Lecture de Anne Goscinny tiré du livre Figures d'écrivains, dirigé par Étienne de Montety.
Découvrez un portrait inédit de la littérature française. La visage, la plume et la voix de 70 grandes figures des lettres réunies pour un cadavre exquis historique.
Pour en savoir plus : https://www.albin-michel.fr/figures-decrivains-9782226436351
Aux morts on offre des fleurs. Des fleurs qui se fanent dès que s'éloignent les sanglots.
Au début, ce sera difficile, très difficile. Tu auras l'impression que tu ne sais plus marcher, plus parler non plus. Les premiers temps, tu seras paralysée. Un pied et puis l'autre. Tu marcheras jusqu'au Pont-Neuf. Et petit à petit tu rallongeras tes promenades, la rue de Buci, Saint-Sulpice, la rue du Regard. Et retour. Ce seront tes victoires. Tu devras apprendre à être Jeanne sans mère. Apprendre aussi à ne plus prononcer ce mot, maman. Deux syllabes si bêtes quand elles sont là, tout près. Deux syllabes interdites, comme ça, en moins de temps qu'il n'en faut pour mourir. Il faudra que tu découvres un nouvel alphabet. Tu t'apercevras qu'en te servant de l'ancien, personne ne te comprendra plus. Pour les gens que tu aimais et qui t'aimaient, tu ne seras plus que Jeanne qui a perdu sa mère. Ce deuil sera ta particule. Impossible à cacher. Moi je sais que tu apprendras.
J'aime bien quand on est tous les cinq dans la voiture. J'ai l'impression qu'on pourrait rouler vers l'infini, on arriverait toujours quelque part.
De ton univers, tu es le seul mort. Moi j'aurais aimé être l'un de tes personnages : une enfance qui ne finit pas. Une bulle dans une case. C'est tout
Tu es morte hier. Demain, on aura sur ton visage cloué le cercueil. Je t'ai aimée de cet amour fou qui ressemble peut être à celui qu'un jour j'éprouverai pour les enfants que je n'ai pas encore: un amour qui supporte tout,un amour qui ronge. Maman,tu ne prononceras plus jamais mon prénom:Solène.
Simon :
"Mon grand-père est mort mais c'est pas grave, il est rigolo quand même !"
Et puis, tu vois, Scarlett, j’ai ajouté, je suis très raisonnable parce que je ne veux pas de télévision dans ma chambre. Mon ordinateur, ma tablette et mon téléphone me suffisent.
Je ne vous ai rien dit de tout ça. Ni en mots ni en pensées. J'ai regardé votre main morte, j'ai enlevé de votre doigt l'alliance qui symbolisait cet amour fou dont vous ne vous êtes jamais remise. Votre annulaire était déjà raide.
J'ai dû forcer. Un peu seulement. La bague était trop grande pour votre doigt amaigri. J'ai mis l'alliance dans ma poche, à l'instant même où probablement vous retrouviez celui qui vous l'avait offerte.
Je n'ai plus peur. J'ai passé des nuits à trembler, terrifiée par l'idée du cercueil. Et puis là, je me dis que je suis mon propre cercueil avec cette maladie qui me grignote, me bouffe et m'aspire. Alors ce sera plus confortable ! Tu vois, j'ai tout aimé dans cette vie. Même le malheur qui me prouvait jour après jour que j'étais encore vivante.
Contrairement à l'aller, le trajet du retour a été silencieux, et tant mieux.... J'avais besoin d'écouter mes souvenirs.