Zemmour Eric – "
Le suicide français" - Albin Michel, 2014 (ISBN 978-2226254757) - 544 pages
Un pavé de 544 pages, arborant le bandeau : "Les 40 années qui ont défait la France".
Une fois n'est pas coutume, j'ai acheté ce livre pour trois raisons inhabituelles dans mes choix : d'abord il s'agit d'un essai politique polémique, ensuite il fait l'objet d'un battage médiatique si virulent et haineux de la part de la bien-pensance que cela justifie d'aller y voir par soi-même, enfin il connaît une diffusion de masse avec près de 300.000 exemplaires vendus en quelques semaines après sa parution le 15 octobre 2014.
Avant cet esclandre, je ne savais même pas qui était
Eric Zemmour, je ne suis même pas certain d'avoir jamais entendu son nom puisque nous vivons à l'abri des absolues nuisances que sont la télévision et la radio.
Oserai-je l'avouer, je n'ai franchement pas été déçu, je l'ai dévoré en quelques soirées !
- Primo, le style est enlevé, drôle, féroce, alerte, j'oserais presque évoquer le si brillant et non moins fielleux duc de
Saint-Simon.
- Secundo, la méthode est plaisante : à partir de l'année 1970, l'auteur enchaîne ses chroniques, année par année, en sélectionnant pour chaque année deux ou trois évènements qu'il juge être des clés de compréhension de ses observations politiques ; le choix des évènements ainsi évoqués est varié, il peut s'agir aussi bien d'une chanson de variété, d'un film à succès, d'une loi, que d'un match de foot, un débat télévisé ou un sketch de
Coluche.
- Tertio, chaque évènement retenu fait l'objet d'une re-contextualisation historique et politique plus vaste, attestant une connaissance approfondie des mécanismes politiques en oeuvre dans notre doulce France.
Lors de cette première lecture, j'ai retenu trois thèmes principaux.
Tout d'abord, la déculturation des élites françaises mondialisées et décervelées à la sauce Science-Po-ENA-bobo (ça, je le vois et le vis concrètement et quotidiennement dans le cadre de mes activités en région parisienne) menant à la négation de l'héritage culturel de notre pays, à la haine du petit peuple, lequel se venge par la dé-crédibilisation de ces élites (thème cher au FN, mais pas seulement).
Ensuite, la transformation de la construction européenne (qui suscita tant et tant d'espoir dans nos générations d'après-guerre) en une gigantesque machinerie bureaucratique dans laquelle les pays se noient.
Enfin, l'avènement d'une caste dirigeante individualiste standardisée, arriviste, féroce, écrasant et reniant tout sur son passage, totalement coupée des réalités du bon peuple, quelle que soit son appartenance politique (une réalité que le FN exploite à fond).
Je retiens également trois faiblesses.
Premièrement : la destruction du genre masculin et – surtout – du rôle du père, me semble incomplètement traitée.
Deuxièmement, le rôle spécifique de la communauté juive (dont l'auteur est issu) fait l'objet de développements dont je suis bien incapable d'évaluer la pertinence (le régime de Vichy a-t-il sacrifié les juifs étrangers pour sauver les juifs français ?).
Troisièmement, la plus grosse faiblesse de l'ouvrage réside cependant dans l'absence totale de proposition ouvrant des perspectives, mais reconnaissons que ce n'est pas son objet.
Quelques passages particulièrement réussis à mes yeux : les années immédiatement consécutives à mai-68, l'emprise grandissante de la bien-pensance « de gôôôche » boboïsée, qui formate la vie culturelle du pays depuis quarante ans, la mondialisation-standardisation broyant le populo de tous les pays sur son passage. Reste surtout l'impression de lire enfin quelque chose de différent du sempiternel et uniforme prêchi-prêcha copieusement dispensé par la nomenklatura cultureuse et journaleuse standard, quel que soit son bord politique.
Cela fait déjà quelques années qu'en France, certains intellectuels (Gauchet,
Finkielkraut etc) osent émettre des idées, poser des questions ou avancer des opinions en rupture avec le terrorisme intellectuel imposé par la gauche caviar bon chic bon genre, laquelle se bornait jusqu'à présent à user de son contrôle fort étendu sur les moyens de communication pour prodiguer des fatwas d'excommunication en assimilant toute question dérangeante au fascisme ou à l'extrême-droite. Ce qui est peut-être nouveau, avec le succès du livre de Zemmour, c'est de voir ces questionnements percer auprès du grand public qui n'a plus peur des anathèmes lancés par les ayatollahs de la bien-pensance. C'est plutôt réjouissant, même si c'est encore très embryonnaire, très imparfait et très superficiel.
Un style vociférant manié avec un art consommé de la polémique, une lecture stimulante s'il en est, et souvent rigolote… Que demander de plus à un essai ?
Ceci étant, j'ai jeté un oeil aux autres livres publiés par ce Zemmour, ça m'a paru plutôt rasoir et répétitif… Celui-ci constituerait-il une exception ?
Sauf erreur de ma part, à ce jour, seules deux personnes ont joint leurs efforts pour formuler une réponse au livre de Zemmour, il conviendrait donc de lire le «Contre Zemmour : réponse au suicide français» publié par Mamère et Farbiaz : pour ma part, ceci excède le temps et l'intérêt que je puis éprouver pour ce type d'essais.