Maria Stuart
Traduction :
Alzir Hella
ISBN : 9782253150794
Parmi les biographes, il y a ceux qui vous seront toujours plus bénéfiques que tous les somnifères du monde et qui vous abandonnent aux bras de Morphée (ou, si vous êtes vraiment insomniaque, du simple mais redoutable Ennui) dès la seconde page que vous lisez d'eux. Il y a aussi les honnêtes artisans, sans génie certes mais suffisamment doués pour retenir votre attention et vous permettre de finir une biographie qui, vous le direz plus tard non sans quelque dédain, "ne cassait pas trois pattes à un canard." Viennent ensuite les hagiographes, une espèce à fuir tant leurs membres pratiquent avec ferveur une adoration quasi religieuse du personnage choisi, lequel devient vite entre leurs mains un véritable saint même si, aux yeux de l'Histoire, il a passé toute sa vie politique à torturer, massacrer et condamner sans appel. Autre espèce à fuir elle aussi sans perdre une seule seconde : les rageux, même s'ils ont parfois une forme de génie grinçant dans leur façon de dévider les pires horreurs sur le personnage dont il sont pourtant censés brosser un portrait aussi impartial que possible.
Et puis, il y a les enchanteurs, ceux qui vous arrachent au présent douillet de votre lecture pour vous catapulter dans un passé si vivant qu'il en devient alors votre seule réalité, aux côtés d'un personnage historique, de ses amis et de ses ennemis qui viennent à vous pratiquement comme si vous vous étiez quittés la veille.
Biographe enchanteur,
Stefan Zweig l'était et le demeure encore aujourd'hui, en dépit des soixante-douze longues années qui nous séparent de son suicide, perpétré dans un moment de pessimisme fatal, le 22 février 1942, à Pétropolis, au Brésil.
Prenez par exemple sa "
Marie Stuart." C'est un personnage dont, comme pour
Marie-Antoinette, il est certainement tombé amoureux. Mais ses sentiments ne l'aveuglent pas pour autant sur les faiblesses d'une princesse qui laissa sa vie de femme lui faire perdre la tête, au propre comme au figuré. C'est certes avec tendresse et minutie qu'il nous restitue son enfance de conte de fées à la Cour de France où elle épouse le dauphin François, fils d'Henri II et de Catherine de Médicis. Dans cette société brillante, la plus éblouissante et la plus cultivée du temps, elle oublie les brumes de son mélancolique berceau écossais et peut espérer, pendant une trop brève période, régner aux côtés de son mari, que la mort du roi Henri lors de l'un des plus stupides et des plus horribles accidents qui aient jamais marqué un tournoi vient de transformer en François II, par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre. Mais le Destin est là, dans la santé chancelante qui aura raison de la majorité des derniers Valois et le jeune prince meurt au bout d'un an à peine de règne effectif. Devenue veuve, Marie n'est plus la bienvenue à la Cour de France et d'ailleurs, une couronne - la première qu'elle a portée, quelques jours à peine après sa naissance - ne l'attend-elle pas là-bas, tout au loin - si loin - en Ecosse ? A elle-même, mais aussi à ses ancêtres, les Guise maternels et plus encore les Stuarts paternels, elle se doit d'aller l'assumer.
Et elle va le faire. le chemin sera long et truffé d'embûches, à commencer par l'hostilité des redoutables prédicateurs protestants qui ne veulent pas de cette souveraine catholique. Mais les deux ornières majeures, ce seront les remariages successifs de Marie. le premier, avec Henry, lord Darnley, son cousin germain qui descend, comme elle, d'Henry VII Tudor - ce qui explique ses prétentions à la couronne d'Angleterre - est au premier abord un mariage d'amour. Mais Marie se lasse vite d'un mari qui, de son côté, se révèle plus jaloux qu'un tigre sicilien. Elle ne lui pardonnera jamais l'assassinat de son secrétaire et favori, David Riccio, qu'il soupçonnait - bien à tort - d'être son amant ...
Le meurtre de Riccio jouera certainement un rôle dans le propre assassinat de Darnley, assassinat que la reine ne se contente pas de commanditer mais dont elle se fait la complice en parvenant, par de fausses démonstrations d'affection, à ramener son époux méfiant (et quelque peu souffrant aussi) à Edimbourg. A l'époque, elle est sous l'emprise de
James Hepburn, quatrième comte de Bothwell, qu'elle épouse sans état d'âme après une rocambolesque histoire d'enlèvement et de viol inventée de toutes pièces pour excuser la rapidité dans laquelle se conclut cette troisième union qui sera aussi la dernière pour
Marie Stuart.
Le reste appartient à nouveau à la politique - et à
L Histoire. La vie de femme de Marie, cette vie sensuelle et tourmentée à laquelle elle a tout sacrifié pendant quelques années, cède ici le pas à nouveau à son destin de princesse, prisonnière de son destin. Mise en accusation, procès, exil en Angleterre, puis enfermement - un si long enfermement - sur ordre d'Elisabeth Ière, laquelle a beau pleurer et se lamenter, sait bien que la raison d'Etat lui dicte de faire mourir Marie, cette cousine dont elle se prétend - et l'on peut croire, dans certaines lettres, que la Reine vierge était bel et bien sincère - la "soeur affectionnée."
Le 8 février 1587, au château de Forethingay, à dix heures du matin,
Marie Stuart, dite aussi Marie Ière, reine d'Ecosse et ancienne reine de France, rend son âme à Dieu lors d'une décapitation que, avec la complicité de ses femmes et de ses serviteurs, elle a transformée en une somptueuse cérémonie funèbre. Elle laisse à jamais à sa cousine Elisabeth ce "mauvais rôle" dont elle ne voulait pourtant pas - en fait, Elisabeth hésita jusqu'à la dernière minute - et entre de plain pied, tout habillée de noir et de pourpre, dans la légende des Reines à jamais malheureuses, à jamais inoubliables.
Quoi qu'il puisse penser lui-même de ce personnages controversé et beaucoup plus complexe qu'il n'y paraîtrait à un observateur superficiel, le lecteur est saisi par la puissance du récit, par le sens historique indéniable dont fait preuve
Stefan Zweig et aussi par la finesse d'une analyse qui, tout en maintenant
Marie Stuart sur la toile de fond de son siècle, avec tout ce que celui-ci pouvait comporter d'émotions, de besoins et de raisons politiques auxquels nous sommes devenus plus ou moins insensibles, la ramène également parmi nous pour en faire une reine dont la seule erreur fut sans doute d'avoir voulu vivre avant tout en femme libre tant sur le plan sexuel qu'affectif, ce qu'une princesse promise au trône ne pouvait hélas ! - et ne peut toujours pas - se permettre (à la différence des mâles de la même espèce.)
Bonne lecture ! ;o)