Citations de Dominique A (83)
Rennes n'était pas loin, cent kilomètres tout au plus, mais cette distance nous paraissait infinie. Un monde existait en effet entre l'effervescence musicale rennaise, qu'incarnaient Marc Seberg, Étienne Daho et quelques autres, et la stagnation à laquelle la scène nantaise semblait condamnée, elle qui n'abritait aucune formation digne de se diffuser hors les murs.
Je vins à Rennes de plus en plus souvent. J'y avais lié des amitiés, et j'y répétais ou enregistrais régulièrement. Je n'y croisai jamais Philippe, ni ne cherchai à le revoir, mais je le savais là, pensais à lui, et souvent, en marchant dans les rues à la nuit tombée, je me sentais comme immergé dans certaines de ses chansons. Elles en étaient l'écho nocturne parfait.
Marquis de Sade a toujours été un groupe intimidant. Il était finalement plus simple de se raccrocher aux émanations de celui-ci après sa dissolution, Marc Seberg dès leur second album ou Octobre : leurs répertoires respectifs étaient moins âpres, plus aimables pourrait-on dire. Mais la trace laissée était indélébile. On en parlait comme de notre Velvet à nous.
LASSITUDE
Il sera dit
que la lutte est sans fin
le dernier grain de sable
dans le dernier recoin
m'échappera toujours
Le plus décourageant
c'est qu'une fois poussière moi-même
je ne serai plus là
pour balayer
ALCHIMIE NÉGATIVE
Quand je l'ai pensé
tout était clair
quand je l'ai écrit
plus du tout
- rien bu pourtant-
Ce qui nous traverse nous fuit
L'or devient plomb
tant il y a loin
de la pensée à la main
VILLE UN JOUR DÉTRUITE
Il fait du bien, l'air du bout de l'avenue
sous les arbres pas même centenaires
avec la mer qui se protège
comme elle peut
De là les sous-marins partaient
seule la pierre lourde a tenu
tout le reste
a été balayé
par des milliers de bombes aveugles
La désolation
a vécu
mais il en reste encore un peu
dans les rues droites
les balustrades
les gens rares sur les grands trottoirs
et cette drole d'église
comme posée là après
Alors la tête lourde que j'ai aujourd'hui
vraiment, à côté
ce n'est rien
CERCLE
La tristesse des villes
imprime sur les gens
dont la tristesse imprime
sur les villes
Une allée de platanes
face aux murs en crépi
un silence d'impasse
et de devanture sale
Un visage ébauche une lumière
que le décor éteint
La tristesse des gens
imprime sur les villes
dont la tristesse imprime
sur les gens
BROUILLARD, D'UN TRAIN
Il n'y a plus d'eau
plus de fleuve
que le brouillard
çà et là des piquets
à demi absorbés
de vagues arbres
attestant quand même
d'un monde par en dessous
sous la nappe translucide
que traverse le train qui va
sans autre but apparent
que de tracer dans le vide
Le voile se lève
au bout d'un temps
comme on arrive au Mans
Puis à nouveau les choses
les maisons et les gens
sont engloutis
comme ça finit toujours
Mais là on le voit
on le voit vraiment
et ça ne paraît pas si terrible
pas si terrible
MARGE
Flux des gens
aux gestes pleins de certitudes
ne doutant pas
du bien-fondé de leurs pas
dans la ville
Tout le décor invite
à se perdre ou à oublier
qu'on est perdu
Se fondre ou s'extraire
pas d'entre-deux
Et moi sur un banc
traçant des signes
je me détache du flux par orgueil
ou incapacité
la peur est mon pays. Peut-on l’écrire au titre du lieu de naissance sur la carte d’identité ? Ça me dédouanerait de mon incapacité à être courageux.
la vulgarité afflige ma tante, elle la ramène peut-être à une autre époque, avec la pauvreté tout autour d’elle, les gueules ravagées par l’alcool, la promiscuité, a sept dans un deux-pièces porte de Clignancourt, et la guerre, les privations. la famille revient de loin, et c’est elle qui a impulsé le mouvement vers une vie meilleure, donné l’exemple. Jacqueline compte sur nous tous pour être dignes de cette échappée, hors la pauvreté. Elle compte sur moi.
L'homme à abattre
Les gens sont de plus en plus jeunes
Sapé comme un bourgeois
dans mon trois-quarts
l'air du sexagénaire que je serai bientôt
complice du réchauffement
du désastre néolibéral
et de l'absence d'empathie
je suis l'homme à abattre
Cet homme
Cet homme
a une histoire
qu'il veut me raconter
Il veut sans doute
de l'argent
mais veut d'abord
que j'écoute
Il vient de loin
renié par sa famille
sa mère
ne répond plus
Il n'a nulle part
me montre des papiers
des preuves
froissées
Il a dû partir ce matin
de là où il dormait
plus possible
plus le droit
et trop d'hostilité
dans le dortoir
avec les Blancs
Il vise l'Italie
moins raciste pense-t-il
mais lui manque l'argent
Je lui en donne
et il sort de ma vie
Mais il n'en sort pas
Il y entre
figé
par le souvenir
tandis que lui bouge
bouge
- où aujourd'hui ? -
car il l'a dit, il n'a
nulle part
Et comment comprendre
ce que c'est
quand on a soi-même
quelque part
et qu'on ne mesure pas ce que c'est
d'avoir
autant
Retour inutile (extrait)
3.
Que faire d'un jour de plus
dans une ville
que j'aime ne pas aimer ?
Marcher le sac rempli
de livres que je lirai
peut-être pas
m'asseoir pour boire
pour égayer cette liberté
dont je ne sais plus quoi faire
enfant gâté
d'une solitude
et d'une poignée de temps
imméritée
Intraitable
Un jour parfait
ne donne pas de poème
Il renâcle
Ainsi ce 17 décembre
à l'hôtel Ar Men Du
le plus beau des sentiers
la mer, un crépuscule
un amour
rien n'y fait
Sa perfection est à ce prix
Il vise l’Italie
moins raciste pense-t-il
mais lui manque
l’argent
Je lui en donne
et il sort de ma vie
Mais n’en sort pas
NON-PROPRIÉTÉ
Il n’est écrit nulle part
sur le sol
que des pieds ne peuvent s’y poser
La terre n’a pas de mots
pour barrer un chemin
La route accepte toute empreinte
mais ne garantit pas
qu’elle y demeure
Et nous serions
riches d’un sol ?
Riches ou pauvres
nous partons un jour
sans rien
à peine si le sol
s’en aperçoit
Ici les menaces finissent
sur un récif
On le sait pourtant
les eaux montent
Acquis
Je retiens peu des jours passés
et je veux bien
retenir encore moins
Mais qu'on n'en déduise pas
que je n'ai rien appris
J'ai chaque jour une idée
de ce qui se perd en chemin
Rien qu'à être
Sur mon chemin
mille êtres vivants
que je vais sacrifier dans l'heure
rien qu'à être
rien qu'à marcher