Trailer de Kanikosen (2009)
Juste au-dessus de leur tête, le hurlement de la sirène les interrompit. Ils levèrent les yeux vers l’énorme cheminée en surplomb au-dessus d’eux, large comme un baquet à bain, qui par un effet d’optique leur semblait chanceler. La sirène émanait d’un sifflet en forme de casquette allemande, saillant du ventre de la cheminée. Que son cri était funeste au milieu de la furie des bourrasques ! – Les chaloupes sorties au loin pour la pêche devait se fier à son signal ininterrompu pendant qu’elles luttaient contre la tempête pour retrouver le navire.
Chapitre III
C'étaient des hommes qui autrefois avaient travaillé dans les champs avant le lever du jour, mais comme leur labeur ne suffisait pas à nourrir tout le monde, ils avaient été forcés de s'en aller. Au pays, seul restait le fils aîné - et même comme ça, il n'avait pas de quoi manger; on envoyait les filles à l'usine, le deuxième et le troisième fils travailler un peu n'importe où. Comme quand on met des fèves à griller dans une casserole: ceux qui étaient de trop étaient projetés dans tous les sens, bien obligés de quitter leur terre pour échouer en ville.
Pour consolider les parois des galeries, on superposait des pans de chair de mineurs, comme des tranches de thon rouge en sashimi.
L’éloignement des villes était, là aussi, un prétexte bien commode pour justifier les pires atrocités. Dans les chariots de charbon, on retrouvait parfois des pouces ou des auriculaires amalgamés au minerai.
"Si y a une prison pire qu'ici, j'demande à la voir !
- Quand on racontera ça au pays, personne ne nous croira, hein ?
- Bien vrai ! C'est pas imaginable."
Les bateaux pour la pêche au crabe, tous partis en même temps de Hakodate, s’étaient peu à peu éloignés les uns des autres. Mais lorsque le navire montait brusquement sur une crête, on pouvait apercevoir au loin deux mâts qui se balançaient, semblables aux deux bras levés d’un noyé. […]
Le bateau secouait violemment comme un cheval qui se débat pour se débarrasser d’un taon accroché à son dos.
Chapitre II
L'entreprise de pêche prenait d'infinies précautions dans le recrutement des hommes. Ils demandaient aux maires des villages et aux chefs locaux de la police de leur recommander des "jeunes gens modèles". Afin que tout soit irréprochable, et que rien ne vienne gripper l'engrenage, ils sélectionnaient des travailleurs dociles qui ne s'intéressaient pas aux syndicats. Mais finalement le "travail" tel qu'il était organisé à bord des bateaux-usines aboutissait au résultat inverse de celui qu'ils recherchaient. Les conditions de travail intolérables poussaient irrémédiablement les travailleurs à se rassembler - à se syndiquer. Les capitalistes, tout "irréprochables" qu'ils fussent, n'avaient malheureusement pour eux pas assez de discernement pour comprendre ce paradoxe.
Un étudiant attiré depuis Tôkyô par les recruteurs grommelait que ce n’était pas ce qu’il avait imaginé.
« Rien que des boniments ! Ils avaient dit que je pourrais dormir seul.
- Eh bien tu vois, c’était vrai : on dort ‘seuls’. En bons célibataires ! »
Ils étaient dix-sept ou dix-huit ex-étudiants. On leur avait avancé soixante yens au départ, mais une fois payé le billet de train, les frais de pension, le couchage, et bien sûr la commission du recruteur, ils s’étaient retrouvés endettés (!) de sept ou huit yens chacun avant même d’avoir foulé le pont du bateau.
Chapitre III
Chapitre VI:
""Moi aussi, j'ai été stupéfait d'apprendre ça, mais on m'a raconté qu'en fait, toutes les guerres menées par le Japon, si on gratte un peu pour voir ce >qui se cache au fond du fond, eh bien dans tous les cas, elles ont toujours été décidées par deux ou trois gros riches ( mais alors des très très riches), et pour le prétexte, ils trouvent toujours quelque chose. Ces types-là, quand ils guignent une zone prometteuse, ils font des pieds et des mains pour l'avoir. - On est mal barrés."
Tous les bateaux-usines étaient délabrés. Pour un patron dans son bureau de Tokyo, qu'est-ce que la mort de quelques travailleurs en mer d'Okhotsk ? Quand le capitalisme ne peut se plus satisfaire des seuls revenus ordinaires, pour peu que les taux d'intérêts baissent et que les liquidités affluent, il se lance dans une folle course en avant. Alors, au sens propre, tous les moyens sont bons. Pas étonnant que ces gens affectionnent tant les bateaux-usines, qui rapportent facilement des centaines de milliers de yens.
Les bateaux-usines étaient des "usines" avant d'être "navires". La loi sur la navigation ne s'y appliquait donc pas. On choisissait pour cet usage des épaves laissées à l'abandon pendant plus de vingt ans, avant d'être repeintes et vendues à Hakodate, telle des prostituées syphilitiques dissimulant leur disgrâce sous d'épais fards.
[...]
Et puis, si les bateaux-usines étaient bel et bien des "usines" ils échappaient cependant aussi à la loi sur les établissements industriels. Formidable ! On pouvait tout y faire à sa guise.
Alors dis-moi donc, à qui il est ce bateau ? Il est à l'entreprise qui paie pour le faire marcher. Celui qui donne des ordres ici, c'est le patron, Monsieur Suda. Et puis ma pomme ! Toi qu'est là à prendre des airs de monsieur le capitaine, tu vaux même pas le papier des chiottes. Tu comprends ça ? Et ne t'avise pas de t'occuper de ce qui ne nous regarde pas ! Si on t'écoutait, on perdrait une semaine ! Qu'est-ce que tu crois ? Essaie un peu de nous retarder ne serait-ce que d'un jour pour voir ! Et puis, le chichibu-maru, il est assuré pour une somme astronomique qui ne vaut même pas. Ce rafiot rapportera plus en faisant naufrage.