AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Massacre à la romaine

Interview : Pierre Adrian à propos de Les Bons Garçons

 

Article publié le 14/09/2020 par Anaelle Alvarez Novoa

 

Dans son nouveau livre intitulé Les Bons Garçons (éditions des Equateurs) Pierre Adrian retrouve l’Italie, qu’il avait déjà parcourue dans son roman La Piste Pasolini. Cette fois, direction Rome en 1975. Le club de football de la Lazio vient de remporter son premier titre, l’heure est à la fête et à l’allégresse, tous les espoirs sont permis. C’est dans ce contexte que les insouciantes Maria Grazia et Raffaella font la connaissance de trois jeunes garçons issus des quartiers huppés de la ville. Ils ont tout pour plaire. La joyeuse bande flirte gentiment et s’amuse. L’histoire aurait pu être banale si les garçons n’avaient pas invité les filles à faire la fête dans une villa perchée sur le Mont Circeo. En cette fin d’été, le pire arriva. Ce fait divers, surnommé « le massacre du Circeo », a servi de point de départ à l’auteur, à qui nous avons posé quelques questions sur son livre et ses lectures.

 


© Yann Stofer

Les Bons Garçons est votre quatrième roman. Chacun de vos livres aborde des sujets très différents. Néanmoins, tous sont très ancrés dans le réel, nous content des voyages, des expériences personnelles, des vies, à l’image de votre quête de Pasolini ou de votre périple sur les routes de France... Cette fois, vous avez puisé votre inspiration dans le « Massacre du Circeo », un fait divers tristement célèbre en Italie. Pourquoi ce choix ?

La réalité dépasse toujours la fiction et les plus grands romanciers y ont toujours puisé leurs histoires. Balzac, Zola, Flaubert… Mes précédents livres s’inscrivaient davantage dans la non-fiction, une littérature du réel dans laquelle l’auteur s’invite et guide. Les Bons Garçons s’inspire certes d’une histoire vraie, mais le livre est aussi et surtout le fruit de mon imagination.


Quel a été votre parti-pris pour donner corps à cette intrigue et à ces personnages, qui ont vraiment existé ? Quelle place avez-vous accordé à la fiction face au réel ?

J’ai fait des recherches méticuleuses sur le Massacre du Circeo, passant des heures à la Bibliothèque nationale de Rome, épluchant les journaux, les procès-verbaux. J’ai regardé des films et écouté des émissions de radio, les variétés d’époque. Le réel est d’abord une histoire de détails : le modèle d’une voiture, l’adresse d’un café, une marque de chewing-gum. Pour le reste, l’attitude des personnages, leurs tourments, leur histoire familiale, leurs conversations, sont inventées sans tricher totalement avec leur vérité sociale. Les garçons venaient de familles aisées de la « Roma bene », des Parioli et du quartier Trieste, et les filles des logements populaires de la Montagnola. Mais, comme le disait Dominique Noguez, si on change la couleur des yeux d’un personnage, on est déjà dans la fiction. Fiction ou réel : il s’agit d’abolir les frontières sans tricher avec la vérité. 


L'intrigue se passe à Rome en 1975, quelques mois avant l’assassinat de Pasolini qui était le héros de votre précédent roman. Ce livre se déroule à nouveau pendant les années de plomb italiennes, période de tension politique qui voit fleurir actes de terrorisme, violences de rue, et lutte armée de groupes politiques. Pourquoi cet intérêt pour cette période ?

Tout est mieux et tout est pire qu’aujourd’hui. Les années 1970 en Italie comme ailleurs sont fascinantes, à la fois par la grâce de l’insouciance et la réalité morbide des attentats, des faits divers. A Rome, il y avait un meurtre chaque jour. Les cabines téléphoniques explosaient. On dansait sur les bombes. Cette époque a connu les plus grandes chansons, les plus grands films, les plus grands champions sportifs… Et les premières pollutions de la consommation de masse, l’urbanisation, les grands ensembles, la vulgarité de la télévision, le retour des fanatismes politiques. C’est une époque complexe. Je la fantasme sans doute un peu. Mais je préfère la musique de Lucio Battisti à la soupe vocalisée de Fedez... Et puis je suis un fétichiste de l’année 1975. Beaucoup de choses qui comptent dans ma vie sont nées cette année-là.


À plusieurs reprises dans votre livre, le Massacre du Circeo fait écho au mythe de Circé qui se passe lui aussi sur les hauteurs du Mont Circeo. Au cours d’un banquet de fête, la magicienne aurait ensorcelé les compagnons d’Ulysse et les auraient transformés en porcs. Pourquoi ce parallèle fait divers/mythe ?

Je crois aux prophéties de la mythologie, à ses signes, je crois au sacré et à ce que l’homme ne contrôle pas. Sur la colline de Circé, il y a quelque chose. Je ne saurais dire quoi exactement, mais il y a des ondes négatives malgré la sublime beauté des lieux. Malgré la mer qui se confond avec le ciel. Les Bons Garçons raconte aussi ceci : la dérangeante proximité entre la beauté et la barbarie. Ces jeunes gens magnifiques sont transformés en porcs dans un des plus beaux endroits d’Italie. Tout semblait malheureusement déjà écrit. D’ailleurs, le lecteur connaît déjà la fin de l’histoire avant d’ouvrir le livre.

 

Les compagnons d'Ulysse changés en porcs par Circé - © Bibliothèque nationale de France


À l’époque, ce fait divers a secoué l’Italie, notamment parce que les agresseurs appartenaient à la bourgeoisie alors que les victimes étaient d’origine plus modeste. Fatalement, la question de la lutte des classes est très présente dans votre récit. Cette question vous intéresse-t-elle particulièrement ? Pensez-vous qu’elle soit toujours d’actualité ?

Les Bons Garçons pose la question de l’impunité. Il y a des gens pour lesquels tout est dû et qui ne sont jamais punis. C’est le pouvoir de l’argent. Cela a toujours existé et cela existera toujours. Mais il y a une fascination de « tabloïd » pour cette histoire parce que les assassins étaient des fils de riches. Comme si c’était une anomalie dans une société où, naturellement, ce sont les fils de pauvres qui deviennent criminels. Mais c’est tout un système qui est, comme l’écrivait Pasolini, « criminaloïde ».


Alors que votre livre se passe à Rome, en Italie dans les années 1970, son propos semble très contemporain. Les Bons Garçons est aussi un roman sur la fin de l’enfance ; la violence, la peur et l’envie d’évasion qui l’accompagnent. Existe t-il vraiment des enfants d’hier et des « enfants d'aujourd'hui » (en référence à votre livre Le tour de la France par deux enfants d'aujourd'hui) ? N’y a-t-il pas une forme d’universalité dans le passage à l’âge adulte ?

Bien sûr. Rien n’a changé. Le mois d’août est le moment qui ressemble le plus à la vie, et il y a dans le livre une mélancolie de fin d’été. La disparition de l’insouciance, l’entrée dans la vie adulte, la découverte de son épaisseur et ce dilemme : comment rester fidèle à l’enfant que j’étais ? L’esprit d’enfance habite tous mes livres.


Les Bons Garçons est un roman noir bourré de suspense. Etait-il difficile de ménager une forme de tension sur toute l’intrigue alors qu’on en connaît l’issue tragique avant d’avoir ouvert le livre ?

Cela s’est fait naturellement mais c’est le sens de toute tragédie. Les personnages ont un destin, à l’auteur de nouer et dénouer les liens et les conflits. Une fois assises dans la voiture, les filles n’avaient plus leur destin entre leurs mains. Je pense qu’elles savaient, au fond.


Votre livre paraît lors de la rentrée littéraire de l’automne 2020. Allez-vous lire certains livres à paraître en même temps que le vôtre ?

J’en lirai certains… quand ils seront vieux.



 

Pierre Adrian à propos de ses lectures


Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Aucun.

Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?
Rimini de Pier Vittorio Tondelli.

Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Les livres d’Albert Camus.

Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
L’Inconnu me dévore de Xavier Grall.

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Je n’ai jamais lu Proust.

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Il faut lire et relire tout Pavese.

Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Le Hussard sur le toit de Jean Giono.

Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Celle-ci de Jules Renard: « Mon cher Poil de Carotte, les écrivains dont tu me parles étaient des hommes comme toi et moi. Ce qu'ils ont fait, tu peux le faire. Écris des livres, tu les liras ensuite. »

Et en ce moment que lisez-vous ?
Si le grain ne meurt d’André Gide

 



Découvrez Les Bons Garçons de Pierre Adrian publié aux éditions des Equateurs

Commenter  J’apprécie          33

{* *}