Comment vas-tu me sauver la vie aujourd'hui ? En mourant peut-être.
Rien ne vous exclut plus que d'avoir une histoire singulière. Du moins, c'est ce que je croyais. A présent, je sais : toutes les douleurs sont identiques. Seules changent les circonstances.
On ne dit presque jamais ce que l'on pense, et l'on entend presque jamais ce qui est dit.
Le monde fait de nous tous des menteurs.
« Soldat, tu oublies le danger, parce qu’il est constant ici. » Il marqua une pause et s’alluma une cigarette. […] « Mais si tu rentres aux États-Unis dans ta tête avant que tes fesses soient là-bas aussi, tu es un putain d’homme mort. Je te le dis. Tu ne sais pas où Murph est parti, mais moi je le sais.
- Où, Sergent ?
- Murph est rentré, Bartle. Et il va rentrer, oui, mais avec un drapeau dans le cul, et fissa. »
« - Tu sais quoi, Bart ? dit Murph.
- Quoi ?
- Je lui ai piqué sa place, à ce mec, dans la file d’attente au mess. »
Je regardai autour de moi. « Quel mec ?
- Le mec qu’est mort.
- Oh, dis-je. C’est pas grave. T’en fais pas.
- Je me sens minable.
- Arrête, c’est rien.
- Putain, j’ai l’impression que je deviens dingue. »
Il se tenait la tête entre les mains tout en se frottant les paupières avec ses paumes. « Je suis carrément content de ne pas avoir été à sa place. C’est de la folie, non ?
- Nan. Tu sais ce qui est fou ? C’est de ne pas penser à ça. »
Je m’étais dit la même chose : combien j’étais heureux de ne pas m’être pris une balle, combien j’aurais souffert si j’avais été celui étendu là en train de mourir, à regarder les autres qui l’observaient agoniser. Et moi aussi, même si c’est avec tristesse à présent, j’avais songé intérieurement, Dieu merci, il est mort et pas moi. Dieu merci.
La guerre prendrait ce qu'elle pourrait. Elle était patiente. Elle n'avait que faire des objectifs, des frontières. Elle se fichait de savoir si vous étiez aimé ou non. La guerre s'introduisit dans mes rêves cet été-là, et me révéla son seul et unique but : continuer, tout simplement continuer. Et je savais qu'elle irait jusqu'au bout.
Un journaliste nous avait demandé ce que cela faisait de se battre...
" C'est comme un accident de voiture. Tu comprends? Cet instant entre le moment où tu sais ce qui va se passer et l'impact lui-même. On se sent assez impuissant à vrai dire. Tu vois, tu roules comme d'habitude, et tout à coup c'est là, devant toi, et tu n'as absolument aucun pouvoir. Et tu le sais. La mort, tu vois, ou autre chose, c'est ce qui t'attend. C'est un peu ça, comme dans ce quart de seconde dans un accident de voiture, sauf qu'ici ça peut carrément durer des jours".
Nous parcourûmes des ruelles, vîmes les restes de l’ennemi gisant, là où il s’était posté en embuscade, éloignâmes les armes du corps du bout de nos bottes. Rigides et pestilentiels, les cadavres gonflaient sous le soleil dans des positions improbables, certains le dos légèrement décollé du sol, d’autres tordus de façon absurde comme obéissant à des règles géométriques morbides.
Tu n’es rien, voilà le secret : un uniforme dans une mer de nombres, un nombre dans une mer de poussière. Et nous, nous pensions d’une certaine façon que ces nombres représentaient notre insignifiance. Nous nous disions que si nous demeurions ordinaires, nous n’allions pas mourir
Quand on vient d'un endroit où quelques faits suffisent à vous définir, où quelques habitudes constituent une vie, on éprouve une forme de honte à nulle autre pareille. Nous avions eu jusqu'alors des existences étriquées, qui aspiraient à quelque chose de plus substanciel que des routes en terre et des rêves minuscules. Ainsi, nous étions venus ici, où l'on n'avait pas besoin de planifier sa vie et où les autres vous disaient quoi faire.