Dominique Barbéris a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française pour son 11e roman "
Une façon d'aimer", paru chez Gallimard. L'autrice embarque les lecteurs dans la France coloniale des années 50 et déroule l'histoire à travers les souvenirs reconstitués de Madeleine, jeune femme simple et sans histoire jusqu'à ce que....
Photos, coupons de journaux, vêtements, la narratrice remonte le fil de cette vie à la fois discrète et mélancolique. Elle est l'invitée de
Géraldine Mosna-Savoye et Nicolas Herbeaux.
#littérature #souvenir #memoire
______________
Écoutez d'autres personnalités qui font l'actualité de la culture dans Les Midis de Culture par ici https://youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDrrNrtLHABD8SVUCtlaznTaG&si=FstLwPCTj-EzNwcv
ou sur le site https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture
Suivez France Culture sur :
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture
Twitter : https://twitter.com/franceculture
Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture
Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
+ Lire la suite
Elle a confié un jour à Sophie : « Tu vois, je crois que maintenant je n’aimerais pas être jeune, ça ne m’intéresserait plus. » Et comme Sophie s’en étonnait : « Je ne sais pas. C’était autre chose. Et puis, j’ai eu ma part. Maintenant, je me sens étrangère. »
Un mariage, c'est comme la mort : on ne peut pas en parler puisqu'on le voit toujours de l'extérieur. Personne n'en connaît le secret.
Prigent n’était pas pressé. Il avait des informations à glaner. Il écoutait ce qui se disait. Et ce soir-là, il resta tard. Il bavarda longtemps, paraît-il avec Elizabeth Shermann. Elle était en blanc, elle s’habillait toujours en blanc. Elle n’était plus si jeune, les hommes le voyaient bien, mais la nuit, elle faisait penser à une fleur de frangipanier dans l’ombre. Quand ils se souviendraient d’elle, ils se rappelleraient une fleur de frangipanier dans l’ombre. Prigent, coudes sur les genoux, le menton dans une main, la faisait rire. On entendait ce rire aigu depuis le coin où ils était assis. La tension baissait par degrés. L’orchestre était parti, mais de temps en temps, dans un coin du jardin, une voix d’homme recommençait à chanter :
Je sais bien tu l’adores
Bambino, Bambino
Il y avait des applaudissements et des rires.
Nous n'avions pas le droit d'avoir des Barbies :jouer avec des Barbies risquait de nous causer, plus tard, de graves problèmes psychologiques.
Je ne vois pas l'intérêt pour des enfants de votre âge de jouer avec des poupées qui ressemblent à des femmes américaines de 40 ans . Les enfants doivent jouer avec des enfants.
Nous faisions la tête.
Vous serez jolies, plus tard avec cette tête là!
L'original est une photographie carrée à bords dentelés qui tient dans le creux de la main ,une photo prise avec un appareil Kodak. Les photos de l'époque m'ont toujours fait penser aux Petits beurres Lefebvre Utile. Est-ce à cause de leur format ou de nos origines nantaises? les deux sans doute . ou parce que grand-mère avait l'habitude de ranger les photos de famille dans une vieille boîte de biscuits LU, une ancienne boîte d'assortiment dont le couvercle représentait un genre de sirène art déco à cheveux roux entouré de guirlandes et de fleurs .
C'était toute la paix qu'on peut parfois, à certains moments, retirer de la vie, cette paix fragile , si provisoire que nous avons si peur de perdre , dont on goûte, certains soirs , le sentiment si blessant, si aigu: un temps comme arrêté, une fin d'été, des bruits de voix dans un jardin, une lampe allumée à une fenêtre.
Qui nous connaît vraiment ? Nous disons si peu de choses, et nous mentons presque sur tout. Qui sait la vérité ? Ma sœur m’avait-elle vraiment dit la vérité ? Qui la saura ? Qui se souviendra de nous ? Avec le temps, notre cœur deviendra obscur et poussiéreux comme le cabinet de consultation du docteur Zhang.
Une salle d’attente où on attendait toute sa vie. Aucun bruit de l’autre côté. Aucun signe.
Je sentais une sorte d’angoisse. Je me disais toujours : Si elle s’était trompée ? Qui est-ce que j’attends, moi aussi ? Qui, pour moi, est venu ?
" Mais elles se taisaient .
Elles avaient peur que l'une dise: elle a changé, tu ne trouves pas? Parce que la remarque aurait pu s'appliquer aussi à elles, dans une certaine mesure, il était indéniable que depuis 81, elles aussi avaient changé. Elles préféraient ne pas creuser cet aspect des choses. "
Elle rêvait certainement d'être une pianiste élégante et raffinée que les hommes admireraient. Elle était peut-être amoureuse de son professeur de piano. Un classique.
Et malheureusement, le professeur de piano dirait : " Ce n'est pas fameux ; mais pas fameux du tout."
C'était ainsi, la vie ; on essayait de porter vaillamment ses rêves ou ceux des autres.
Qui nous connaît vraiment ? Nous disons si peu de choses, et nous mentons presque sur tout. Qui sait la vérité ? Ma sœur m'avait-elle vraiment dit la vérité ? Qui le saura ? Qui se souviendra de nous ? Avec le temps, notre cœur deviendra obscur et poussiéreux comme le cabinet de consultation du docteur Zhang.