Citations de Erasme (180)
[Les hommes] donnent à la folie tant de formes différentes, ils en inventent chaque jour un si grand nombre de nouvelles, que mille Démocrites suffiraient à peine pour rire de leurs extravagances : et ces mille Démocrites, s’ils existaient, pourraient bien fournir eux-mêmes de quoi rire à quelque autre nouveau Démocrite.
…L’infirmité de la sagesse.
Moins on a de sagesse, plus on est heureux
A ceux qui trouvent cette conduite parfaitement ridicule, je conseillerais de se poser une question : ne vaut-il pas mieux couler des jours au goût de miel grâce à la folie, plutôt que chercher, comme on dit, la poutre pour se pendre ?
Peut-on aimer quelqu'un si l'on se déteste soi-même ? S'entendre avec autrui si l'on est en désaccord avec soi-même ? Procurer du plaisir à quelqu'un si l'on est pour soi-même un insupportable fardeau ?
Suivant la définition des stoïciens, la sagesse consiste à prendre la raison pour guide ; la folie, au contraire, à obéir à ses passions ; mais, pour que la vie des hommes ne soit pas tout à fait triste et maussade, Jupiter leur a donné bien plus de passions que de raison.
L’art d’instruire consiste en plusieurs parties, dont la première et la principale est que l’esprit encore tendre reçoive les germes de la piété ; la seconde, qu’il s’adonne aux belles-lettres et s’en pénètre à fond ; la troisième, qu’il s’initie aux devoirs de la vie ; la quatrième, qu’il s’habitue de bonne heure aux règles de la civilité. C’est cette dernière partie que j’ai aujourd’hui choisie pour sujet ; d’autres se sont occupés des trois premières et moi-même j’en ai traité maintes fois. Quoique le savoir-vivre soit inné chez tout esprit bien réglé, cependant, faute de préceptes formels, des hommes honnêtes et instruits en manquent parfois, ce qui est regrettable. Je ne nie pas que la civilité ne soit la plus humble section de la Philosophie, mais (tels sont les jugements des mortels) elle suffit aujourd’hui à concilier la bienveillance et à faire valoir des qualités plus sérieuses. Il convient donc que l’homme règle son maintien, ses gestes, son vêtement aussi bien que son intelligence. La modestie, voilà ce qui convient surtout aux enfants, et principalement aux enfants nobles : or, il faut réputer nobles tous ceux qui cultivent leur esprit par la pratique des belles-lettres. Que d’autres fassent peindre sur leurs écussons des lions, des aigles, des taureaux, des léopards : ceux-là possèdent plus de vraie noblesse, qui pourrait orner leurs armoiries d’autant d’emblèmes qu’ils ont cultivé d’arts libéraux.
L'homme ne naît pas homme, il le devient.
Le Christ, dans les psaumes sacrés, dit à son Père : « Vous connaissez ma folie. »
(…)
Sa compagnie de prédilection est celle des petits enfants, des femmes et des pêcheurs. Même parmi les bêtes, il préfère celles qui s’éloignent le plus de la prudence du renard. Aussi choisit-il l’âne pour monture, quand il aurait pu, s’il avait voulu, cheminer sur le dos d’un lion ! Le Saint-Esprit est descendu sous la forme d’une colombe, non d’un aigle ou d’un milan. L’Écriture sainte fait mention fréquente de cerfs, de faons, d’agneaux. Et notez que le Christ appelle ses brebis ceux des siens qu’il destine à l’immortelle vie. Or, aucun animal n’est plus sot ; Aristote assure que le proverbe « tête de brebis », tiré de la stupidité de cette bête, s’applique comme une injure à tous les gens ineptes et bornés. Tel est le troupeau dont le Christ se déclare le pasteur. Il lui plaît de se faire appeler agneau lui-même, C’est ainsi que le désigne saint Jean: « Voici l’agneau de Dieu ! » et c’est la plus fréquente expression de l’Apocalypse.
Que signifie tout cela sinon que la folie existe chez tous les mortels, même dans la piété ? Le Christ lui-même, pour secourir cette folie, et bien qu’il fût la sagesse du Père, a consenti à en accepter sa part, le jour où il a revêtu la nature humaine et « s’est montré sous l’aspect d’un homme », ou quand il s’est fait péché pour remédier aux péchés. Il n’a voulu y remédier que par la folie de la Croix, à l’aide d’apôtres ignorants et grossiers ; il leur recommande avec soin la Folie, en les détournant de la Sagesse, puisqu’il leur propose en exemple les enfants, les lis, le grain de sénevé, les passereaux, tout ce qui est inintelligent et sans raison, tout ce qui vit sans artifice ni souci et n’a pour guide que la Nature.
Il les avertit de ne pas s’inquiéter, s’ils ont à discourir devant les tribunaux ; il leur interdit de se préoccuper du temps et du moment et même de se fier à leur prudence, pour ne dépendre absolument que de lui seul.
Voilà pourquoi Dieu, lorsqu’il créa le monde, défendit de goûter à l’arbre de la Science, comme si la Science était le poison du bonheur. Saint Paul la rejette ouvertement, comme pernicieuse et nourricière d’orgueil ; et saint Bernard le suit sans doute, lorsque, ayant à désigner la montagne où siège Lucifer, il l’appelle : Montagne de la Science.
Voici sans doute une preuve qu’il ne faut pas oublier. La Folie trouve grâce dans le Ciel, puisqu’elle obtient seule la rémission des péchés, alors que le sage n’est point pardonné.
Écartons les sages, qui taxent d'insanité et d'impertinence celui qui fait son propre éloge. Si c'est être fou, cela me convient à merveille. [...] je déclare qu'on a raison de se louer soi-même quand on ne trouve personne pour le faire.
Les femmes courent après les fous ; elles fuient les sages comme des animaux venimeux.
Mais les hommes, crois-moi, ne naissent point hommes, ils le deviennent par un effort d'invention.
Je me réfugie comme dans un port, dans la cour des princes. Chez eux, il y aura à coup sûr, me dis-je, un lieu pour la paix ; ils sont plus sages que la foule... Mais les princes sont des grands, non des intellectuels et les passions les conduisent plus que le droit jugement de l'esprit !
Je vais me réfugier chez les intellectuels... Mais, ô douleur, voilà un autre genre de guerre. Telle école est en dissidence avec telle autre. Certaines connaissances ne traversent pas la mer, certaines ne passent pas les Alpes...
Que reste-t-il sinon la religion...(mais) il y a autant de factions que de confréries...
Quelles promesses n'offrent pas une demeure (conjugale) commune, une fortune commune, un lit commun, des enfants communs... Mais là encore cette abominable Discorde s'est insinuée...
Finalement, j'en vins à désirer de trouver simplement place dans le coeur d'un seul homme. Mais cela même je ne l'ai pas obtenu, car l'homme se combat lui-même. La raison entre en guerre contre les sentiments...
Ce qui distingue le fou du sage, c'est que le premier est guidé par les passions, le second par la raison
La nature n’a pas traité avec prodigalité cet homme riche en intelligence, elle ne l’a pourvu que d’une faible dose de vitalité et de vigueur, d’un petit corps fluet surmonté d’une tête étroite ;
ses mains anémiques ont la transparence de l’albâtre ; ses yeux sont trop petits et leur regard est voilé malgré leur intensité lumineuse.
On se représente difficilement ce jeune savant montant à cheval, nageant, faisant des armes, badinant avec les femmes ou leur faisant la cour, assailli par le vent et la tempête, parlant haut et riant aux éclats.
Cette fine figure de moine, un peu desséchée, fait tout de suite penser à des fenêtres fermées, à la poussière des livres, à des journées d’étude et à des nuits de veille ; aucune chaleur, aucune énergie ne se dégage de ce visage d'ascète laborieux. C’est le visage d’un homme dont la vie n’est pas dans le corps mais dans la pensée.
Parfois, cependant, un rayon de bonne humeur vient adoucir pendant un moment le regard froid et résigné du sage ; alors il sourit, et ce sourire répand sur le monde une ironique clarté.
Il ne peut y avoir chez moi ni fard ni dissimulation quelconque, et jamais on n'aperçoit sur mon front les apparences d'un sentiment qui n'est pas dans mon coeur. (p.17)
[ Un jour qu'on lui reprochait avec grossièreté son manque de bravoure, il fit en souriant cette réponse souveraine :]
-- Voilà qui serait un terrible reproche si j'étais mercenaire. Mais je suis un savant et la paix est nécessaire à mes travaux.
Nous avons voulu avertir, et non mordre ; être utile et non offenser, réformer les moeurs humaines, et non scandaliser.
-Lettre à Dorpius
L'esprit de l'homme est ainsi fait qu'on le prend beaucoup mieux par le mensonge que par la vérité.
Peut-on aimer quelqu’un, quand on se hait soi-même ? Peut-on vivre en bonne intelligence avec les autres quand on n’est pas d’accord avec son propre cœur ? Peut-on apporter quelque agrément dans la société, quand on est ennuyé et fatigué de sa propre existence ?