » parce qu'elle est d'une beauté particulière et qu'elle fait tourner toutes les têtes masculines.
Mais Luna, malgré sa beauté légendaire, sa joie de vivre, son audace et son caractère bien trempé est-elle aussi frappée par la malédiction, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Si elle est très amoureuse de David et croit en leur bonheur et la force de leur amour, lui en aime une autre. Elle s'appelle Isabella, elle est Italienne, il l'a rencontrée dans les années 1940, en Italie, alors qu'il combattait pour la brigade juive de l'armée Britannique. C'est l'amour fou, mais quand il doit quitter le pays, il la laisse à regret, il ne peut pas l'emmener, elle est catholique, sa famille n'acceptera pas. Il a le coeur brisé et se promet de fonder un foyer juif dès son retour afin de l'oublier. Il se consumera d'amour pour elle et même la beauté de Luna n'arrivera pas à lui faire oublier Isabella.
L'auteure nous embarque dans l'histoire d'Israël, sous domination Turque, puis sous mandat Britannique à partir de 1920, la déclaration de l'Etat en 1947, la guerre avec les arabes en 1948, le siège de Jérusalem, les différents groupes de défense, la Haganah, le Lehi, et l'Etzel (Irgoun). C'est très intéressant et enrichissant.
On se promène dans les rues de Jérusalem, le marché de Mahane Yehuda, le quartier Ohel Moshé, l'avenue Ben Yehouda, avec les senteurs épicées, les vieilles pierres, la chaleur et le brouhaha de la ville, c'est délicieux surtout quand on connaît ces endroits et qu'on a foulé les mêmes lieux.
Petit à petit, les secrets de cette famille se dévoilent, on s'attache très vite aux personnages et j'ai beaucoup d'empathie pour Rosa qui a trop souvent été mise de côté malgré toute sa bonne volonté. Elle pensait avoir une merveilleuse vie auprès de Gabriel qu'elle aimait sincèrement. Elle n'a vécu que pour les autres, son mari, ses filles, son frère, sans jamais penser à elle.
Luna m'agace profondément, même si elle a des circonstances atténuantes, parce qu'elle a, elle aussi, eu sa part de malheurs, elle a un comportement exécrable et inacceptable avec sa mère Rosa, elle est capricieuse, a un petit côté manipulateur, pas toujours tendre avec ses soeurs, la beauté n'autorise pas tout !
Que dire de Merkada qui a totalement pourri la vie de Gabriel en lui arrangeant son mariage avec Rosa, partant, ensuite, vivre à Tel-Aviv, ne voulant plus le voir ni lui pardonner certains évènements. J'ai détesté son attitude intransigeante, elle savait qu'elle briserait le coeur de son fils, et celui de sa future belle fille en parallèle, mais elle s'en fichait totalement !
Enfin, Gabriela n'est pas en reste ! elle a, quelque part, reproduit ce que sa mère Luna faisait à sa grand-mère Rosa. Les rapports avec sa mère étaient très compliqués, trop de distance entre elles, de la colère, du ressentiment, des non-dits, peu de sentiments. Elle était chérie par David, son père, elle en a fait voir de toutes les couleurs à sa mère, étant bien plus proche de ses tantes, Rahelika et Beki mais est-elle totalement responsable de cet éloignement, de ce manque de chaleur entre sa mère et elle ? là encore, des révélations me feront revoir mon jugement eu égard à Gabriela.
Toute cette histoire familiale est très agréable à lire, même si elle est bouleversante, on découvre le poids de la religion et des coutumes qui dictent la vie, ce qui est encore parfois le cas dans certaines familles juives aujourd'hui. On est ébranlé par les non-dits, le chagrin des femmes mal aimées, les sacrifices et leur courage de tout affronter et de continuer. Quand les secrets tombent, on comprend mieux certaines attitudes, on a de la tristesse, on se dit quel gâchis !
La question que je me pose est la suivante : Peut-on véritablement en vouloir aux hommes de cette famille qui, finalement, ont eux aussi été malheureux à cause des mariages arrangés. Ces hommes n'ont pas osé affronter et s'affirmer, ils ont eux aussi été punis à cause de la religion et des traditions.
Ce roman est un EnOrme coup de coeur, j'ai adoré suivre la vie de cette famille, j'ai vibré avec eux, aimé avec eux, pleuré avec eux, souffert avec eux. J'ai refermé le livre à regret, je serais bien repartie pour 600 pages supplémentaires, c'est vraiment une sublime découverte.
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