« - Ilam… Ça n’a pas l’air d’aller très fort aujourd’hui.
- J’en ai marre. Ça me gave. J’veux rentrer chez oim, on est en chienneté ici.
- En chienneté ?
- En chienneté, en chien quoi. On est traité comme des chiens ici ».
Pendant quatre ans, Bast a animé des ateliers d’écriture et de BD au Quartier des mineurs de la Maison d’ Arrêt de Gradignan (Gironde). A raison d’une séance hebdomadaire et de 4 détenus par séance, Bast est parvenu à créer un espace artistique pour ces jeunes en manque de repères.
C’est le récit d’une expérience particulière qui m’a permis de passer de l’autre côté des murs et d’être témoin d’un drôle de microcosme régulé et cloisonné
(propos de l’auteur, extrait du Quatrième de couverture)
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Bast est un ancien Professeur d’Arts plastiques en Collège. Il devient auteur de bédé assez tôt puisqu’il publie son premier album en 1999 (à l’âge de 25 ans). En 2004, le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) de Gironde le sollicite pour animer un atelier BD en milieu carcéral auprès de jeunes âgés de 15 à 17 ans. La proposition a de quoi surprendre… et justifie pleinement quelques appréhensions. Il anime la première séance d’atelier la semaine suivante. A une fréquence hebdomadaire, il intervient ainsi en milieu carcéral jusqu’à la fin de l’année 2007. Durant ces quatre années, il a créé un espace d’expression libre, un lieu convivial et sans jugement… pas évident dans un tel contexte.
Depuis plusieurs années,
Bast avait envie de parler de ce vécu professionnel dans un album.
Un ouvrage très différent de ceux qu’il a publiés jusque-là. On sent que l’auteur a été marqué par cette expérience ; il s’est enrichit au contact des délinquants qui ont fréquenté son atelier. Il porte sur eux un regard à la fois amusé, complice et très critique. Certains ont suscité chez lui de l’empathie, un sentiment que l’auteur a gardé en lui et qui est ici parfaitement retranscrit.
D’anecdotes en anecdotes, Bast partage avec son lecteur des moments forts qui l’ont marqué durant ces années. La composition narrative est intéressante. La présence de Bast est discrète. On ne le verra jamais. Il n’est présent que par le biais d’une voix-off. Il utilise régulièrement quelques phylactères pour énoncer quelques consignes d’exercices ou pour réagir à un échange. Les jeunes en revanche interagissent en permanence, lancent des boutades, règlent leurs comptes, se plaignent de leur conditions de détention, parle d’eux et de leurs familles…
Seule la scène introductive se passe en extérieure. Bast décrit son premier trajet vers le Quartier des mineurs, l’attente, le contrôle d’identité, les passages des portes… Le reste de l’album se passe dans la salle d’activité. On n’en sortira pas, à l’instar de ces gamins enfermés pour des actes répréhensibles… l’enfermement leur permettra-t-il réellement d’en comprendre la gravité ? Plus qu’une simple description du quotidien en milieu carcéral, En Chienneté propose une réflexion de fond sur la détention, ses enjeux individuels et sociétaux, son coût. Surpopulation des établissements de détention, vétusté des bâtiments, maigres perspectives de réinsertion… Au-delà de ça, c’est aussi une réflexion sur l’Art et sa place dans nos sociétés. La pertinence de permettre l’existence de telles activités culturelles, où le dessin n’est autre qu’un support intermédiaire utilisé à des fins de socialisation. Il s’agit également, ici, de leur donner envie de dessiner pour s’échaper de leur quotidien aliénant.
Au premier abord, l’ambiance graphique d’En chienneté surprend un peu. Le vert opaline omniprésent met à mal. On ressent tout d’abord l’austérité du lieu puis, à force de côtoyer ces adolescents et à force d’écouter la voix de l’auteur-narrateur, l’atmosphère devient sereine. J’ai été frappée par le dessin de Bast qui n’hésite pas à donner à ces jeunes détenus l’apparence d’adultes.
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