Merci aux éditions Seuil et à Babelio pour ce partenariat.
Reprendre un héros bien connu semble être devenu fréquent, surtout s'il est détective. Sherlock Holmes, Hercule Poirot y ont eu droit. Aujourd'hui, c'est au tour de Pepe Carvalho, sous la plume de Carlos Zenon, après avoir eu les honneurs d'une adaptation récente en bande dessinée. J'ai lu moi-même une demi-douzaine d'enquêtes originales de Pepe – parce qu'elles ne sont pas faciles à trouver, et parce que l'impulsion m'avait été donnée à la lecture, voici plus de vingt ans, d'une interview de
Manuel Vasquez Montalban dans Point de vue – à quoi tient une découverte littéraire.
Verdict ? J'ai aimé, tout d'abord, le point de vue adopté par
Carlos Zanon : faire de Pepe Carvalho un véritable détective, devenu héros de papier par la grâce d'un Ecrivain qu'il a rencontré, et qui aujourd'hui n'est plus. Cela ne l'empêche pas d'évoquer les enquêtes dont il a parlé avec lui, de se souvenir de certains personnages, puisqu'il a engagé la petite-fille de l'un d'entre eux. Biscuter est là, lui aussi, pas tout le temps, suffisamment pour se faire rabrouer régulièrement par Pepe.
Il faut dire que tout fout le camp, comme l'indique le titre. le corps, d'abord. Pepe souffre, et fuit le médecin, même s'il ne digère plus rien, même s'il ne parvient guère à garder un peu de nourriture solide dans son corps. Il ne veut surtout pas savoir. le coeur, ensuite. Charo n'est plus là, et Pepe ne fait rien pour renouer – non, pas leur histoire d'amour, renouer le contact, tout simplement. Il vit une histoire d'amour et de souffrance avec une femme mariée à un homme puissant, une femme qui souffre, dit-elle, par son mari, et ne fait rien pour mettre fin à cette histoire, une femme qui joue aussi avec Pepe, le fait attendre, promet, et lui seul sait qu'elle ne tiendra pas ses promesses. L'esprit aussi : la Catalogne est en ébullition, veut son indépendance, et Pepe, qui en a vu plus que tout autre, ne croit plus en rien, et surtout pas en cette séparation avec l'Espagne. Même si le catalan est la langue commune de bien des personnages, la langue des poésies lues aussi, la langue que l'on croise au détour d'une page, le castillan reste la langue principale du récit – comme une impossible séparation. Pepe, Biscuter, restent bien ancrés dans notre temps, leur temps, au point que Biscuter a postulé et a été retenu pour un concours de cuisine télévisé, un de ceux où l'on cherche des profils atypiques et où l'on humilie les candidats jusqu'à les amener – ou pas – jusqu'en finale.
Je vous rassure : Pepe est toujours détective. Il enquête toujours, et nous en voyons passer, des enquêtes, quotidiennement. Il a aussi des enquêtes au long cours, comme celles qui forment le noeud du récit. Nous avons des prostituées qui ont disparu. Banal, courant. Des prostituées qui font des passes à 6 € dans un lieu bien connu. Des prostituées dont on retrouve les cadavres enterrés dans la montagne, corps retrouvés et pas forcément identifiés à la suite d'un glissement de terrains. Il faut arrêter le tueur, que tout le monde semble connaître, mais contre lequel personne n'a suffisamment de preuves pour le mettre hors d'état de nuire. Il est celle, aussi, qui croit encore, comme la mère de Ninata, qui se raccroche au moindre espoir, qui ne veut surtout pas croire, et tant pis pour les vêtements et l'Adn, et tant pis pour l'espoir qui lui a été instillé – pas par Pepe, il n'est pas cruel.
Il est aussi un vendeur à la sauvette qui a été jeté, balancé, par des policiers municipaux, lui qui croyait trouver la liberté n'a trouvé que la mort. le responsable est en prison, et cela tombe presque bien, parce qu'il pourrait, sinon, être impliqué dans un double meurtre, celui d'une grand-mère et de la plus jeune de ses petites filles. Peut-être l'est-il quand même, après tout, tant la situation semble complexe, tant certains préfèrent se taire, alors que d'autres jettent de l'huile sur le feu. Pour quelle raison ? Pourquoi accabler la soeur survivante, Amélia ? Débrouiller les fils d'une intrigue complexe n'est pas pour effrayer Pepe, il craint simplement, et constamment, de ne pouvoir sauver ce qui ne peut être sauvé. Ce n'est pas vraiment de l'espoir, c'est plutôt de la lucidité.
Et pourtant, de l'espoir, il y en aura, à la fin du récit. Pepe est toujours là, heureusement.
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