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EAN : 9782226195937
240 pages
Albin Michel (03/03/2010)
3.74/5   160 notes
Résumé :
Je suis de la génération qui a fêté ses dix ans avec le génocide rwandais, je suis de la génération qui a perdu Bertrand Cantat et découvert la Lituanie par la même occasion, je suis de la génération qui n’aura plus de pétrole alors qu’elle commence à peine à s’amuser avec les low-cost, je suis de la génération qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde."

Aujourd’hui Alice se marie avec Mad. Mad est malien. Ils sont les meilleurs amis du mond... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
3,74

sur 160 notes
"Je suis de la génération qui vivra plus mal que ses parents, je suis de la génération qui n'est pas née avec Internet mais qui a grandi avec lui, a atteint la maturité avec lui, j'ai un lien si tendre avec lui."

Voilà la première phrase que peut lire le lecteur en ouvrant cet ouvrage et puisque je suis également de cette génération-là étant donné que j'ai deux ans d'écart avec l'auteure, je me suis sentie complètement imprégnée dès les premières pages du livre. J'ai eu la chance de rencontrer Alice Zeniter lors d'une rencontre-dédicace de son dernier roman "Sombre dimanche" il y a seulement quelques jours et c'est à cette occasion-là que je lui ai acheté cet ouvrage-là étant donné que j'ai déjà lu celui pour lequel elle était venu. Je l'ai trouvé tout de suite très simple et sympathique, ce qui n'a que conforté dans l'idée que j'avais envie de découvrir ses autres publications. Malheureusement, son tout premier roman, qu'elle a écrit à l'âge de seize ans, est aujourd'hui épuisé mais je ne désepère pas de pouvoir le trouver un jour !

Pour en revenir au roman dont je parle ici, "Jusque dans nos bras", il s'agit d'une magnifique histoire -non pas d'amour- mais d'amitié. Une amitié qui est plus forte que tout et qui remonte à l'époque des bacs à sable entre cette petite fille, Alice, d'origine algérienne de par son père et Amadou, un petit garçon Malien. Tous deux vont grandir ensemble et former un duo exceptionnel jusqu'à ce qu'il rencontre celle que l'on surnomme "L'Arabesque", formant dorénavant un trio de choc, inséparables, étant toujours là pour rigoler mais se serrant également les coudes dans les moments difficiles.
Et ce jour-là ce qu'Amadou (surnommé Mad pour faire plus court) va demander à Alice est plus qu'un simple service que l'on se rend entre pote de toujours mais un immense sacrifice et ce dernier réside en ces deux mots : ÉPOUSE-MOI.
Vous pourriez penser qu'Alice devrait être folle de joie et vous poser la question de pourquoi je vous parle de sacrifice alors que cela pourrait très bien être le plus beau jour de sa vie, tout simplement parce que ces deux-là qui se considèrent un peu comme frère et soeur ne s'aiment pas. Alors pourquoi se marier dans ce cas-là ? Tout simplement parce que nous sommes à l'époque de la Grande Guerre contre le Racisme et que Mad n'en peut plus de trembler devant la préfecture en espérant que sa carte de séjour en France soit renouvelée...

Alice va-t-elle accepter ce mariage blanc pour sauver son meilleur ami ? Lui empêcher de vivre sans cesse dans l'attente en lui offrant sa nationalité, la nationalité française ? Va-t-elle prendre la bonne décision et surtout, ne pas regretter ?

Un roman qui se lit très rapidement avec des phrases à couper le souffle tant l'auteure ne cherche pas des mots très sophistiqués pour dire ce qu'elle pense mais les dit tout simplement comme si elle se trouvait juste en face de vous et qu'elle parlait à un vieil ami. Un roman contre le racisme, vous l'aurez compris, mais également sur la naïveté que l'on peut avoir à vingt ans et cela apporte une merveilleuse touche de douceur mais aussi de révolte à ce magnifique roman : A découvrir car cette jeune auteure a vraiment tout un avenir devant elle, et qui, en tant que romancière, ne peut être que plus que prometteur (avoir le prix Inter à 28 ans, c'est, à mon avis, déjà remarquable et à mon avis, elle est loin de s'arrêter là) !
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"Jusque dans nos bras" ( ça ne vous rappelle rien ce titre ? ) est un vibrant plaidoyer contre le racisme primaire et un hymne à l'amitié "à la vie à la mort".
Alice ( oui oui oui Alice, ça ne vous rappelle rien ? ) se fait traiter de « sale bougnoule » dans la cour de récréation. Cette expression la fait beaucoup rire. Elle l'utilise d'ailleurs bien vite à la maison à l'encontre d'une de ses soeurs, très fière de cette injure nouvelle.
Jusqu'à ce que le Papamaman ( sic ) lui explique sa signification.
L'écriture est percutante et drôle, agréable à lire. J'avais souvent le sourire.
Un très court roman qui délivre un message très fort et qu'il serait bon de faire lire au plus grand nombre.
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Alice est française, née d'un père algérien et d'une mère normande. Amadou, dit Mad, est malien. Tous deux grandissent côte à côte, fréquentant les même écoles et partageant leur quotidien. À la mort de son père, Mad doit retourner au Mali, puis revient vivre en France pour effectuer ses études. Seulement voilà, depuis son départ, les choses ont changé et Mad est désormais menacé d'expulsion. Alice constate avec impuissance et effarement la situation de son ami : Amadou a grandi en France, a construit les même châteaux de sable qu'elle, parle aussi bien le français qu'elle, pourtant il connaît mieux qu'Alice les procédures administratives pour faire renouveler ses papiers.
Épuisé par ces tracasseries administratives, Mad se résout à demander Alice, la Française, en mariage afin de vivre normalement comme tout français. Cette dernière accepte et ensemble, ils vont tout mettre en oeuvre pour réussir ce mariage blanc.

Alice Zeniter se met en scène pour retracer vingt ans d'Histoire et dénoncer une France peu ouverte à l'immigration. Elle revient sur les raisons qui l'ont conduite à accepter ce mariage blanc. Depuis son adolescence durant laquelle elle a affronté une crise identitaire, les mots « racisme » et « immigration » ne sont plus un secret pour elle. Militante, elle revendique ses origines et court de “manif' en manif” avec ses deux meilleurs amis, Mad et l'Arabesque, pour protester contre le racisme.
Dès les premières pages de ce roman - non autobiographique -, Alice Zeniter nous entraîne dans un tourbillon de rage et de révolte. le rythme est effréné et l'écriture juvénile, le tout relevé d'un humour subtil et grinçant. le premier chapitre annonce la couleur.
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Jusque dans nos bras d'Alice Zeniter, relecture d'un roman dix ans après sa première lecture. Un roman qui est attaché à une période charnière de ma vie, la fin de mon stage et du même coup de mon Master Édition et le début de la désillusion professionnelle.
Jusque dans nos bras, un roman qui, à l'époque, m'a fait l'effet d'une claque et qui est resté gravé dans ma mémoire de lectrice. J'ai eu envie de le relire avec cette petite appréhension, "est-ce que je vais aimer autant que la première fois...?"  Et c'est un grand oui, et peut-être encore plus ! Ce livre est un coup de coeur.
Dans ce roman, Alice Zeniter mêle la fiction à sa propre histoire, la narratrice s'appelle d'ailleurs Alice. Elle alterne entre deux époques, on suit d'un côté toute sa scolarité, marquée par des événements comme le 11 septembre, la guerre en Irak, le choc de l'élection présidentielle en 2002... Des faits qui constituent ce qu'elle nomme sa Grande Histoire du Racisme, un racisme qui s'installe insidieusement, qui frappe d'un coup, change l'atmosphère du tout au tout en un quart de seconde. D'un autre côté, on a Alice, jeune adulte, en fin d'études qui retrouve son meilleur ami Mad, revenu du Mali, qui ne supporte plus de devoir faire des démarches absurdes alors qu'il a vécu sa jeunesse en France et y a obtenu son baccalauréat. Alors il demande Alice, sa meilleure amie, sa soeur de coeur, en mariage blanc, pour que rien ne vienne les séparer et que rien ne le sépare de la France ancrée en lui.
Quand elle écrit ce roman Alice Zeniter a 23 ans et déjà on sent que cette auteure ira loin. Sa plume est vive, insolente, pleine de pep's, de références culturelles et politiques des années 90 et début 2000, c'est une révélation. Avec ce livre, elle parle à toute une génération et le message qu'elle délivre résonne vraiment avec intelligence et une telle justesse sur notre société. L'écriture d'Alice Zeniter m'a vraiment percutée et elle est à mes yeux un talent incontournable de la littérature française dont je vais encore vous parler dans mes chroniques à venir car je suis atteinte d'une zeniterite aiguë et j'enchaîne ses romans.
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Alice est une fille pleine d'énergie. Ado, déjà, avec ses copains du lycée, elle a vécu mille aventures… Militante dans l'âme, elle s'est vouée à plusieurs causes, dont la première concerne la défense ses origines : son père est algérien, sa mère française, mais la blanche Alice a entreprit de construire son “algérisation”. Elle est africaine : la preuve, elle a une tâche de naissance en forme d'Afrique sur le ventre ! Avec ses deux meilleurs amis, Mad, le Malien sans papiers, et l'Arabesque (une grande blonde), ils vont de manif en manif pour protester contre le racisme, entre deux soirées passées à fumer et boire, à refaire le monde…

Alice raconte à travers son histoire les vingt ans de sa génération. Les années Mitterrand, puis l'abomination du 21 avril 2002, quand il a fallu choisir entre la droite et l'extrême droite, et enfin les problèmes de papiers de son ami malien qui ont commencé à prendre de l'ampleur.

Aujourd'hui, Alice va prendre une décision qui va bouleverser sa vie. Pour permettre à Mad de rester en France, elle a décidé d'accepter de l'épouser, en soeur. Un mariage blanc qu'ils vont devoir préparer. Mentir pour sauver son ami, se priver de la possibilité d'épouser un homme qu'elle aimerait pendant plusieurs années, voilà un engagement auquel la jeune fille a sérieusement réfléchi. Et pourtant, avant d'entrer à la mairie, elle doute encore…

Ce livre est un véritable boulet de canon, empli d'énergie, de conviction, , d'humour, d'émotion… Il m'a donné l'impression de revivre une partie de ma jeunesse au travers de l'actualité qu'il retrace. C'est une peinture drôlement vivante de la vie d'Alice, de sa famille et une superbe histoire d'amitié. Il y a un vrai style d'auteur, on sent un fort potentiel à faire de grandes choses. J'ai beaucoup aimé !

J'avais eu l'occasion d'entendre parler Alice Zeniter le mois dernier, lors d'une rencontre avec l'auteur indien Anita Nair, et je peux vous dire qu'elle m'a parue vraiment sympathique. Elle est normalienne et n'a que vingt-trois ans, et un bel avenir littéraire devant elle, je l'espère !

NB : ce roman a reçu il y a quelques jours le premier Prix littéraire de la Porte Dorée qui récompense un roman ou un récit écrit en français traitant du thème de l'exil.
Lien : http://www.tamaculture.com/i..
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Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Je suis de la génération qui vivra plus mal que ses parents, je suis de la génération qui n'est pas née avec Internet mais qui a grandi avec lui, a atteint la maturité avec lui, j'ai un lien si tendre avec Internet.
Je suis de la génération du terrorisme international, je suis de la génération de la mondialisation, je suis de la génération qui ne rêve plus d'Hollywood mais de Londres, Paris, Tokyo, Singapour, je suis de la génération des traders privés de tours jumelles.
Je suis de la génération qui a rêvé Isla Modal, et la solution scientifique à l'exigence bien naturelle de disposer d'une piscine à bord d'un Airbus, je suis de la génération des rapatriés en charter, je suis de la génération du bling-bling et des Patek Philippe.
Je suis de la génération qui a perdu Bertrand Cantat et découvert la Lituanie par la même occasion. [...]
Je suis de la génération du retour à l'ordre après 68, je suis de la génération qui a tenté d'imiter 68, je suis de la génération qui rêve dès que revient le mois de mai, je suis de la génération qui ne sait plus où se situent les classes qui sont censées lutter. [...]
Je suis de la génération que l'on oblige à être écolo pour tous ceux qui ne l'ont pas été, je suis de la génération à qui l'on demande de retourner chier dans la sciure et de ne plus prendre de bains, je suis de la génération qui trouve les éoliennes belles et qui enterre des maisons sous le sol, je suis de la génération qui n'aura plus de pétrole alors qu'elle commence à peine à s'amuser avec les low cost.
Je suis de la génération qui a fêté ses dix ans pendant le génocide rwandais.
Je suis de la génération qui aime acheter des tapis de souris.
Je suis de la génération qui a vu toutes les capitales d'Europe.
Je suis de la génération de la fin des records sportifs, à moins d'avoir recours à la cryogénisation.
Je suis de la génération qui s'appauvrit, je suis de la génération qui paie les retraites, je suis de la génération qui apprend à avoir peur des vieux, je suis de la génération qui perd ses fonctionnaires, je suis de la génération à qui on a brandi le modèle scandinave, je suis de la génération qui a honte de faire des fautes en anglais puisque ce n'est plus une langue étrangère pour personne, je suis de la génération qui passe à droite par désespoir devant le paysage de gauche, je suis de la génération devant qui on démantèle l’État providence, je suis de la génération travailler plus pour gagner plus, je suis de la génération mal conseillée par les conseillers d'orientation, je suis de la génération des hedge funds et de Jérôme Kerviel, je suis de la putain de génération où l'on peut perdre 5 milliards en passant une porte et faire semblant qu'on n'a rien vu - Excusez-moi vous n'auriez-pas vu cinq milliards ? J'ai dû les perdre en sortant. Non ? Sûr ?
Je suis de la génération d'Outreau et de la vérité qui ne sort plus de la bouche des enfants.
Je suis de la génération des Beckham, de l'anorexie, des paparazzis, des stars qui sortent sans culotte et qui ne mettent pas de ceinture de sécurité à leurs enfants, je suis de la génération des taches de sperme sur les robes des stagiaires qui s'adressent solennellement à l'Amérique.
Je suis de la génération des premières dames qui sortent des disques, je suis de la génération d'Eurodisney.
Je suis de la génération de la loi Évin, je suis de la génération de la vodka-Red Bull.
Je suis de la génération des iPod, des iPhone, des clés USB, du Wi-Fi, de MSN, je suis de la génération qui compte ses amis sur Facebook, je suis de la génération qui se poke.
Je suis de la génération qui se stérilise à force d'essayer d'avoir des enfants à quarante ans.
Je suis de la génération qui a redécouvert le poker, je suis de la génération qui découvrira peut-être toutes les propriétés intrinsèques de la matière noire, je suis de la génération que ça n'impressionne plus d'aller sur la Lune. [...]
Je suis de la génération qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais l'inverse serait souhaitable et puis et puis je suis de la génération qui conduit des scooters, qui vole des scooters, qui peut payer des tests d'ADN pour retrouver ses scooters, je suis de la génération des 17 millions de personne qui lisent de la presse people en France, et surtout je suis de la génération à qui on ne cesse de répéter qu'elle vivra plus mal, qu'elle vivra moins bien que, je suis de la génération du chômage, de la bulle immobilière, du camp de Sangatte, du Showcase, de la naturalisation monégasque, de la fuite des capitaux, du bouclier fiscal, de l'abolition des 35 heures, de la prime des transports, du logiciel Edvige et de l'interdiction de coups de téléphone sur simple soupçon que j'appartiens à une bande organisée, à une génération sans ordre, à la génération qui a perdu Kurt Cobain mais à qui on répète qu'elle peut gagner la bataille du pouvoir d'achat.
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Tu te rappelles, toute une collection de minuscules souvenirs sans importance, de ceux qui n'entrent pas dans les photos, l'odeur de tes anciens appartements et quand tu fermais les volets la nuit, le petit jardin devant ton immeuble qui sentait la pluie, la terre mouillée et les feuilles sombres qui brillaient un peu sous les réverbères.
Le cerisier devant ton balcon deux ans plus tard, Mad qui mordait dans les cerises en se penchant par-dessus la balustrade, sans même les détacher de l'arbre.
Le fleuve qui charriait les plaques de glace à perte de vue.
Les bras nus du garçon d'en face quand il jonglait dans la cour.
Bien sûr que je pourrais y retourner, revoir les bâtiments, mon studio transformé en garage à deux-roues, peut-être même monter au premier étage et saluer les mêmes voisins. Mais revenir dans des lieux qui nous ont appartenu sans avoir d'autre raison d'y être que le souvenir, c'est ça qui fait de nous des étrangers, c'est de là que vient le sentiment d'avoir perdu un chez-soi, pas la tache de l'Afrique, pas le panneau de publicité jaune dans le métro qui te dit : Appelez l'Algérie, comme si l'Algérie pouvait répondre : Allô Alice ? C'est bien toi ? C'est enfin toi ?
Y retourner n'est jamais pareil. Comme si tout ne se vivait que la première fois. Après la première seconde, il n'y a déjà que le passé.
Comme pour les garçons et les hommes que tu comptes sur plus que les doigts des deux mains et que tu ne pourras jamais revivre. On ne peut pas revivre une histoire. On peut seulement revoir quelqu'un.
Sur mon canapé orange, je réfléchis. A ceux que je voudrais rencontrer à nouveau pour la première fois, ceux avec qui je voudrais revivre la première seconde, découvrir la manière dont ils sourient, prononcent mon prénom, racontent leur vie d'une manière si vendeuse que les mois qui suivent ne font que débâtir lentement le palais des légendes, ceux devant qui je voudrais à nouveau attendre la première fois qu'ils se penchent vers moi pour m'embrasser, l'instant où les bouches sont à 0,01 cm et où tout le cerveau n'est qu'une injonction violente, un FAIS-LE qui se hurle à l'intérieur, moment où ils se mordent les lèvres pendant l'orgasme, moment du premier je t'aime sur les bottes de paille à côté de mon lycée ou devant Notre-Dame.
Bien sûr que tu pourrais retourner vers eux, revoir leurs bras qui ont perdu ta forme, t'allonger sur leurs oreillers qui ont perdu ton parfum, lire sur la moitié de leurs bibliothèques les dédicaces de chacun de tes cadeaux. Tu pourrais même redire je t'aime mais il n'y aurait plus cette attente, il n'y aurait plus cette traque de l'indice, et puis tu sais comment ils baisent, et leur manière de prononcer ton nom ne te retournerait le ventre qu'à cause de tous les souvenirs, même celui qui de sa voix trop grave faisait saturer les basses de ton téléphone, le souvenir rend le couteau des douleurs moins affûté, il te gaine le cœur, il matelasse l'espace amoureux.
Revenir en étranger quand on veut trouver un chez-soi, revenir en terrain conquis quand on voudrait recommencer à partir en campagne. Un non-retour, un faux retour. Dans les deux cas, c'est impossible. Tous ces endroits que tu as quittés, tu les as perdus pour de bon.
La liste est trop longue, ce jour-là. Je regarde les photos et relis des passages de mon journal. Je croise des noms et des visages. Je me rappelle l'amour qu'ils suscitaient, et aussi les robes que j'ai osé porter et je me déteste, surtout la verte avec la fleur en strass sur l'épaule.
Bref, c'est un jour où la chiale est inévitable, presque systématique puisque chaque mot a déjà été prononcé dans d'autres circonstances, chaque mot fait résonner l'écho d'un usage passé et étire péniblement toutes les années.
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Aujourd'hui, si on te demande de dater tes travaux de réflexion sur la Grande Histoire du Racisme, tu dirais qu'ils ont dû commencer en 2007. Parce que avant, tu ne t'étais pas tellement amusée à assembler toutes les pièces. Et puis, tu dois bien t'en rendre compte, avant qu'elle ne frappe Mad, tu n'as pas tellement eu à te plaindre du sort que t'as réservé la Grande Histoire. Bien sûr tu as toujours gueulé très fort et revendiqué l'algéritude bien plus que ne te le permettait la petite tache de l'Afrique, mais tu dois admettre que la plupart du temps, tu étais une arnaque ambulante sur le sujet. En 2007, tu deviens vraiment historienne, tu déterres tous les dossiers. Et l'Arabesque te gratifie du surnom flatteur d'Alice, alias la Mémoire.
Cette année-là, Mad commence à avoir de réels ennuis avec la Préfecture et le climat politique nous laisse présager que rien n'ira en s'arrangeant. On est en pleine campagne présidentielle et parmi toutes les annonces des candidats que Mad, l'Arabesque et moi nous faisons une joie de démolir, détail par détail, postés au-dessus des journaux et de trois cafés, parmi toutes les promesses que plus personne n'écoute, parmi les propositions les plus démagogiques, il est tout à coup question d'un nouveau ministère.
La première fois qu'il apparaît dans le paysage, c'est Nicolas Sarkozy qui l'annonce et personne n'a ajouté encore les mots "intégration" et "développement solidaire" qui adoucissent les angles, non, au début c'est simplement le "ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale" et les deux termes ont l'air prêts, de part et d'autre de la nouvelle appellation, à se livrer un match de boxe sans merci, à se dépiauter les "I" majuscules, à s'arracher les "n", et quand Mad pose le journal devant moi avec le titre en gros, après être entré en trombe dans le café à côté de Censier où je prends toujours un verre à la fin des cours, il dit : Je suis mal, putain, je suis mal.
Et il a raison, ce jour-là, devant la bière que je lui paie, quand il affirme que ce genre d'annonce n'empêchera personne de voter pour Sarkozy. Moi, je prends l'information avec le sourire bienveillant de celle qui sait que la droite n'a aucune chance. Je retourne le journal pour ne plus voir l'article et je tends la soucoupe de cacahouètes à Mad en le rassurant.
C'est ton problème, pendant l'année 2007, cet optimisme, cette confiance, parce que, à cause de ta date de naissance, tu es née et tu as grandi PS, tu es une petite princesse Mitterrand. Une part de toi se refuse à croire que la France ne soit pas un pays de gauche. Pour toi Chirac est une erreur de parcours, prolongée par un vote forcé mais la France a eu douze ans pour s'apercevoir qu'elle était de gauche, elle ne peut pas avoir manqué cette évidence.
Mais avec les mois qui passent, mon sourire se fige un peu quand je suis les sondages, quand je regarde le débat, quand j'entends parler tous ceux qui me disent de lui laisser une chance avant de le condamner et que peut-être, peut-être, je serai surprise de voir à quel point il pourra changer le pays.
Oui, je finis par découvrir à quel point je me suis trompée, à quel point je confonds l'enthousiasme avec les analyses politiques, parce que ce couperet-là tombe aussi.
La France est de droite à 53%.
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Et la Maman sort enfin de son silence pour me dire de faire ce que je veux. Le Papa se fige et lui demande ce qu'elle raconte.
La Maman dit qu'elle ne laissera pas des lois nazies priver sa fille de son meilleur ami et que j'ai raison de me battre pour qu'il reste avec moi. Elle dit que j'ai le droit d'être, moi aussi, une génération de combat parce que, contrairement à ce qu'il peut croire, le combat ne s'est pas fini avec le Papa. Tant mieux si lui a pu obtenir une victoire personnelle sur la société mais ses filles ne peuvent pas être toute leur vie l'étendard qui lui prouve qu'il a gagné. Il faut que je décide toute seule de dormir sur les lauriers que le Papa a gagnés pour moi sans même que je m'en aperçoive ou de me battre à mon tour. Parce que non, non le combat n'est pas fini, le combat ne sera fini que lorsque tous ceux qui veulent une place ici l'auront trouvée et la Maman dit : C'est dans la Déclaration des droits de l'homme, nul n'a le droit de priver quelqu'un de sa nationalité ou du droit de changer de nationalité. Le Papa murmure : Il se passe quoi ici ? On est encore en putain de 68 ? Et la Maman : Non, on est en putain de 1940 ! Qu'est-ce que c'est que tout ce bordel dehors et personne qui ne fait rien ? Des tests génétiques ? Un "détail de l'Histoire" ? Une "immigration choisie" en fonction du QI des postulants ?
A ce stade de la conversation, je perds le droit à la parole parce que tout se déroule désormais entre eux deux.
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A l'époque tu ne te demandes pas pourquoi c'est toujours les blonds les gentils et les bruns les méchants, comme si c'était normal que Boucle d'Or, Boucleline, Candy, La Belle au bois dormant et Grace Kelly inspirent la confiance, comme si le blanc de leur peau et le doré de leurs cheveux étaient des gages de bonne foi. (Livre de Poche, réédition 2015, p. 20)
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Vidéo de Alice Zeniter
Inspirée de propositions d'extrême droite, la loi sur l'immigration a été votée le 19 décembre. 201 personnalités appellent à manifester partout en France dimanche. Dans « À l'air libre », Sophie Binet (CGT), Jacques Toubon (ancien Défenseur des droits), l'écrivaine Alice Zeniter et Edwy Plenel nous disent pourquoi ils en seront.
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