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Critiques de Agata Tuszynska (27)
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Le jongleur

Toute sa vie, Romain Gary aura brouillé les pistes, reconstruisant sans cesse son personnage, accumulant les affabulations, se dédoublant en multiples identités, faisant en définitive de son existence un véritable matériau créatif, malléable, sublimable jusqu’à l’oeuvre d’art. Jusqu’à s’y perdre aussi, pris à son propre piège. L’universitaire, journaliste et écrivain polonaise Agata Tuszynska, connue pour ses biographies et ses récits d’inspiration autobiographique, évoque le parcours de ce « jongleur » d’exception, aviateur et Compagnon de la Libération, diplomate et écrivain aux deux prix Goncourt, dans un récit documenté où se mêlent des éléments de sa propre histoire.





Roman Kacew, Romain Gary, Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat, Emile Ajar : le romancier s’est si bien démultiplié pour mieux se réinventer qu’il a fini par se retrouver menacé par son propre double. Bien avant ce summum de la mystification, il n’avait cessé de réécrire ses différents rôles, se choisissant une ascendance tartare et une filiation avec le comédien et réalisateur russe Ivan Mosjoukine, s’affirmant demi-juif seulement et fils unique sans père. D’ailleurs, qui ne connaît l’amour follement fusionnel, au coeur de La promesse de l’aube, qui l’unit si exclusivement à sa mère ? Pourtant, l’écrivain avait bel et bien des demi-frères et sœur, dont il ne parla jamais : Walentyna et Pawel, issus des secondes noces de son père Leïb Kacew et morts adolescents en déportation, mais aussi Josef, enfant d’un premier mariage de sa mère Mina, et qui, lorsque Roman avait huit ans, vécut un an sous leur toit, à Wilno en Pologne – aujourd’hui Vilnius en Lituanie.





Rendue particulièrement sensible, par ses propres origines et par les silences de sa mère rescapée du ghetto de Varsovie, au vécu du jeune Roman, sauvé quant à lui par leur départ pour Nice, sa mère et lui, en toute fin des années 1920, Agata Tuszynska a fouillé les archives, parcouru les lieux sur les traces de l’enfant, du jeune homme, puis de l’homme et des siens. Avec autant de méthode que d’empathie et de finesse, elle lève les zones d’ombre, rectifie les mensonges et les omissions tous révélateurs de vérités psychologiques profondes, reconstitue dans toute sa complexité la personnalité de Gary, ses formidables ressorts en même temps que ses failles et blessures. Loin de la biographie distanciée, son récit la voit s’impliquer personnellement, s’adresser à l’écrivain comme si elle lui tendait le miroir qui le dévoilait conteur de son propre mythe, enfin en dresser un portrait sans concession, débarrassé de sa sublimation romanesque. Toujours, dans cette narration, le parcours de Gary apparaît marqué à l'encre indélébile de l'Histoire, plus précisément, - et c'est là que le vécu de l'auteur contribue à sa perspicacité - à jamais infléchi par la déflagration de la Shoah et par ses répercussions sans fin sur la mémoire et la manière d’être des survivants et de leurs descendants.





A la fois très personnel et solidement étayé par un important travail d’enquête et de documentation, le regard hautement empathique d’Agata Tuszynska fait place nette des idées reçues pour un portrait réaliste, en tout point fascinant, d’un homme qui, non content de son destin déjà exceptionnel, s’attacha constamment à le réécrire.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le jongleur

Librairie les Mots et les choses- Boulogne-Billancourt / 25 novembre 2023--12 janvier 2024





Déjà 1 mois et demi... que j'ai achevé ce "pavé biographique" épatant; einième biographie du "caméléon" Romain Gary; même Dominique Bona, devant la fascination éprouvée devant cet écrivain et la complexité de la tâche, avoue dans

" Mes Vies secrètes" que son engouement pour le travail de biographe et d'enquêteur, lui est venu devant "ce cas atypique"de l'auteur de la "Vie devant soi" et de "La Promesse de l'aube" ...



"Hormis quelques dates, nous ne sommes sûrs de rien.



Il est né en 1914 à Vilna sous le nom de Roman Kacew.

Il est mort en 1980 à Paris sous le nom de Romain Gary.

Citoyen du monde déraciné qui n'a jamais trouvé de chez soi.



Écrivain, aviateur, diplomate, Don Juan moderne. (..)



Il se référait souvent au caméléon.

Le caméléon prend la couleur de l'endroit où il se trouve. Pour sa sécurité. On le met sur un tapis rouge, il devient rouge, on le met sur un tapis vert, il devient vert, blanc sur du blanc.Mais une fois sur un tapis écossais, il devient fou.Gary disait, catégorique : c'était ça ou devenir écrivain."



Une lecture captivante; une biographie des plus impressionnante de par ses multiples questionnements, et sa documentation spécialement riche !

Parallèlement, ce qui m'a le plus intéressée, hormis le parcours des plus mouvementés de l'écrivain qui "jongle" à longueur de temps avec ses multiples visages, ce sont les interrogations très intéressantes de l'auteure face "au travail du biographe", tout à fait unique et spécial, en son genre !



Comment tel auteur subitement s'implique plusieurs années durant , dans la "peau d'un ou d'une autre " pour devenir comme son ombre ? Qu'est ce qui le pousse à s'épuiser dans une tâche aussi délicate et dévorante ?!



Dans la situation présente, l'auteure nous explique en partie que les origines et certains des éléments familiaux de l'histoire de Romain Gary font écho à sa propre enfance : fille unique d'une mère juive aussi envahissante que possessive, qui ne refera jamais sa vie avec un autre homme, où sa fille restera l'unique but de son existence. D'où les exigences et poids phénoménal qui pèseront sur ses épaules... Ainsi , à travers ces similitudes avec Gary, elle se sera comme trouver "un Double" !



"D'où vient ce besoin incessant de traquer un auteur ? D'où vient ce besoin de chercher l'homme dans l'artiste, de le mettre à nu, de lui lire dans la main ?

Qu'est-ce qui nous anime ? Pourquoi voulons nous savoir qui il était au quotidien, sous le voile de la nuit ou à la frontière du rêve ?

Nous devons être poussés par la tentation impudique de nous mettre dans la peau du génie. de le percer à jour, de le dominer. Par pure curiosité ou peut-être par envie de l'imiter? À quoi peut servir ce reflet dans le miroir ? À en savoir plus sur nous-mêmes ?"



Une biographe à la fois admirative et lucide vis à vis de la complexité du caractère de Gary, sa personnalité narcissique, dont, il faut reconnaître que l'enfance et la jeunesse n'ont pas été de tout repos, entre l'amour passionné, fusionnel de sa mère pour son fils unique, et son ambition sans limite... Mère Courage, sur-ambitieuse, mais combien personnalité écrasante... Sans omettre le contexte historique terrible; la guerre, les différents exils... sa judaïcité qu'il occulte au maximum !



Je pensais connaître assez bien le parcours de Gary, j'ai toutefois appris de nouveaux éléments, dont ses talents, et pas des moindres, de "polyglotte" et de traducteur, parfois, de ses propres textes !!



Un style plaisant, une mine d'informations... Les questionnements honnêtes , exigeants de l'écrivain me renvoie au récit passionnant d'une spécialiste des biographies, s'interrogeant sur les mêmes questions du rôle du "Biographe" :

"Mes vies secrètes" de Dominique Bona....









***** voir lien: https://www.babelio.com/livres/Bona-Mes-vies-secretes/1098990/critiques/1795140
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La fiancée de Bruno Schulz

Ce n'est pas le premier roman d'Agata Tuszyńska traduit en français mais c'est le premier à être nommé au Prix Femina et Prix Médicis 2015 ce qui m'a motivée à le découvrir. Je savais très peu de choses sur Bruno Schulz, auteur des fameux recueils de nouvelles "Les Boutiques de cannelle" et "Le sanatorium au croque-mort". J'ignorais l'existence de Józefina Szelińska qui pendant quatre ans a fréquenté l'artiste.



C'est par le prisme de cette liaison que l’auteure aborde la vie et l'oeuvre de cet écrivain et dessinateur polonais d'origine juive. J'ai appris pas mal de choses sur Bruno Schulz, la vie littéraire de la Pologne d'avant guerre, ses contacts avec Witold Gombrowicz, Stanisław Witkiewicz, Zofia Nałkowska, les grandes figures de la vie artistique polonaise de l'époque. L'auteure aborde également le sort tragique des Juifs polonais pendant l'occupation et l'antisémitisme dans la Pologne communiste.



Ce qui est tout de même le plus intéressant dans cette biographie romancée c'est l'aisance avec laquelle Agata Tuszyńska s’immisce dans la vie intime de Juna (Józefina) dont on sait très peu de choses. J'aime bien quand la fiction s’entremêle avec les faits connus, quand l'imagination littéraire comble les lacunes de l'histoire. Agata Tuszyńska le fait à merveille ce qui rend ce roman vraiment passionnant.



Un roman enrichissant et chargé d'émotions que je suis contente d'avoir découvert. Dommage que la version française soit dépourvue de photos et de dessins de Bruno Schulz présents dans l'édition originale.
Lien : https://edytalectures.blogsp..
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La fiancée de Bruno Schulz

Une belle amie libraire, connaissant mon attrait à la lecture et relecture de Kafka et de Gombrowicz, m'a dit un jour "Tu devrais lire Bruno Schulz, il va te charmer à son tour". Mais, sans raison fondée, l'homme m'a fait peur, pauvre petite chose impressionnée ;) . Faute à ses croquis peut-être, l'auteur polonais était aussi un dessinateur de talent...

J'ai bien entendu investi dans un livre mais ai attendu le moment propice, le petit signe du destin qui avertit que le temps de la rencontre est venu.

Et c'est arrivé.

Au détour d'une promenade au Livre sur la place de Nancy, je découvre ce roman : "la fiancée de Bruno Schulz" et son auteur, Agata Tuszynska. Quel meilleur moyen de découvrir cet homme qu'au travers des yeux de celle qui fut sa muse pendant 5 ans ?

Dans une Pologne entre les deux guerres, deux êtres que tout oppose ou presque tissent une relation complexe et puissante. Elle est catholique, grande, jeune et belle. Il est juif, petit et complexé, de 14 ans son aîné. Et pourtant, ils vont se trouver, se retrouver autour des lectures de Thomas Mann et de des poèmes de Rainer Maria Rilke. Ils vont s'aimer, singulièrement. Elle plus que lui ? Je vous le rappelle : complexe.

C'est tout le talent de ce livre, la mise en valeur de cette complexité relationnelle, mise en relief par le parti pris de l'alternance d'une écriture à la 3ème personne (relater les faits avec de la hauteur) et de celle de Juna, à la 1ère personne, tout en subjectivité. Toute sa vie, cette femme sera obsédée par Bruno Schulz, ressassant son amour pour lui, ce qu'elle lui a pu lui apporter mais aussi par sa rancoeur et ses incompréhensions. A un point tel que l'on vient à douter de l'interprétation des faits qu'elle relate, ébranlée par par tous les drames qui jalonnent sa vie, la poussant à la limite de la folie.

Le portrait dressé de Bruno Schulz n'est pas tendre, mais riche en détails pour saisir au mieux son oeuvre, aussi complexe que l'homme. Lumière est faite sur sa ville natale de Drohobycz, terreau de son imagination et theâtre de ses récits, mais aussi sur l'histoire de la Pologne au 20ème siècle, et plus particulièrement sur le sort des juifs polonais, avant pendant et après la 2ème guerre mondiale. Glaçant.

C'est décidé, j'attaque "Le Sanatorium au croque-mort", je suis prête.
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Singer, paysages de la mémoire

En 1978, Isaac Bashevis Singer obtenait le prix Nobel de littérature, étrange destin d'un auteur qui écrivait en yiddish, une langue qui essaye de survivre, et que l'on entend au travers de récits anciens.

Seuls des survivants, et quels survivants, peuvent encore se targuer de la déchiffrer, de la parler, de l'enseigner peut-être.

Les personnages de Singer sont des ombres, qu'une imagination affutée peut encore croiser dans les rues de Varsovie désormais refaite à l'identique de ce qu'elle avait été avant sa destruction.

L'ouvrage des bâtisseurs a quelquefois occulté des pans entiers de mémoires, mais l'essentiel peut s'y retrouver.

Singer a quitté la Pologne avant l'apocalypse, , en 1935, il avait trente ans. Il suivit la trace de son frère aîné Israel Joshua, pour les États-Unis, mais ses histoires restent toutes, à part peut-être Ombres sur l'Hudson, tournées vers la Pologne.

Varsovie, Lublin, Sandomierz, Kaziemirz, Lubartow, Pulawy, Frampol, des noms de village qui signifient beaucoup pour la communauté juive dispersée.

Agata Tuszyńska, dans ce roman, retrace les itinéraires des héros de singer, « Je suis arrivée en retard pour sa mort », écrit-elle.

Singer l'a aidé à retrouver sa "judaïté", longtemps cachées par sa famille (voir une histoire familiale de la peur)

« Isaac Bashevis Singer s’est éteint le 24 juillet 1991, en Floride. Il avait quatre-vingt-sept ans. Depuis quelques années il souffrait d’une maladie qui s’accompagne de troubles de la mémoire. Et pourtant, la mémoire était sa vie, il s’en nourrissait. Il se nourrissait de sa propre mémoire et de celle d’autrui. Lorsqu’il a perdu la mémoire, il s’en est allé. Il est mort sereinement, le regard au plafond. En silence. »

C'est la mémoire de Singer qu'Agata a voulu retrouver, parcourant les chemins de la campagne polonaise, soulevant les pierres des cimetières, interrogeant inlassablement les habitants des villages, les poussant à se rappeler, à ne pas oublier, ce monde disparu que son écrivain fit vivre avec passion.

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Affaires personnelles

1968. Les usines occupées, les manifs étudiantes, les barricades dans Paris. Mais parfois il est intéressant de porter son regard ailleurs, plus à l'est. Mars 1968, en Pologne, c'est une vague d'antisémitisme organisée par le pouvoir en place qui va renverser toute une partie de la population et les pousser à l'exil. Ils partiront en Suède, en France, en Israël. Ou feront le choix de rester quoi qu'il en coûte.

Affaires personnelles c'est un livre d'histoires encore plus que d'Histoire. Tout commence par quelques photos prises sur le quai d'une gare. On célèbre celui qui part dans les larmes et avec soulagement. Et le lecteur va partir à leur rencontre à travers leurs mots, leurs témoignages. Tout est là, le passé, le ghetto, les camps. L'engagement communiste, l'élite intellectuelle d'un pays, le rapport à la judéité et à la Pologne, où l'antisémitisme pointe dans les cours de récré, dans la rue avec cette explosion en mars 1968. L'humiliation d'être jeté hors d'un bus, la peur de devoir se cacher à nouveau. Et l'exil. Des pays accueillant à bras ouverts, la découverte de l'Ouest pour certains, l'apprentissage d'une nouvelle langue, les études, la construction d'une famille. La perte pour beaucoup de la langue polonaise et la volonté pour certaine de reprendre pied dans le judaïsme sans toutefois y parvenir réellement.

Dire que ce livre est passionnant, c'est bien peu. Ce livre est un bijou d'intelligence et d'émotions. J'ai corné les pages, souligné des phrases, dessiné des cœurs dans la marge. J'ai noté un nombre important de références littéraire me disant que définitivement je ne connaissais rien à la Pologne, rien à ce moment de l'histoire.

Mais qu'à chaque exil il y a une valise remplie d'affaires personnelles.
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Affaires personnelles

Récit choral d'un exil collectif, croisement habile entre témoignages et récits collectifs, Affaires personnelles parvient à nous faire comprendre et ressentir un événement historique peu connu : l'exode des juifs de Pologne en 1968. Agata Tuszynska plonge le lecteur dans son matériau très riche et pluriel. Une bande d'amis, enfants de survivants de la Shoah, découvre leur judéité, leur polinité, dans la lutte puis l'exil. Parfois contradictoires, ses voix donnent une image de toute une époque et surtout de la façon dont on y survit.
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La fiancée de Bruno Schulz

J’ai découvert Bruno Schulz lors d’un challenge sur la littérature d’Europe de l’est. Un auteur à part, à la fois romancier et poète. Je ne connaissais rien ou presque de sa vie. Ce livre lève (un peu) le voile sur cet homme, sur sa vie de famille, sur ses amours et ses obsessions.

Il parle aussi d’une figure méconnue : Juna, qui fut sa fiancée. Titulaire d’un doctorat, enseignante, elle survécut longtemps à celui qui n’était plus, au moment de son assassinat, son fiancé. Pourquoi cette rupture, mais surtout, avant, pourquoi ces fiançailles entre ce jeune homme chargé de famille, peintre et écrivain, et cette jeune femme juive convertie au catholicisme.

Ce livre est paradoxal, puisqu’il se lit aisément, tout en montrant à quel point il est difficile de reconstituer la vie de quelqu’un, comme il est même difficile aussi de simplement connaître la vie d’une personne, même si on l’a profondément aimé. Recherche, tâtonnement, transformation par le temps qui passe… Il n’est jamais simple de survivre et surtout, de tenter de vivre dans le souvenir. Il n’est pas facile non plus d’accepter de parler, tant il peut être tentant de garder l’être aimé pour soi seul, quand toute son oeuvre est devenue publique.

Ce livre nous parle vraiment des deux êtres qui donnent leurs noms au titre. La fiancée, qui restera à jamais célibataire, et Bruno Schulz, sa vie, sa mort, son oeuvre. Et la guerre, les persécutions – tout y est.

La fiancée de Bruno Schulz est un livre à lire, et pas seulement pour les passionnés de littérature.
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Une histoire familiale de la peur

Que je me suis accrochée pour suivre ce récit. Cette recherche des origines m’a parue brouillonne, je me suis perdue dans les protagonistes, dans le temps. On ne sait pas ce qui est documenté et ce qui relève de l’interprétation.

En bref, une lecture qui m’a été ardue.

Vivement le prochain
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La fiancée de Bruno Schulz

Dans quelle mesure le souvenir, la mémoire, et l’imagination peuvent-elles concourir à la restitution d’une vie ? Ou la travestir par le mensonge ? C’est ce processus passionnant que décrit Agata Tuszynska dans son roman « La fiancée de Bruno Schulz » .Mais qui est Bruno Schulz ? Nous le découvrons au cours des différentes phases du récit, composé de trois parties distinctes : L’avant-guerre, se déroulant dans la ville de Drohobycz, dans les Carpates polonaises, et à Varsovie, dans les cercles littéraires et artistiques de la ville, la période de l’occupation et l’après-guerre qui clôt le récit .Jozefina Szelinska, dite Juna, muse, compagne de Bruno Schulz, le fréquenta de 1933à 1937. Cette dernière est professeure, elle aime, comme lui, Kafka et Rilke qu’ils lisent tous deux dans le texte.



Ce qui fascine d’emblée le lecteur dans ce roman, c’est de constater que rapidement, d’une manière presque évidente, Bruno Schulz, auteur de nouvelles et de romans, dessinateur, est habité par la peur, des crises d’angoisse, de profonds doutes : « Je ne me rendais pas compte que les rues inconnues le fatiguaient, qu’il était effrayé par le trafic urbain et la foule (…) Il se recroquevillait comme un escargot dans sa coquille de peur que quelqu’un l’écrase .J’ai compris cela trop tard . »

Juna tente aussi de détourner Bruno du judaïsme, pour lui faire rencontrer Dieu par le catholicisme, pour le mettre à l’épreuve, lui et l’amour qu’il éprouve pour elle : « Ce grand et éternel garçon avait besoin de moi, d’une femme mûre, attirante, capable de le guider .Comme Junon. Voire plus encore. »

Bruno Schulz comptait également sur Juna pour dompter ses fantasmes sexuels, et éprouve parallèlement une crainte de l’insistance de Juna à le faire déménager vers Varsovie, lieu plus propice à l’éclosion des talents littéraires que sa ville natale de Drohobycz, marquée par le provincialisme des mentalités .Trop absorbé par son œuvre, trop timoré, trop indécis, Bruno Schulz ne sera jamais en situation d’aimer vraiment Juna .Il meurt, assassiné, pendant l’occupation , qui est traitée dans la seconde partie du livre .On remarquera les passages consacrés à la mise en place de la répression antisémite en Pologne occupée, la description de l’insurrection de Varsovie en 1944 qui a abouti à la destruction totale de cette cité .



Ce qui est à noter dans ce récit, marqué par l’amertume, l’impossibilité des sentiments d’être vécus pleinement en raison d’obstacles personnels, historiques, ou culturels, est l’évocation du monde culturel polonais de l’avant-guerre : il y est évoqué l’activité de Gombrowicz, de Zofia Nalkowska, Wittlin, Wankowicz, Maria Kuncewiczowa, organisatrice de réceptions littéraires .Autre particularité : le récit est fait alternativement à la première et la troisième personne du singulier, lorsqu’il s’agit de Juna, comme pour marquer encore davantage cette distanciation d’avec cet homme, décidément insaisissable…

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Wiera Gran, l'accusée

L'entrée en matière du chapitre 1 peut paraître déroutante au premier abord, mais pas tant que cela au final. On commence avec des mites, de la vermine qui ronge, qui détruit et c'est une image parfaite pour illustrer ce qui a miné la vie de Wiera Gran durant ces 60 dernières années. On le comprend d'autant mieux que l'auteur nous retranscrit combien ses premiers contacts furent laborieux avec l'ancienne vedette. C'est une femme brisée. On pourrait la croire folle, mais ce serait la juger sans la connaître, sans vouloir écouter sa version de l'Histoire. Elle a des problèmes, elle a tous les symptômes des maniaques paranoïaque, mais on peut quand même se plier à certaines contraintes, à des dialogues un brin sur-réalistes, à la pénombre, à la poussière, à la reproduction du ghetto dans son appartement parisien…

Elle se terre, se cache encore, fuit les hommes et leur folie. Elle est primaire :

"Je n'ai pas peur de la solitude. La seule chose qui me terrifie, c'est l'autre. J'ai des réflexes d'animal. Une façon de penser animal, aussi."

Le décors est posé. On va pouvoir découvrir Wiera Gran maintenant et comprendre son parcours, sa vie qu'elle juge si longue et qu'est-ce qui a fait que cette artiste en soit réduite à cela tant d'années après la guerre.



Enfant déjà, Wiera Gran ne s'en laissait pas compter apparament. elle avait un fort caractère. L'auteur note tout de même que certains éléments sont difficiles à confirmer. Wiera joue avec sa mémoire ou l'inverse.

C'est presque impossible à savoir car le temps n'est jamais un allié. Il conforte ou transforme les souvenirs. C'est ainsi, nous ne sommes pas des machines et la vie nous modèle. J'ai déjà eu l'occasion de travailler lors de mes études d'Histoire sur des approches similaires : les témoignages oraux sur des évènements passés. L'analyse n'est pas si simple et pour rester objectif, il faut partir du fait que chaque témoignage est juste, mais retravaillé de manière consciente ou non par l'esprit du témoin. Il y a toujours une part de subjectivité. Wiera Gran à la sienne comme les autres.



Le ghetto, on ne peut que l'imaginer. On a presque tous vu des images d'archive un jour, mais la vie là-bas, au quotidien, il faut l'avoir vécu pour la relater vraiment. Cependant, ce ne fut pas seulement un lieu de mort. avant, ce fut un lieu de vie…

"Dès sa fermeture, le ghetto s'est mis à puiser en lui des forces pour sa survie, il voulait vivre. C'était une ville fermée, mais une ville tout de même, un organisme vivant qui retirait, achetait, mangeait, s'habillait, urinait."

"J'achète. Je vends. j'achète. j'investis, je dépense. Perspectives d'avenir."

C'est au fil du temps que tout se dégrade et on suit assez bien cette évolution avec le récit un peu décousu qu'Agata Tuszynska nous a retranscrit. Certains passages sont très douloureux pour moi. L'évocation des orphelins, de leur sort, de leur disparition m'est pénible.

Wiera dira qu'elle a tenté d'en sauvé le plus possible en créant un orphelinat, mais là encore les faits ne sont pas très clairs. On doute de la véracité de ces propos même si elle n'en démord pas.



On accuse Wiera Gran d'avoir été une agent, une complice de la Gestapo, mais les témoignages sont contradictoires, confus, parfois fondés juste sur des rumeurs, des "on dit que"…

J'aime assez ce passage qui finalement résume bien la position que pouvait avoir l'artiste dans le ghetto de Varsovie :

"Les relations dans le milieu artistique du ghetto ne permettaient pas de faire une sélection méticuleuse des fréquentations… Quand on était une diva célèbre, il était impossible de s'isoler des gens de pouvoir."

Tout est dit ou presque.



Et Wiera réfute tout ou presque pour à son tour attaquer et salir le passé de son accompagnateur, le pianiste Szpilman. Vengeance ? Quand on sait que c'est lui qui a refusé qu'elle revienne à la radio après la guerre…

"Il était en face, juste devant moi, je le voyais distinctement. Szpilman, avec sa casquette de policier. Szpilman en personne, le pianiste. Je ne peux pas oublier cela.Il traînait les femmes par les cheveux. Il se protégeait les mains. Ses mains de pianiste exigeaient un soin particulier. Je n'en ai jamais parlé, je ne voulais pas lui faire du tort."

Je ne sais pas pour les autres lecteurs, mais pour ma part, je pense qu'elle se venge effectivement d'une partie du mal qu'on lui a fait subir. Sa sortie du ghetto ne fut semble-t-il pas une partie de plaisir, elle a dû rester caché durant des semaines, des mois, des années. Elle a complètement changé d'apparence, de physique, de destin puisqu'elle ne pouvait en aucun cas chanter. On lui avait tout pris et le pire vint quand le ghetto fut alors complètement vidé. Toute sa famille disparue., les reproches, les demandes de justification pour sa survie, son arrestation, les jours, les semaines passées en prison dans des geôles sombres et trop petites, la torture mentale, cela fait peut-être beaucoup, non ? Après tout, nous ne sommes que des êtres humains.



Wiera fut marquée, dans son esprit, dans sa chaire, au point même que son propre enfant s'est effacé de son souvenir. Sans doute n'était-elle pas prête à devenir mère, ou alors, elle n'en avait aucune envie. Nous ne le serons jamais. Et puis donner la vie pendant une période aussi noire, y a de quoi perdre ses repères, non ? Je ne cherche pas à l'excuser, mais comme l'auteur j'ai cherché à la comprendre sans la juger.

Ce livre la remet en lumière et s'il ne la fait pas totalement sur son passé, son histoire, il démontre combien traverser des évènements aussi sombres n'est pas sans laisser des traces au plus profond des êtres qui y ont survécu.

L'accusée se fera accusatrice également. On tourne en rond et la vérité, elle est là quelque part… Est-ce si important aujourd'hui ? Oui et non. C'est un livre témoignage, c'est un ouvrage du souvenir et il est imparfait comme la nature des hommes.


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Singer, paysages de la mémoire

Il y a pas mal de temps déjà que j'avais acheté ce livre mais j'attendais le moment propice, c'est à dire avoir du temps devant moi, pour l'aborder . J'ai lu la plupart des documents écrits sur Isaac Bashevis Singer mais aucun n'avait jusqu'ici réussi à répondre à toutes mes questions de nature biographiques… (cf ma critique de la famille Singer, l'autre exil : Londres de son neveu Maurice Carr et celle de la biographie de Florence Noiville). Agata Tuszynska est une journaliste et romancière polonaise née à Varsovie en 1957 dont la mère a survécu au ghetto de Varsovie. Cette double appartenance à la Pologne et à la communauté juive dans une moindre mesure lui donne une supériorité évidente dans les recherches entreprises sur la famille Singer. En effet, son appartenance au monde polonais, son souci manifeste de comprendre le monde juif d'avant la Shoah et surtout le fait d'être sur place lui ont permis de pousser loin ses investigations et d'avoir accès à des archives, témoignages ou pièces de musée auxquels ont plus difficilement accès les étrangers. Même si comme elle le dit «  Je suis arrivée en retard pour sa mort », le 24 juillet 1991, la persévérance et le sérieux de ses recherches, son excellente connaissance des oeuvres des Singer frères et soeur l'ont conduite à reconstituer des pans entiers de la vie juive du début du XXème siècle, à brosser avec fidélité un tableau des relations entre juifs et Polonais, à retrouver et faire revivre les shtetls de Leoncin, Tomaszow, Radzymin, Bigoraj… qui ont durablement marqué l'enfance et l'adolescence d'Isaac. Par souci de clarté, je procéderai par thème et ne traiterai que ceux sur lesquels cette lecture m'a appris quelque chose : le premier est celui de la relation des juifs avec la Pologne. « Mes ancêtres avaient vécu plusieurs centaines d'années dans ce pays et nous étions toujours étrangers ici ». Effectivement, les premiers Juifs arrivent dans les territoires polonais au cours du Xe siècle et la première mention de leur présence dans les documents polonais apparaît déjà au XIème siècle avec la Première Croisade et la première vague d'émigration d'Europe occidentale. Ils reçoivent un accueil favorable, sont souvent protégés, connaissent longtemps la tranquillité, la liberté de travailler et de faire du commerce, ce qui favorise leur afflux et ce jusqu'à l'amorce du déclin au XVII ème siècle. L'originalité de la communauté juive de Pologne réside dans le fait qu'elle dispose d'une réelle autonomie où chaque groupe local est dirigée par un conseil des notables et un rabbin qui décident des questions de la vie quotidienne : éducation, mariages, cacherout, litiges... Cette organisation, palpable dans toute l'oeuvre des frères et soeur Singer, est sans doute l'une des raisons pour lesquelles «La Pologne juive, celle des papillotes et des lévites, ne rencontrait que fort rarement la Pologne polonaise, celle des processions de la Fête-Dieu et des loges du Grand Théâtre ». Par ailleurs, le souci de pureté et de non assimilation empêchent les Juifs de se mélanger aux Gentils et d'adopter leur mode de vie : Maurice Carr, le neveu d'Isaac apprend après la guerre que Moïshe, le plus jeune frère d'Isaac, refuse le pain qui lui est distribué au camp de Jampol (Khazakstan) de peur qu'il ne soit pas casher... Les statistiques avancées par Agata Tuszynska pour les années 1930 font état de 80 % de yiddishophones dont la plupart maîtrise très mal le polonais « Même à la fin des années trente il était rare qu'un Juif parle bien le polonais » confie Isaac dans un article intitulé « Juifs et Polonais ». Son père ne savait que deux mots de polonais ! Lui semble se débrouiller correctement, lit ou au moins connaît les grands noms de la littérature polonaise qu'il met entre les mains de ses différents héros. Or, une question se pose encore à moi : où les frères et soeurs Singer ont-ils appris le polonais ? Dans les rues du shtetl où vivaient également quelques familles chrétiennes ? Sans doute. À l'école polonaise ? Les témoignages des Polonais recueillis par Agata Tuszynska font état de quelques élèves juifs, surtout des filles, à l'école du village. Les garçons allaient en effet au Heder, l'école primaire juive, et il ne semble pas qu'il y ait eu de structure équivalente pour les filles : Esther , la soeur d'Isaac et de Joshua apprend seule à lire et à écrire l'hébreu et le yiddish…Tout porte à croire que la fréquentation de l'école polonaise n'était pas obligatoire, pas pour les juifs en tout cas. Or compte tenu du milieu fermé dans lequel ils vivaient, où et comment les frères Singer ont-il acquis un niveau de langue suffisant pour lire les classiques polonais ? Même question pour l'allemand : L'allemand parlé par les Volksdeutschen de Pologne et entendu par Isaac était-il suffisant pour lui permettre de traduire Thomas Mann ? S'est-il livré à une sérieuse étude livresque de la langue ? Peut-être mais cela n'en exclut pas une expérience concrète. Sur ce point là, l'auteur n'apporte aucune réponse. Or, toute sa vie, polonaise comme américaine, Singer vit dans un monde presque exclusivement juif (shtetl à Leoncin, Bilgoradj, rue Krochmalna à Varsovie, Upper east side à New York) et va même jusqu'à descendre dans des hôtels juifs car il n'aime pas être le seul juif dans un hôtel…On ne lui connaît pas d'amis non juifs. Cette vie presque entièrement juive est vraisemblablement une survivance de sa jeunesse polonaise. Selon Agata Tuszynska, les Polonais témoignaient envers les juifs d'une relative indifférence mais les tracasseries et manifestations d'hostilité n'étaient pas rares. Les propos des témoins contemporains des Singer nous permettent de nous faire une certaine idée des relations entre Juifs et Polonais alors qu'Isaac accorde peu de place aux Gentils dans ses écrits. Isaac a toujours refusé de retourné en Pologne car presque tout ce qui avait constitué son monde, juif, avait disparu... Faut-il incriminer les Allemands, le régime communiste qui suivi ou les Polonais eux-mêmes? Ce qui est sûr, c'est que la plupart des traces de la vie juive ont disparu! Même les pierres tombales des petits cimetières juifs ont été utilisées pour la construction des maisons et des routes! Second point intéressant : la réception de l'oeuvre d'Isaac Bashevis Singer par la communauté juive. Cette dernière se montre sévère avec le prix Nobel de littérature et lui reproche de dresser un portrait peu élogieux du monde juif d'avant la Shoah. Or il me semble que la grande originalité de Singer réside justement dans son honnêteté intellectuelle : il met en scène des héros qui correspondent aux divers personnages et situations qu'il lui a été donné d'observer pendant les trente ans qu'il a passés en Pologne. Les religieux, les indifférents, les assimilés, les communistes, les socialistes, les adeptes du Bund, les sionistes, tous se retrouvent dans ses romans et nouvelles. Des portraits certes sans concession mais la Shoah, si tragique soit-elle, ne doit pas impliquer l'idéalisation du monde disparu. Si tel était le cas, l'oeuvre de Singer ne serait pas la chronique d'un monde original qu'il voulait qu'elle soit! Isaac n'est pas un écrivain de la Shoah et il ne s'exprime pas sur le sujet. Les rescapés que l'on rencontre dans ses livres ne sont que les témoins du monde englouti par rapport auquel ils tentent de se positionner. La Shoah aura t'elle été pour le conteur yiddish un déclencheur de souvenirs à transmettre à tout prix pour que ce monde ne soit pas mort en vain? C'est ce que je veux croire! Merci Monsieur Singer pour cette page d'histoire ! Les autres thèmes abordés par Agata Tuszynska ne m'étaient pas inconnus : son amour des femmes, son peu de sens de la famille, son orgueil démesuré ont souvent été soulignés mais sont pour moi de peu d'intérêt car comme le disait ce grand conteur qu'était Isaac Bashevis Singer « C'est l'oeuvre qui compte pas le bonhomme ». Merci aussi à madame Tuszynska d'avoir apporté des réponses à des questions auxquelles je n'avais jusqu'à présent trouvé aucune réponse.



















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Une histoire familiale de la peur

Un beau témoignage de Agata Tuszynska elle retrace la vie de sa famille polonaise et juive.
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Exercices de la perte

Agata et son mari Henryk forment un couple fusionnel. Intellectuels, écrivains tous les deux, ils se soutiennent dans la vie et leurs carrières respectives.



L'annonce soudaine du glioblastome d'Henryk, un cancer fulgurant du cerveau qui ne laisse aucun espoir et très peu de temps, brise cette harmonie.



Agata se lance alors dans ce récit témoignage et sans doute aussi thérapie. Elle y décrit la progression de la maladie, les espoirs, la lutte, le soutien des amis. Elle y relate les jolis souvenirs et les peines anciennes de sa famille déchirée par la Shoah. C'est surtout une grande preuve de l'amour, de l'admiration et de la grande tendresse que ces deux-là éprouvent l'un pour l'autre, en dépit de la maladie. Agata y devient le pilier de celui qui la portait précédemment, les rôles s'inversent.



Il faut bien le temps d'un livre pour comprendre, se révolter, lutter et finalement accepter et vivre quand même, si jamais on y arrive...



Un sujet délicat traité avec délicatesse.



Henryk devient un autre homme, plein de colère et d'impatience, faible alors qu'il était la force d'Agata. dans ces moments elle le nomme H, il n'est plus l'homme qu'elle connaît, la maladie le transforme.
Lien : https://familytripandplay.wo..
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Une histoire familiale de la peur

Quoi dire du non entendu, du non vu, du suggéré, du perçu, du cru, de l'indicible ? Du vu et entendu dans sa petite enfance ?

L'auteure répond (?) à ces questions dans un ouvrage où de multiples voix s'élèvent ou se taisent.

Elle expose le tumulte intérieur des enfants et petits enfants de l'Holocauste, des victimes dans leur chair et/ou leur conscience des totalitarismes européens du 20è siècle.

Livre témoignages, livre dont l'interprétation est plurielle voire duelle.

Elle décrit en tout cas la souffrance identitaire et existentielle de générations martyrisées par des idéologies mortifères.

Subjectif, explicite, implicite ce superbe écrit expose et pose des questions éternelles sans réponses.

Humain, terriblement humain





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Une histoire familiale de la peur

Agata Tuszynska est une écrivaine polonaise née en 1957. Sa vie a été bouleversée par la révélation d'un secret familial : quand elle a eu 19 ans, sa mère lui a annoncé qu'elle était juive, rescapée du ghetto de Varsovie. Agata Tuszynska dit qu'il lui a fallu dix ans avant d'intégrer cette information. Une histoire familiale de la peur est une biographie familiale grâce à laquelle l'auteure fait connaissance avec ses parents victimes de la shoah, dans laquelle elle présente ceux qui ont survécu, qu'elle a connus depuis qu'elle était enfant, sans savoir qu'ils étaient Juifs. Elle raconte aussi sa famille polonaise -du côté de son père. Enfin ce travail permet à Agata Tuszynska de s'affranchir de la peur d'être juive, dans un pays encore très marqué par l'antisémitisme et de répondre à la question de son identité mixte, à la fois juive et polonaise. C'est dire si cet ouvrage complet à de quoi m'intéresser. Et je l'ai trouvé en effet passionnant.



J'ai apprécié comme elle retrouve toutes les petites choses en apparence insignifiantes qui font les moments heureux de l'enfance, le souvenir des proches dont on s'aperçoit parfois trop tard qu'ils ont compté pour nous : "J'ai grandi et j'ai pris mon essor. Je l'ai oubliée pendant des années, je ne lui ai même pas envoyé de cartes, pas un signe de vie, je n'ai pas téléphoné, je ne l'ai pas invitée. Comme si elle n'existait pas. Comme si elle ne m'avait pas sauvée d'un troupeau d'oies, ne m'avait pas montré le cheval dans la prairie, n'avait pas mis le vase de nuit près de mon lit et n'avait pas chauffé mon lait."



Je trouve que l'écriture sert particulièrement bien ce côté nostalgique.



J'ai apprécié la recherche d'informations sur la famille juive disparue. Dans le village de Leczyca dont une partie de cette famille était originaire Agata Tuszynska fait la connaissance de Miroslaw Pisarkiewicz, remarquable historien local qui l'aide efficacement dans sa recherche mais elle est aussi confrontée à "l'antisémitisme primitif polonais". Je retrouve ici des choses découvertes dans Le crime et le silence d'Anna Bikont. Une histoire familiale de la peur me permet aussi de retrouver plusieurs aspects de l'histoire des Juifs de Pologne depuis la seconde guerre mondiale.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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La fiancée de Bruno Schulz

Le nom de Bruno Schulz est presque inconnu du public francophone, comme il l’est d’ailleurs de ses compatriotes polonais.



La biographie romancée de Juna, la fiancée de Schulz entre 1933 et 1937, rédigée sur la base de documents de première main – lettres et entretiens – par Agata Tuszynska, est une excellente manière d’accéder à l’œuvre de Schulz, auteur des « Boutiques de cannelle » et dessinateur de talent, assassiné en 1942 dans le ghetto juif de Drohobycz, sa ville natale (aujourd’hui en Ukraine).



Il serait triste de passer à côté d’un tel écrivain qui a toujours puisé son inspiration dans son quotidien, le magnifiant par son imagination débridée et le transformant en un conte fantastique.



Pourtant, le récit d’Agata Tuszynska n’est pas qu’une biographie. Il est porté par la voix de Juna, alternant le « je » et le « elle », parfois dans une même page. Juna, docteur en philologie. Juna, aimante au-delà du possible. Juna, attendant de Schulz l’impossible. Juna attentant à ses jours. Juna découvrant ses parents assassinés. Juna errant dans Varsovie. Juna qui pendant un demi-siècle continua à vivre en imagination avec Schulz après sa mort, lui parlant sans cesse, défendant son œuvre.



En arrière-plan, la Pologne martyrisée par l’invasion soviétique, puis nazie.



Un texte fort, souvent insupportable tant est tangible la douleur de Juna dans laquelle Agata T. a enseveli ses propres drames, tant est cruelle aussi l’histoire de cette période.

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Exercices de la perte

Henrick, le mari d’Agata, apprend qu’il est atteint d’une tumeur au cerveau, un glioblastome multiforme incurable. La maladie se trouve au centre de ce livre, comme elle s’est trouvée au centre de leur couple.



Dans un récit fracturé où se mêlent souvenirs, mails envoyés aux amis et bribes d’histoire familiale, l’auteur partage les étapes de ce chemin vers une issue fatale.



D’abord, il y eut le diagnostic accompagné aussitôt d’un verdict de mort.



“Le verdict m’a abasourdie. M’a dépouillée de tout. Il n’y avait nulle chance de salut. On ne nous donnait aucune possibilité de nous défendre, pas de « si », aucune condition à remplir, pas de tâches très dures dont s’acquitter, pas de récompense pour fruit de la souffrance. Il n’y avait ni grâce ni rédemption. Il n’y avait rien. Il y avait un verdict. Pur et simple.”



La nouvelle est d’autant plus brutale que rien n’avait alerté Agata et qu’elle n’avait pas prêté attention aux signes avant-coureurs : Henrick s’était plaint de migraines de douleurs oculaires...



“Il avait mal à un œil. Il conduisait la voiture dans la tourmente de neige, avec assurance, crânement, comme toujours. Je n’avais nul pressentiment. Un sentiment de plénitude.”



A posteriori, Agata tente de trouver du sens à ce qui ne peut en avoir :



“L’esprit le plus magnifique que j’ai connu. [...] Est-ce à cause de cela que c’est arrivé ? Les cellules grises n’ont-elles pas résisté à l’excès ? [...] A-t-il pu se produire quelque chose dans le genre d’une surchauffe pour un moteur ? “



Elle est écrivain, et pourtant elle ne peut écrire pendant tous ces mois où la maladie a occupé la vie de son couple. Tout à coup, les mots deviennent impuissants et ne peuvent plus rien pour eux. Ils s’absentent et laissent toute la place à la maladie, la douleur, l’attente à l’hôpital, les visites des amis :



“La vie envahie par la trame de la maladie. Son déclenchement détruisant tout. De la dynamite. Une explosion. Nulle place pour des chemins de traverse. On a fait sauter de l’intérieur notre destin inaccompli.”



Lorsque enfin, Agata retrouve la capacité d’écrire, qu’elle peut mettre en mots les attentes interminables et les espoirs fugaces, ce sont des vies qui renaissent.
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Le jongleur

Dans un récit brillant, l’écrivain polonais brosse un portrait cinglant du romancier, nourri par de nombreux documents inédits sur ses racines slaves.
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Affaires personnelles

Prenez une rue, dans la Varsovie de l’entre-deux guerres. Et intéressez-vous à chacun de ses habitants. En 1939 et après.



Ou bien prenez une bande d’amis en Pologne. Et intéressez-vous à chacun de ses membres. En 1968 et après.



Le procédé suivi par les deux auteurs, dans ces deux textes, est le même : s’intéresser au destin des populations juives dans une Pologne qui n’a pas toujours été accueillante.



Pour écrire Smotshè : biographie d’une rue juive de Varsovie, Benny Mer a fait des recherches minutieuses afin de reconstituer le plus fidèlement possible le quotidien de ces juifs d’Europe imprégnés de leur culture yiddish. Il s’est notamment inspiré des faits divers relatés dans la presse de l’époque puis à tirer le fil de leurs existences.



Dans Affaires personnelles, Agata Tuszyńska a fait le choix de rendre hommage à son compagnon et à ses amis de l’époque qui, en 1968 ont, comme lui, dû quitter la Pologne et son régime communiste. Elle s’est directement rapprochée des personnes qu’elle a pu retrouver pour recueillir des témoignages qui, bien que très différents, poussent tous le même cri : celui du déracinement.



Ces deux textes fourmillent et dans l’un comme dans l’autre, il n’est pas nécessaire de chercher à reconstituer précisément les arbres généalogiques, les rôles de chacun ou la chronologie des faits. On s’y perd et c’est tant mieux. Cela montre qu’un destin en vaut mille… que ce pourrait être celui de tout un chacun. Cela montre la souffrance d’un peuple, privé d’être lui-même et d’être libre.



Ces lectures sont denses mais permettent un regard sur ces parties de l’Histoire vraiment intéressant. Ma préférence va au texte d’Agata Tuszyńska (et ce n’est pas @hanyrhauz qui me contredira !) dont j’ai adoré l’approche par les témoignages directs et l’émotion contenue qui ne bascule pas dans un ton dramatique pour mettre en lumière les ressources que l’homme sait trouver en lui.
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