Cette bande dessinée est une réconciliation. Réconciliation de deux rives, de deux passés, de deux histoires. Un travail de mémoire sur la guerre passée pour la paix à venir. On pourrait même changer le titre de l'ouvrage et l'intituler "Algérienne 1954-2018".
Bande ou frise?
Le dessin est très beau, on reconnaît la qualité des travaux de Deloupy ici, qui tient parfois de la photographie. Il n'est ainsi pas surprenant de trouver un remerciement envers un photographe pour la première vignette de la page 70 en fin d'ouvrage. On retrouve également cette dimension dans la bande dessinée Le photographe d'E.Guibert, de D.Lefèvre et F.Lemercier (2003) qui, elle, ne triche pas (ce sont de vrais photographies).
Le récit, quant à lui, est finement mené, balisé et retrace les grandes lignes de la guerre. On ne s'étonne pas de voir les travaux de Raphaelle Branche ou le brûlot d'Henri Alleg (La Question) à l'occasion du passage sur la torture. Cela montre tout le travail mené, symbolisé par la richesse de la bibliographie.
On pourrait même lire cette bande dessinée comme on regarderait un film. Un beau film sur la convergence des mémoires, sur l'apaisement, sur ce que peut effacer le temps sur des blessures (familiales) de guerre.
Radicaliser le récit
Toutefois, si le récit est bien mené et documenté, on regrette cette quasi obsession égalitaire: faire une histoire à parts égales est sans doute également, et paradoxalement, l'utilisation de l'asymétrie pour compenser le regard occidental, et donc miser davantage sur l'équité de l'histoire. En cela, on aurait pu prendre, non pas un parti-pris historique mais mémoriel, car c'est bien le coeur de l'histoire...
La mémoire. Là où la mémoire peut oublier jusqu'à la maladie, se tromper jusqu'à s'écrire en pure fiction, se passionner dans de belles émotions et photographies jaunies ; l'histoire,elle, est d'abord une rigueur, une profession (celle d'historien), une vérité. L'histoire de la guerre d'Algérie en bande dessinée a déjà été faite par Benjamin Stora et Sébastien Vassant (2016). On aurait pu espérer de cette version féministe et féminisée une radicalité prononcée.
En clair, suivre le destin d'une combattante du FLN qui n'aurait pas été à ce point équilibré par l'Occident, c'est-à-dire singulariser le récit, le faire tanguer (car la mémoire tangue en traversant la Méditérranée) d'un côté. De cette radicalisation, une belle analogie était possible: écrire et dessiner les Algériennes de la même manière que fut la guerre d'Algérie et ses rebonds contemporains: des tentations, des paradoxes, des doutes et culs-de-sac, des oublis.
Un appel au calme
Ces bulles formées par Swann Meralli et Deloupy se raccrochent donc fidèlement et sérieusement (sans doute trop) à une convergence, à un apaisement dans un passé qui ne "passe pas" encore. Cet appel au calme est sans doute la mission principale de l'histoire, dévolue à une profession (celle d'historien). J'attends (et j'utilise le je) des autres supports ludiques de la fiction (car l'histoire est une fiction qui ne joue pas) une certaine radicalité.
Ainsi, une bande dessinée aussi photogénique peut également donner un destin singulier et radicaliser son récit, tanguer, prendre l'eau, car après tout, la pellicule est une bande de mémoire(s), même en s'adressant à la jeunesse.
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