Clyde vit seul avec son chat Já dans le centre de Buenos Aires. Il a travaillé quelques années dans la librairie de son frère Gordo Marxxx et se consacre désormais à l'écriture, grâce à une bourse de l'État. En proie à l'apathie et à la dépression, il prend des calmants. Il souffre par ailleurs de saignements à l'oreille et remet à plus tard le moment de consulter un médecin. Il mène une vie désoeuvrée, se lève tard, flâne dans la ville, pense souvent au suicide, note régulièrement des idées pour ses nouvelles de science-fiction. Il est poursuivi par la vision d'un homme vêtu d'un jean, d'un gilet et d'un keffieh qui l'observerait et le suivrait partout dans la ville. Il ne fréquente que trois personnes : son grand frère, son directeur de bourse Moey! (un personnage extravagant à l'extrême) et Bonnie.
Bonnie vit seule dans le centre de Buenos Aires avec son chat Deschanel. Elle travaille dans une laverie automatique et éprouve des difficultés à finaliser ses études de dessin de mode qui ne semblent guère la passionner. Elle a un caractère fantasque, une imagination débordante, fait des origamis et est souvent prises d'envies soudaines complètement décalées.
Bonnie et Clyde se sont rencontrés sur Internet et se voient pour la première fois dans une pizzeria. Conte moderne mettant en scène des personnages résolument très contemporains, à la fois seuls et hyper connectés,
Te quiero raconte, jour après jour, le début de leur histoire d'amour, leurs rencontres successives et leurs échanges virtuels, ainsi que leurs difficultés à parler, à se comprendre, à s'apprivoiser, à se faire confiance ou encore à s'engager.
Le thème central du roman – les jeunes hyper connectés dans la ville néolibérale – est traité de manière singulière et efficace.
L'omniprésence des marques, qu'il s'agisse du Web (Skype, Facebook, Youtube, etc.), des aliments ou des vêtements, dénonce les excès absurdes de notre société capitaliste hyper connectée. Quand il sent venir une crise de panique, Clyde énumère des marques pour se rassurer.
Celles-ci ancrent par ailleurs le roman dans une réalité spatio-temporelle précise, à savoir le Buenos Aires d'aujourd'hui. La ville est du reste très présente – numéros des lignes de bus, de métro, noms de rues, de quartiers, de bars, de restaurants, de librairies, etc.
Le protagoniste étant écrivain, un des personnages secondaires libraire, les réflexions sur la littérature – les différentes tendances (classiques, post-modernes), l'inspiration, de construction d'une narration – traversent tout le roman.
Le narrateur intervient très souvent dans le récit en corrigeant ce qu'il vient d'énoncer : le personnage fait, dit ou mange telle chose ; non, il fait, dit ou mange plutôt telle autre.
Certains procédés rhétoriques constituent un autre point fort du texte. L'auteur est parvenu à créer un univers très particulier et à saupoudrer son récit d'humour (souvent noir), provoquant parfois de vrais éclats de rire.
Des prénoms des personnages aux situations,
en passant par les échanges décalés entre les protagonistes (Clyde-Bonnie ; Clyde-Gordo Marxxx ; Clyde-Moey!), l'univers du dernier roman de J. P. Zoeey est à la fois familier et déconcertant, voire surréaliste.
Les personnages, de par leurs fragilités et leurs peurs, sont attendrissants, sans jamais céder à la mièvrerie. Les stéréotypes du monde actuel sont présentés de manière insolite, souvent drôles.
Le réalisme minimaliste et fragmenté du roman n'est pas sans faire penser à certains textes de Perec,
Queneau ou encore
Italo Calvino. Les idées étonnantes de Bonnie rappellent, de loin cela va sans dire, le personnage de
Marcovaldo. On retrouve par ailleurs certains échos de Salinger (dont le pseudonyme de l'auteur est directement inspiré) ou encore de l'écrivain américain plus contemporain,
Tao Lin, que le personnage de Clyde cite (voir extrait de Vol à l'étalage chez American Apparel en pièce jointe).
Pour résumer,
Te quiero est un roman délirant dont la lecture s'avère plaisante et sympathique.