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Critiques de Agota Kristof (357)
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Le grand cahier

Et le prix de la couverture la plus trompeuse est attribué à...roulement d'accordéon...non , pas The Artist , faut en laisser un peu pour les autres... mais Le Grand Cahier ! Oh , si c'est pas mignon ça , deux ch'tis garnements faisant mumuse avec un p'tit baton dans l'eau ! Ça fleurait bon l'attendrissant récit sur l'enfance dans une nature à la Giono ! Sauf qu'en refermant le bouquin , l'on se dit : ce livre est vraiment au programme de Troisieme ? Sans déconner ? Ils sont peut-etre un peu jeunes les gamins pour gouter aux doux plaisirs de l'ondinisme , du masochisme , de la pédophilie et de la zoophilie...Enfin je dis ça...Certains parents furent si choqués qu'ils firent appel au Procureur de la République ( cf affaire d'Abbeville en 2000 ) . Ami bourgeois réactionnaire , bonsoir ! Pour le gentil conte enfantin , on oublie . Pour l'enfance perdue , laminée par la guerre , pervertie par l'homme , c'est par ici...



Claus et Lucas , jumeaux fusionnels , fuient avec leur mere la Grande Ville ravagée par la guerre . Destination : la Petite Ville et leur grand-mere supposée maricide qu'ils n'ont jamais vu ! La mere partie , le courant passe immédiatement ( comme un p'tit air d'Heidiiiii) . Ils répondent désormais au doux sobriquet de Fils de Chienne , pudeur des sentiments oblige , courant alternatif de mise...La faim , le froid , les insultes deviennent alors le tres enviable quotidien de ces deux oisillons tombés du nid . C'est dans un tel contexte saturé d'amour qu'ils vont se construire à leur façon , développer un systeme de valeurs qui leur est propre et s'échiner à retranscrire scrupuleusement dans un grand cahier ( d'ou le titre , c'est bien foutu quand meme ; ) ce que sera désormais leur quotidien et leur procédé d'appréhension . Galerie de personnages surréaliste . Véritable catalogue de déviances sexuelles...L'on saute ( et le terme est plutot bien choisi je trouve...) allegrement du curé à tendance pédophile a l'officier masochiste en passant par la servante urophile et la gamine zoophile . Quelqu'un a vu mon fouet ?

La palme en revenant à leur si délicieuse voisine . Jouons un peu avec Juuuulieeeen Lepeeeers : j'ai un Bec-de-Lievre , je peux jouer au flipper tout en regardant la balle et le compteur , j'ai de la morve au nez , des pustules sur les bras et les jambes , je suis , je suis...Bec-de-Lievre ! Oui ! Oui ! Aaah que j'aaaaime ce jeuuuu ! Bec-de-Lievre n'est pas avare de sa jeune personne et ce n'est ni le curé , ni le quidam de passage , ni le chien du coin qui diront le contraire . Il se dégage chez cette gamine une aussi furieuse que malsaine envie d'etre aimée...



Les chapitres sont courts et excedent rarement les 3 - 4 pages . Ils égrenent crument , vertement et sans complaisance aucune la nouvelle vie de cette seule et unique entité ( nous systématique ) que représentent ces deux etres déshumanisés , témoins privilégiés d'une sale guerre au contact d'énergumenes qui ne le sont pas moins . Un tel environnement ne pouvant qu'engendrer un tel chaos personnel .

La lecture est pour le moins surprenante . Les protagonistes pas vraiment attachants mais bizarrement , l'on se surprend à vouloir en savoir toujours plus , avide de récits que n'auraient pas renier ce bon Marquis de Sade . Le propos peut choquer , nos deux héros étant encore à un age empreint d'innocence et de naiveté . Et donc pas vraiment aguerris au chantage , à la délation , à la cruauté et la perversité...Deux gamins monstrueux , froids comme l'hiver que la guerre et les hommes amoraux façonneront à leur image . L'abject enfante l'abject . L'auteure sort l'artillerie lourde . Quoi de plus normal en période de conflit...

L'écriture est minimaliste et traite parfois humoristiquement ( tendance noire ) , souvent sechement et cyniquement de la désastreuse auto-éducation de marmots livrés à eux-memes dans un contexte aussi totalitaire qu'éradicateur...

Tu es le maillon faible ? Tu ne sors pas , tu creves...



Le Grand Cahier , premier d'une trilogie , et son étonnant final font que j'y reviendrais ! Ouaip ! Petit calepin grands carreaux à spirale , j'arrive !!

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Le grand cahier

"Le grand cahier" est le premier tome de "la Trilogie des jumeaux". Je conseille à ceux et celles qui veulent se lancer dans cette lecture de n'acheter, au départ, que le premier tome afin de se faire une idée. Pourquoi dis-je ça, moi qui aime toujours avoir les séries complètes sans même les avoir lues ? Tout simplement parce que ce livre est dur, violent, et ne laisse pas le lecteur indifférent. Impossible de ne pas réagir face à cette avalanche de cruautés, de monstruosités en tout genre. Nous sommes à des milliards d'années-lumière de la Comtesse de Ségur et des bêtises de tous ses personnages.On lui avait reproché un certain sadisme d'ailleurs. Mais ce n'est rien à côté de ce que vous allez lire ici. Quant à ceux qui ne supportent pas le style de Jean Teulé, le considérant comme trop cru dans ses propos, inutile d'ouvrir ce roman. Car Teulé à côté, c'est gentillet !



Alors vous allez me dire que ce n'est pas la première fois que vous lirez quelque chose de choquant. Certes. Mais là, ce qui fascine et révulse à la fois, c'est que toute cette violence touche des enfants et lorsqu'on en arrive aux pires instincts, sexuels ou mortifères, on ne peut pas rester de marbre.



Je crois qu'il faut voir là à quel point l'être humain, qu'il soit adulte ou enfant, peut devenir le plus abject possible dans certaines situations. Ici, le décor est la guerre. Mais il ne sert que de prétexte pour mettre en relief les différents tableaux de la déshumanisation.



La narration sert le récit : elle se veut objective, faite par les enfants. C'est également ce qui marque ici.



Personnellement, j'ai apprécié la force de ce roman et je vais acheter les deux autres tomes car bien loin de m'arrêter à quelques scènes terribles, je veux savoir jusqu'où pourront aller ces deux enfants devenus des monstres. Ce livre invite le lecteur à réfléchir et je crois que par les temps qui courent, ce n'est peut-être pas plus mal.


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C'est égal

“ce n'est pas en écrivant que les idées arrivent” déclarait l'écrivaine hongroise d'expression française Agota Kristof.



A l'occasion d'un documentaire, l'écrivaine, disparue en 2011, racontait comme l'inspiration la saisit à tout instant du quotidien, en marchant, en faisant le ménage, en travaillant à l'usine où l'on a pas à se concentrer sur la tâche d'automate que l'on commande au cerveau humain.



Ce recueil de 25 textes, sortes d'affabulations réalistes, paru en 2005, est une expérience de jouissance (au sens Barthésien du terme ! je vous vois venir…), car l'écrivaine suisse d'adoption, déconcerte le lecteur par l'anatomie de ses textes, elle va droit au but de ce qu'elle veut écrire, sans s'embarrasser d'amener doucement l'action par des prolégomènes facultatifs.

Et si la nouvelle ne fait qu'une page, qu'importe, c'est une modernité qui n'est pas sans rappeler les fragments de Barthes ou de Cioran.

Son style diaphane, ciselé, est au service d'une émotion brute, sans suggestion, le lecteur la chope ou passe à coté. Les situations nous sont parfois lointaines mais jamais étrangères. L'empathie pour le spleen de personnages à peine croisés évoque également la fugacité produite par le haïku japonais.



Les venins de la folie, du désespoir, de la solitude violacent chacun de ses grains de vie.

La machine humaine s'enraye, et en même temps qu'elle quitte doucement l'impératif du sens, tout devient plus clair. Je pense par exemple à la nouvelle “La maison” où le personnage se rappelle la maison de son enfance et commence à lui parler “tu as pris quelqu'un d'autre, tu ne m'aimes plus” lance le personnage à la maison, et celle-ci de répondre un peu plus loin “tu vois comme tu m'as oubliée (…) pourquoi es tu parti ?”



Pourquoi “c'est égal” ? Eh bien peut-être parce que Kristof ne porte aucun jugement sur les situations que vivent ses personnages ni ne tente d'interférer dans leur destin…qu'importe, aucune victoire cathartique sur le spleen n'est concédée au lecteur.



Qu'en pensez-vous ?
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Le troisième mensonge

Alors qu'ils n'avaient que quatre ans, un terrible drame a séparé les frères jumeaux Klaus et Lucas.

Pendant de longues années, les deux frères vont se rechercher et pour pallier à la souffrance et à l'attente, ils apprennent à mentir.

Cinquante ans ont passé, Lucas retrouve enfin Klaus, mais est-il encore temps de recoller les morceaux de ces deux vies brisées ?

Ces retrouvailles seront-elles guidées par un dernier mensonge ?



Il est toujours bon de se replonger dans le passé, d’y dénicher des trouvailles, de découvrir ou redécouvrir des œuvres qui méritent encore et toujours que l’on parle d’elles.

La romancière d’origine hongroise Agota Kristof, qui avait fui le régime et la répression de sa Hongrie natale pour s’installer en Suisse dans les années 1950, est décédée à la fin du mois de Juillet de l’année 2011 (27/07/2011).

A la fin des années 1980, on avait pu découvrir sa plume épurée, concise et déroutante grâce au « Grand cahier », premier volet d’une trilogie qui se poursuivra avec « La Preuve » puis « Le troisième mensonge » et viendra hisser la romancière expatriée au rang des grands noms de la littérature contemporaine.



La trilogie des jumeaux ou le récit désarmant des destins tragiques et perturbés des frères Klaus et Lucas, est une œuvre éminemment confondante d’assainissement du superflu, de volonté affichée d’aller au cœur du mot et de la phrase pour en tirer le jus intime, comme une éponge que l’on tord pour en faire sortir la dernière goutte d’eau.

L’œuvre d’Agota Kristof est ainsi, dans la purification du verbe par l’épure, dans une aura d’étrangeté distillée au cœur des choses, dans un sentiment d’éternelle désillusion qui renvoie aux années de persécutions et de dictature.



Bref récit à l'atmosphère sombre, « Le troisième mensonge » aborde le thème de l'enfance brisée avec originalité et une émotion distante, refoulée.

L’écart entre le ton et le thème, la marge volontaire que trace l’auteur entre le style dépouillé de son phrasé et les sujets brutaux et délétères qu’elle invoque, instaurent un climat de malaise et de trouble, un sentiment chargé d’intensité, à la fois dérangeant et singulièrement captivant.

L'alternance d'épisodes présents et passés donne un caractère étrange au récit dans la première partie, pour atteindre toute sa puissance dans la seconde où tous les éléments se mettent en place pour éclairer le lecteur habilement perdu par l’auteur dans les méandres d’une histoire tortueuse d’une fascinante opacité.



Ce «Troisième mensonge », récompensé par le Prix du Livre Inter en 1992, est un superbe roman, triste et troublant, un livre chargé d'émotion contenue à l’instar de toute la Trilogie des jumeaux.

A lire, à relire, à découvrir…

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Le grand cahier

Tellement "éberluée" par ce texte, à nul autre comparable... et en constatant de plus, avec plaisir l'abondance déjà des" chroniques" sur ce roman, mes hésitations à rédiger "mon" ressenti sont des plus vives…

Après la "critique" de LydiaB, en laquelle je reconnais une très grande partie de mes propres appréciations , je vais tenter d'exprimer au plus près mes impressions. Et la tâche ne me paraît pas aisée !



j'imagine que la force et la violence des émotions que provoque ce roman, en dehors de la gravité du sujet : des « enfants dans la guerre »…tiennent énormément au style et à la découpe du texte. Une forme des plus lapidaires ou plus exactement « faussement » laconique. Des phrases brèves, cinglantes , des chapitres courts et bien distincts…



klaus et Lucas [En réalité, dans le roman, ils sont le plus souvent nommés comme « les jumeaux », comme une entité unique, inséparable, ce qu’ils sont d’ailleurs , dans la réalité de leur quotidien…]sont envoyés à la campagne par leur mère chez leur grand-mère, car c’est la guerre en ville, et il n’y a plus grand-chose à manger.



Pour les mettre à l’abri, les jumeaux se retrouvent pour la toute première fois, séparés de leur mère, et face à une grand-mère qui a plutôt tous les attributs de la « méchante sorcière » des contes : laideur physique et morale, saleté, agressivité, cupidité… celle-ci les mène à la dure, et c’est peu dire ; elle ne veut pas entendre parler de l’école, les fait « trimer » pour gagner une maigre pitance…les bat, les malmène verbalement…Toute la panoplie de " l'enfance malmenée" et plus ...



Heureusement, Les jumeaux, d’une intelligence supérieure à la moyenne, observateurs, vont faire front… dans cette guerre qu’ils ne comprennent pas, en faisant des « exercices » pour s’endurcir. Par exemple, ils se battent réciproquement pour supporter les coups de la grand-mère…idem pour les insultes, appelé « exercice d’endurcissement de l’esprit », etc.

Klaus et Lucas , en réalité, trouvent des astuces, des solutions ingénieuses pour supporter « l’insupportable », l’ « Intolérable »…



Face à eux, peu d’adultes dignes ou courageux… Ils apprennent seuls , questionnent… sans succès. On leur renvoie leur jeune âge pour ne pas répondre aux questions embarrassantes, par contre, dans leur quotidien, ils doivent faire face aux pires exactions…et à des responsabilités d’adultes : « leur propre survie » psychologique dans un contexte des plus sombres.



« Nous disons :

-Nous n’avons plus faim

Nous allons dans la chambre. Le curé se retourne :

-Voulez-vous prier avec moi, mes enfants ?

-Nous ne prions jamais, vous le savez bien. Nous voulons comprendre.

-vous ne pouvez pas comprendre. Vous êtes trop jeunes.

-Vous, vous n’êtes pas trop jeune. C’est pour cela que nous vous demandons » (p. 105)

…et ils se heurtent au silence, et à la médiocrité des adultes. Il y a des scènes difficilement soutenables, mais qui rentrent dans ce climat de "barbarie banalisée", généralisée.



Le premier volet de cette trilogie m’a suffisamment interpellée pour poursuivre les deux autres romans, afin d’affiner et de préciser mon appréciation globale, de cette œuvre, des plus singulières.



Klaus et Lucas font malgré eux, une étrange éducation, avec leurs propres moyens ; même si ils s’endurcissent pour « faire face »… ils éprouvent aussi des élans, de la compassion, parfois ; par exemple, pour leur petite voisine , « bec-de-lièvre », complètement démunie, qu’ils aident comme ils peuvent. Ce qui les rend forts, c’est leur « gémellité », « être deux » face aux horreurs de la guerre, et aux cruautés quotidiennes des adultes… Ensuite, ils font , dans un isolement affectif redoutable, leurs apprentissages de la Vie, et des Hommes…avec les « moyens du bord »…

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Le grand cahier

Dans un pays en guerre, une femme décide de confier ses deux jeunes garçons, des jumeaux, à leur grand-mère qui vit à la campagne et qu’ils n’ont encore jamais vue. La vieille femme, surnommée par les villageois « la Sorcière » voit d’un mauvais œil l’arrivée de ces deux nouvelles bouches à nourrir et ne se prive pas pour leur mener la vie dure. Brimades, punitions corporelles, injures, tout est bon pour leur apprendre l’âpreté de la vie. Très vite, les jumeaux, dotés d’une intelligence exceptionnelle, comprennent qu’ils vont devoir travailler pour remplir leur assiette et s’endurcir pour s’adapter à la violence du monde.





Dans un grand cahier, ils consignent leurs journées avec leurs rencontres, leurs observations et leur apprentissage personnel. Ils s’imposent à chacun des exercices extrêmement durs pour renforcer leur résistance à la douleur, au froid et à la faim. Les notions d’amour et de tendresse, jugées parfaitement subjectives et inutiles, sont très vite oubliées au profit du pragmatisme. Pour survivre à la violence quotidienne, les jumeaux vont devoir se créer leurs propres codes. La débrouille et la nécessité l’emportent alors sur la morale…





Quel choc ! Je ne m’attendais vraiment pas à lire un récit sur l’enfance aussi dur et violent ! D’ailleurs, c’est la description de cette enfance qui n’en est pas une qui perturbe autant. Le récit, qui prend la forme d’un cahier, est toujours raconté à la première personne du pluriel. Les enfants, bien qu’étant deux, ne forment qu’une seule et même entité et s’expriment exclusivement par ce « nous » omniprésent. On ne connaît ni leur âge, ni leur nom (à moins de lire la quatrième de couverture…), mais on les devine très jeunes (peut-être 8 ou 9 ans) et très en avance sur leur âge. Enfants de la débrouille, ils jugent ce qui les entoure avec un regard particulièrement acéré, qui peut faire froid dans le dos. Leurs actes sont principalement poussés par la nécessité, mais une certaine cruauté demeure, liée à cette absence de morale et au désir de ne plus souffrir et donc de se couper de leurs émotions.





L’horreur est racontée avec beaucoup de froideur, de distance et d’objectivité, comme on décrirait un évènement anodin, ce qui tend à la rendre encore plus sordide. Scènes de zoophilie, de pédophilie, de masochisme et de tortures composent ce grand cahier. Le dégoût et la révolte se mêlent à une fascination morbide et un désir de savoir comment les deux enfants vont grandir dans cet univers violent et malsain. Les chapitres sont très courts et se dévorent avec une avidité mêlée de malaise. L’écriture d’Agota Kristof est hypnotique, incisive, fascinante, addictive. On y prend goût, à tel point qu’une fois le premier tome de cette trilogie refermé, on a qu’une envie : se procurer la suite ! Un roman bouleversant, perturbant qui nous livre l’histoire d’une enfance brisée et d’une innocence perdue.
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Le grand cahier

Un petit chef d'oeuvre que ce court roman (et la trilogie au complète, d'ailleurs). L'autrice y joue avec la forme d'une façon extrêmement travaillée de façon à rendre le fond complètememt immersif.



Aussi, c'est trash. Très trash.



Le Grand Cahier est le journal intime de deux frères à la relation fusionnelle et troublante. Ils vivent chez leur grand-mère, personnages abusifs, pour fuir en campagne la guerre qui gagne la ville (on est quelque part on Europe de l'est, d'où Kritof est originaire). Tout est sale et misérable. Dans le Grand Cahier, les frères travaillent une écriture épurée dont nous suivons le développement au fil de la lecture. Les évènements à glacer le sang y sont raconté sur un ton banal et indifférent. On s'y demande si les frères sont de vrais psychopathes, ou si le cahier est le mensonge qu'ils se racontent pour se faire croire qu'ils tiennent le coup.



Le premier roman se lit très bien tout seul. Je le conseille fortement. Et l'envie de lire les autres vient d'elle même.
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Le grand cahier

"nous disons: nous ne jouons jamais. Nous travaillons, nous étudions, nous faisons des exercices..."



Je me suis régalé de ces deux jumeaux qui peuvent avoir dix ans dans un pays qui pourrait être la Hongrie à la fin d'une guerre qui serait celle de 40.

Comme il n'y a plus rien à manger leur mère les a menés chez la grand-mère, immonde sorcière, qui pourrait avoir tué son mari et qui les appelle "fils de chienne".



Les habite une incroyable force, une extrême droiture que seuls des jumeaux peuvent concevoir.

Il y a de la retenue, de la densité, comme leurs 'exercices' pour recevoir des coups, des injures, savoir mendier, jeûner, tuer, rester immobile, être sourd, muet ou comme le chantage chez le curé mais juste assez pour que la pauvresse 'Bec-de-lièvre' puisse passer l'hiver.



C'est parfois cru, terriblement vrai, mais c'est géant.

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L'analphabète

Avec L'analphabète, court récit autobiographique, Agota Krystof nous offre onze chapitres qui sont autant de tranches de vie. La rudesse d'une enfance laborieuse, les pensionnats des écoles soviétiques en Hongrie - État sous la coupe intransigeante du grand frère russe, la fuite vers cet Occident idéalisé, gage d'une vie meilleure et, surtout, moins précaire au sens littérale du terme.



Celle qui marquera les esprits avec sa trilogie raconte avec peu de mots mais beaucoup de force les sentiments de déracinement une fois arrivée en Suisse avec sa famille. Barrière de la langue, barrière des us et coutumes, la perte d'une part identitaire et la difficile assimilation à une nouvelle patrie. Autant de sujets qui explosent actuellement avec les vagues de migrants en provenance du Moyen-Orient ou des pays d'Afrique.



Agota Krystof montre que l'Autre n'est pas seulement celui qui arrive aux yeux des nationaux, mais que cette altérité et cette appréhension de l'autre fonctionnent dans les deux sens.



En tant qu'écrivain, et son titre parle pour lui-même, l'auteure narre le désarroi de se retrouver, adulte, à nouveau analphabète, dans l'incapacité de lire et comprendre cette nouvelle langue qui occupe son paysage de réfugiée. Un cheminement difficile et non sans mortification pour s'approprier ces nouvelles bases intellectuelles tout en faisant vivre sa famille.



Un récit sans fioriture, qui va à l'essentiel et droit au coeur du lecteur. A lire pour s'ouvrir toujours plus à l'Autre qui est tellement Nous.
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Le troisième mensonge

Si j'avais trouvé le deuxième volet de la trilogie un peu en-dessous de ce que j'attendais, je dois dire que celui-ci est assez spécial. Ce dernier tome, que je trouve être au même niveau que le premier, laisse le lecteur dans un certain flou artistique. Oui, ce roman m'a complètement désarçonnée. On croit savoir, on a des certitudes et d'un coup, pouf, plus rien, mis à part ce sentiment qu'Agota Kristof nous mène par le bout du nez, que tout est faux depuis le début... C'est du grand art ! Ce livre à deux voix, à deux mains, à deux narrateurs (Lucas puis Klaus) déstabilise et montre ainsi toute l'étendue du talent de l'écrivain. Au final, c'est le lecteur qui devient schizophrène en cherchant à savoir qui est Lucas, qui est Klaus ou Claus... Sont-ils réellement deux ? Est-ce une seule et même personne ? On referme cette trilogie avec un sentiment de malaise car elle joue sur plusieurs tableaux : sentiments, misère morale et sociale, identité. Du grand art que je vous dis !
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Le grand cahier

Formidable premier volet de – La trilogie des jumeaux – que – le grand cahier – d'Agota Kistof !

Ce livre magistral sorti en 1986, outre le fait d'être un chef-d'oeuvre littéraire traduit en 33 langues, transposé au cinéma, joué au théâtre à travers le monde...et récompensé dès 1987 par le Prix littéraire européen d'ADELF, a eu un impact majeur et inattendu - dont vous avez peut-être entendu parler – dans l'actualité de notre pays à la fin de l'année 2000.

Le 28 novembre de cette année-là, Libération titrait : "Prurit puritain à Abbeville autour du – Grand cahier -... un prof poursuivi par des parents à cause d'un livre."

De quoi s'agissait-il ?

Alors que le roman est apparu depuis sa publication au programme de plusieurs lycées et collèges, encouragé en cela par le CNDP ( Centre national de documentation pédagogique ) pour lequel l'oeuvre est un classique, un jeune professeur de français du collège Millevoye d'Abbeville ( ville près d'Amiens )âgé de vingt-six ans, enthousiasmé par le roman d'Agota Kristof, le fait acheter par les parents de ses élèves de 3ème dans l'intention fort pédagogique de montrer à ces jeunes gens "comment la littérature peut dire la guerre".

Tollé, "la bourgeoisie réactionnaire" ( pour reprendre encore des propos de Libé et du Monde ) se rebiffe, porte plainte contre l'enseignant pour "apologie de la pornographie".

Selon le magistrat en charge de la procédure, le contenu en question porte sur trois scènes litigieuses : une scène de zoophilie et deux scènes de fellations...

Le 23 novembe, le professeur escorté par trois policiers est placé trois heures en garde à vue, son logement est perquisitionné.

Commence alors une affaire de portée nationale dans laquelle vont s'affronter les syndicats enseignants, la LDH ( Ligue des Droits de l'Homme ), le FN ( Front National ), la Justice, la police et même l'ex-ministre de l'Éducation nationale...Jack Lang.

Car certains voient dans cette affaire la main dissimulée de l'extrême droite.

L'enseignant est innocenté mais on réclame pour lui une autre affectation...

Ce rappel des faits qui m'a fait penser aux remous causés aux USA par – La Vague – de Tod Strasser ou plus près de nous - avec le terrible dénouement que l'on sait - les "caricatures" proposées comme thème de réflexion par Samuel Paty... pour dire à quel point "le problème avec la morale, c'est que c'est toujours la morale des "autres"...



Et dans ce roman il est justement question de morale ou comment l'amoralité est nécessairement source d'immoralité...

Dans un pays qui n'est pas nommé ( je l'ai situé en Hongrie ), à une période qui n'est pas datée – mais l'on déduit très vite que nous sommes vers le milieu de la Seconde Guerre mondiale -, une jeune mère fuyant les bombardements de la ville préfère se séparer temporairement de ses deux fils jumeaux d'à peine dix ans, et les confier à sa mère qui vit dans un village à la campagne.

Les deux femmes ne s'aiment pas ; elles ne se sont pas vues depuis dix ans.

La mère promet qu'elle écrira régulièrement et enverra de l'argent.

Sa mère recueille "contrainte et forcée" ses deux petits-fils qu'elle ne connaît pas.

La grand-mère surnommée "la Sorcière" depuis qu'elle est soupçonnée d'avoir empoisonné son mari, est laide, méchante, avare, sale, analphabète, vulgaire et totalement dépourvue d'empathie.

Au lieu de les appeler par leurs prénoms, Claus et Lucas, elle ne va cesser de leur donner du "fils de chienne".

Les jumeaux livrés à eux-mêmes vont devoir s'appuyer l'un sur l'autre pour se défendre et survivre dans un univers qui leur est hostile.

Pour cela, il vont s'efforcer de se construire leur propre système de valeurs fondé sur une absence de morale tout à fait involontaire.

Confrontés à la déscolarisation, à la misère, à la faim, au froid, à la violence, à l'hypocrisie, au mensonge, à la délation, à la lâcheté, à l'antisémitisme,à la perversité et à l'absence de tabous transgressés par la guerre, ils vont apporter à l'âpreté de cette vie dans laquelle ils ont été jetés sans qu'on leur demande leur avis, une réponse sous deux formes.

Un grand cahier et des exercices d'endurcissement censés leur apprendre à supporter la souffrance.

La souffrance physique ? Ils vont se donner des coups jusqu'à ne plus rien sentir.

Les insultes, l'humiliation ? Ils vont se traîter l'un l'autre avec les pires mots jusqu'à devenir indifférents à ces mots avilissants.

La faim ? Ils y répondent par la pratique régulière du jeûne.

La cruauté ? Ils commencent par égorger un poulet...et ce n'est qu'un début...

Ainsi en va-t-il de même pour le vol, le chantage, la mendicité, la cécité, la surdité, le silence etc...

Le "grand cahier" est le complément "théorique" de leurs exercices pratiques.

" Pour décider si c'est "Bien" ou "Pas bien", nous avons une règle très simple : la composition doit être vraie, Nous devons décrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous faisons.

Par exemple, il est interdit d'écrire : "Grand-Mère ressemble à une sorcière" ; mais il est permis d'écrire : "Les gens appellent Grand-Mère la Sorcière."

Il est interdit d'écrire : "La Petite Ville est belle", car la Petite Ville peut être belle pour nous et laide pour quelqu'un d'autre.

Nous écrivons : "Nous mangeons beaucoup de noix", et non pas : "Nous aimons les noix", car le mot "aimer" n'est pas un mot sûr, il manque de précision et d'objectivité."aimer les noix" et "aimer notre Mère", cela ne peut pas vouloir dire la même chose. La première formule désigne un goût agréable dans la bouche, et la deuxième un sentiment.

Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s'en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c'est-à-dire à la description fidèle des faits."

Pour compléter leur apprentissage, ils ont un dictionnaire et la Bible. Bible qu'ils apprennent par coeur, non pas que la foi leur a été révélée... ils ne croient que ce qu'ils voient... le dictionnaire vient de leur père, la Bible, ils l'ont trouvée chez leur grand-mère.

"La Sorcière" héberge un officier et son ordonnance. Quelquefois l'officier reçoit son "ami".

À côté de la maison de leur grand-mère vivent une mère aveugle et sa fille affectée d'un bec-de-lièvre et qu'on appelle Bec-de-Lièvre.

Bec-de-lièvre est une gamine privée d'amour. Elle dit : "il n'y a que les animaux qui m'aiment"...

Elle et sa mère sont miséreuses. Pour survivre, la jeune fille emprunte contre caresses de l'argent au curé ou vend sa bouche à ceux qui ne sont pas trop regardants.

Chez le curé, il y a une servante très "serviable".

Alors entre un officier homosexuel masochiste et fétichiste, une gamine que n'aiment que les animaux et une servante prête à servir deux angelots mineurs, les jumeaux vont découvrir la zoophilie, le masochisme, l'ondinisme, la pédophilie.

Se focaliser sur ces moments-là du roman est à mon sens une grave erreur de lecture.

C'est la guerre, et dans la guerre il n'y a plus de tabous.

Comment des parents ont-ils pu s'offusquer et parler d'apologie de la pornographie quand dans ce roman on torture, on déporte, on assassine, que les charniers s'amoncellent et qu'un régime que l'on suppose être celui des nazis va être remplacé par son frère jumeau que l'on se représente comme étant stalinien ?



Comme je l'ai dit pour commencer, ce roman est un très grand roman.

C'est le roman du NOUS contre le monde entier.

C'est un roman sur l'enfance dans la guerre... sur ce que la guerre peut faire des enfants de la guerre.

Les sortir de l'enfance pour en faire...

Glaçant par les faits évoqués, glaçant par le choix d'une écriture glacée, - le grand cahier – est ue histoire bouleversante en cela qu'elle montre comment deux jeunes enfants beaux, sains, intelligents, jetés dans la tourmente de la guerre peuvent à leur corps et à leur âme défendant devenir l'image de la guerre.

C'est bouleversant, dérangeant, intrigant, questionnant, envoûtant...

C'est un livre terrible et magnifique !

PS: j'ai commandé les deux derniers volets de - La trilogie des jumeaux -...



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La Trilogie des jumeaux : Le Grand Cahier ;..

Pendant la guerre, deux jumeaux, Claus et Lucas, sont placés par leur mère chez leur grand-mère qu’ils ne connaissent pas.

A priori, ils ont entre sept et huit ans. La grand-mère est sale, méchante, intransigeante, les force à travailler.

D’une intelligence peu commune, ils font face à tout, s’adaptent à toutes les atrocités de la guerre et des hommes, avec un détachement et une clairvoyance sidérants. Tout est consigné dans un grand cahier.

Leur comportement est si étrange qu’ils font penser à des extraterrestres.

Dans cette première partie, le ton est sec, sans émotions ; Les évènements s’enchainent, frôlant souvent l’horrible, sans que rien n’entache la force et la détermination des jumeaux. C’est dur.



A quinze ans, Claus est parti. Il a réussi à franchir la ligne de démarcation. Lucas se retrouve seul dans la maison de la grand-mère.

Le pays est sous un régime totalitariste. Il devient un homme, fait quelques rencontres déterminantes, rachète une librairie, fait sien l’enfant de Yasmine, mais il reste toujours un être à part.

Dans cette deuxième partie, il n’est question que de Lucas qui, toute sa vie, attend le retour de son frère.

Le ton est plus doux, le style plus allongé, les personnages plus humains.



Dans la dernière partie, Claus refait surface, mais plusieurs versions de l’histoire des deux frères se succèdent.

Quelle et la bonne version ?

Qui est Lucas, qui est Claus ?

Y a-t-il vraiment deux frères.

On se perd en conjectures. Qui croire ? Que croire ?

Là aussi, le style est plus élaboré



C’est une trilogie absolument passionnante et qui se dévore d’une traite. Le sentiment de malaise sordide du début se transforme en sentiment de mal-être des deux frères et se termine en sentiment d’incompréhension. Mais chaque lecteur se fera sa propre opinion de la vérité.

En tous cas, c’est une véritable réussite.

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Le troisième mensonge

C’est la première fois.. . que je lis une « série »… en sautant un volume . Prise par ma lecture du « Grand cahier » d’Agota Kristof, je me suis rendue à ma médiathèque pour emprunter les 2 autres textes, faisant suite : « La Preuve » et « le Troisième mensonge ». Malheureusement « La Preuve » était totalement indisponible (perdu ou je ne sais !)… je n’ai pu m’empêcher de repartir avec le dernier de la série, lu en 2 soirées...



Toujours aussi perplexe ; comme nombre de lecteurs, perdue entre le rêve, la réalité, les mensonges des « personnages »…je vais me commander le deuxième tome, et relirais une seconde fois l’ensemble, tant l’œuvre est à la fois cinglante, fascinante, déroutante, alternant différentes appréhensions de la réalité.

Dès que nous nous sentons un peu stabilisés dans une certaine « réalité »… l’auteur détourne ce qu’elle vient de faire dire à ses personnages… et le doute, les questions sans réponse ressurgissent, se poursuivent…sans fin



Toujours est-il, que dans ce « Troisième mensonge »… nous poursuivons le parcours des « jumeaux » à travers la seule parole de klaus, devenu typographe et « écrivain », à la recherche de son double, blessé grièvement… et disparu, on ne sait où et dans quelles circonstances. On ne l’apprendra que beaucoup plus tard…



Difficile de cerner cette œuvre magistrale. La douleur de vivre absolue, le non-sens de l’existence poussés à son paroxysme, causés par la guerre, mais pas seulement. On découvre dans ce dernier volet, la révélation d’une terrible tragédie individuelle, familiale, qui a fait exploser le noyau familial où étaient nés klaus et Lucas, « Les jumeaux »…parallèlement aux horreurs et traumatismes de la guerre…J’achève cette note de lecture plus que succinte et imparfaite, par la transcription d’un extrait, qui donne un peu de la tonalité de « l’univers d’Agota kristof »



« Je me couche et avant de m'endormir je parle dans ma tête à Lucas, comme je le fais depuis de nombreuses années. Ce que je lui dis, c'est à peu près la même chose que d'habitude. Je lui dis que, s'il est mort, il a de la chance et que j'aimerais bien être à sa place. Je lui dis qu'il a eu la meilleure part, c'est moi qui dois porter la charge la plus lourde. Je lui dis que la vie est d'une inutilité totale, elle est non-sens, aberration, souffrance infinie, l'invention d'un Non-Dieu dont la méchanceté dépasse l'entendement. « (Ed. du Seuil, 1991, p.179)



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Le troisième mensonge

Avec - le troisième mensonge – Agota Kristof clôt sa Trilogie des jumeaux.

On se dit ou je me suis dit : enfin, je vais savoir le fin mot de l'histoire, comprendre à quoi ce puzzle une fois assemblé ressemble.

Et j'ai cru comprendre... même si chacun des jumeaux "dit la sienne"...

Qu'il y avait bien des jumeaux, séparés très tôt dans l'enfance à cause de "la chose"... un drame de la jalousie entre le père de Claus et de Lucas, lequel s'apprête à quitter leur mère pour vivre avec sa maîtresse à laquelle il a fait un enfant... une fille.

La mère des jumeaux ne l'entend pas ainsi.

Après s'être emparée d'une arme à feu, elle en vide le chargeur sur le chef de famille adultérin... qui expire non sans qu'une balle n'ait auparavant ricoché pour pénétrer dans le dos de Lucas.

Le jumeau grièvement blessé est transporté à l'hôpital, sauvé et envoyé dans un centre de rééducation où il ne finira plus que par claudiquer...

Entre-temps, leur mère est enfermée dans un établissement psychiatrique, Claus quant à lui est recueilli par la maîtresse de son père et élevé pendant quelques années avec sa demi-soeur ; l'un et l'autre devenant indissociables, un aigle à deux têtes, "deux âmes battant dans une même poitrine"...arrête Patrick, tu t'exposes à "l'escalatoire" !

Bref, "deux" jumeaux réunis par le cordon invisible de la passion ; une passion incestueuse, impossible à vivre...

Lucas et Claus ( anagramme ) sont donc séparés et vont passer cinquante ans à se chercher, à se croiser sans se voir...

Leur mère de retour à la maison n'aura de cesse d'attendre l'éternel retour de l'enfant blessé.

Claus souffrira de l'amour maternel confisqué par "la chose" et conséquemment par son frère.

Pendant un demi-siècle, ils vont avoir un point commun : l'écriture.

Et lorsqu'ils se retrouveront, Claus refusera de reconnaître Lucas, lequel lui confiera ses cahiers avant de disparaître...



Ce qu'il y a de "plausible" dans cette interprétation, c'est que de manière palimpseste, elle copie-colle assez bien les deux premiers volets de la Trilogie.

C'est du moins ce que j'avais cru comprendre ; les différentes pièces du puzzle s'intriquant assez bien, les personnages et les situations s'expliquant.



Et puis j'ai lu les commentaires babéliens, ceux d'autres sites, d'autres blogs, des analyses littéraires, une interview de l'auteure... et là, je suis arrivé à une conclusion : je sais qu'on ne sait jamais.

Ce que je sais, c'est qu'Agata Kristof était partie au début sur une intention autobiographique, dont elle s'est défaite progressivement.

Qu'elle voulait écrire un texte pour le théâtre ( ça, je l'avais repéré...) qu'elle y a renoncé également, sans toutefois parvenir à complètement s'en détacher... sur la forme et sur le fond...

Que ce "troisième mensonge" ne peut être la vérité à moins que tout soit mensonge et qu'il n'y ait pas de vérité ou bien encore que la vérité ait besoin du mensonge pour exister ou que... - Ciascuno a suo modo – si l'on veut se référer à Luigi Pirandello... traduit littéralemet... chacun à sa facon, c'est-à-dire à chacun sa vérité.



Il n'est pas impossible que je revienne un jour sur cette Trilogie ( j'ai peur de manquer de temps...), persuadé ou pas que je la lirai et la comprendrai différemment.



Ce dont je reste certain, c'est qu'elle est en soi une expérience littéraire unique, d'une exceptionnelle originalité.

Qu'elle nous prend et qu'on se laisse prendre et sur-prendre.

Qu'elle est multithème, mais qu'outre le mystère Claus-Lucas, subsistent ces étranges sensations, ce ressenti troublant d'où émergent de manière oppressante et obsédante, la guerre, l'occupation, le mal, l'absurdité, le non-sens, la solitude, la mort.



Une Trilogie incontournable sur le "mentir-vrai" !



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L'analphabète

Après quarante ans d'exil en Suisse, la Hongroise Agota Kristof éprouve encore la souffrance d'être pour toujours étrangère dans son pays mais surtout, analphabète. Jamais elle ne parlera sans fautes, jamais elle ne pourra écrire sans consulter sans cesse dictionnaires et manuels de conjugaison.

Dans ce récit autobiographique dont le sujet principal est l'écriture, l'auteure parle avec pudeur des souffrances qu'elle a traversée, la misère et la solitude tout d'abord alors que le communisme russe s'empare de la Hongrie, la pauvreté d'un enseignement réduit à ce qui n'est pas censuré et l'obligation d'apprendre contre sa propre volonté une langue de dominant, puis l'exil, la pauvreté encore et encore la solitude dans un pays inconnu dans lequel elle ne peut même plus se réfugier dans les romans.

Le livre est court, il se lit très vite, mais il n'en est pas moins fort et très émouvant, comme tout ce qu'elle écrit dans une langue qui n'est pourtant pas la sienne. "Ce dont je suis sûre, c'est que j'aurais écrit, n'importe où, dans n'importe quelle langue".

Agota Kristof continue à considérer le français comme une langue ennemie, une langue qu'elle doit continuellement affronter, apprendre à dompter mais qu'elle a pourtant choisie pour écrire.

le roman ne dit pas si elle est retournée voir sa famille une fois le Mur tombé, le communisme fini, si elle a été tentée de "rentrer", récupérer sa langue, lire et écrire en hongrois. Peut-être le chemin a t'il été trop douloureux pour maintenant faire machine arrière?

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La preuve

Second volet de - La trilogie des jumeaux -, - La preuve - fait donc suite à - Le grand cahier - d'Agota Kristof.

Nous avions quitté dans le premier opus Claus, Lucas et leur père tentant de traverser la frontière.

Pour y parvenir il fallait qu'il n'y ait qu'un des deux frères qui se retrouve de "l'autre côté" ; le second se "sacrifiant" en restant au pays, dans la Petite Ville, dans la maison de grand-mère.

Cette seconde partie est, outre une narration à la troisième personne du singulier, emplie d'une violence et d'une cruauté davantage contenues que dans - Le grand cahier -.

Mais contrairement à ce que j'ai pu lire ici et là, j'ai lu pour ce qui me concerne un roman empli d'une violence et d'une cruauté plus ou moins retenues.



Violence il y a dans cette "séparation", cette déchirure que vit Lucas après la fuite de son frère.

Une violence qui se traduit par ce qui ressemble à une autodestruction, le refus d'une vie désormais privée de sens.

Jusqu'à la rencontre avec Yasmine, jeune fille qu'il surprend à la rivière au moment où elle essaie de noyer Mathias son fils né d'une union incestueuse avec son père... à présent en prison. C'est violent, me semble-t-il !

Lucas recueille la mère et l'enfant qui souffre de malformations, qui claudiquera à vie et sera l'objet de toutes les cruautés que les enfants réservent à ceux qui leur sont différents, plus faibles, et qui leur font l'affront en dépit de leur handicap de les dominer intellectuellement.

Violent ou pas ?

Que dire de Victor le libraire addict à l'alcool et au tabac que Sophie sa soeur va tenter, au péril de sa vie, de libérer de ses démons, lui donnant enfin l'opportunité de réaliser son rêve : devenir écrivain ? La corde que le bourreau passera au coup du libraire apporte une réponse violente et cruelle à cette question... qui n'en était pas tout à fait une...

Pourquoi ne pas évoquer Clara, la bibliothécaire de 37 ans dont les cheveux ont blanchi en une nuit, la nuit où Thomas son mari fut pendu par les sicaires d'un régime totalitaire. Clara dont Lucas va faire sa maîtresse après avoir "rossé" son amant chirurgien et l'avoir contraint à demander sa mutation pour se débarrasser de l'importun.

Clara qui vit dans un passé omniprésent, obsessionnel, tyrannique.

Clara qui se joindra à l'insurrection... j'ai pensé à celle de Budapest en 56... que Lucas croira morte et qui réapparaîtra des années plus tard, morte vivante, vieille femme édentée, fantôme trainant à jamais ses chaînes.

Nous sommes toujours, à mon sens, dans la violence.

Si j'ajoute les squelettes de sa mère et de sa soeur que Lucas a pendu dans l'appartement et caché derrière un rideau, deux squelettes qui attendent qu'un troisième vienne se sus-pendre à leurs côtés, le même Lucas ne pouvant plus trouver le sommeil que sur la tombe du petit M... il n'y a pas là matière à plaider la légitime (?) violence.



Bien sûr on pourra me dire que la personnalité de Lucas s'est légèrement sociabilisée...

À cela je dis que le temps passant, oui, l'aide et la présence accordées au vieux curé délaissé par ses ouailles et par l'État, la relation "amicale" avec Peter, "l'amour" pour Mathias, tout ça tend à nous laisser croire que le Lucas de - La preuve - s'est humanisé.

Mais c'est faire abstraction de la "disparition" de Yasmine... Qu'est devenue la jeune femme ou qu'en a fait Lucas ?



Quelle que soit la lecture qui sera la vôtre, la mienne s'est faite à travers celle d'une pièce habilement mise en scène par son auteure.

Nous avons déjé fait mention du style.

Je le trouve automatisé :" Lucas dit, Lucas rit, Peter dit, Lucas rit de nouveau, L'enfant dit, Lucas éteint la radio, Victor demande, Victor sourit..."Dès les premières lignes de la première page nous avons affaire à ce parti pris de l'auteure :" Un soldat dit, Un autre soldat dit, Le sergent dit, Lucas dit..."

Acteurs d'une pièce puzzle dont Agata Kristof tire habilement les ficelles.

Automates réels d'une pièce écrite dans un décor ( un pays ) qui fait des hommes des automates ?



Pour nous perdre un peu plus, la "sournoise marionnettiste" met en scène un Lucas dont apparemment personne ne se souvient qu'il avait un jumeau.

Par ailleurs des personnages du premier volet et des situations de celui-ci croisent ceux et celles de cette seconde partie.



Le rêve est présent lui aussi... questionnant la réalité à moins que ce ne soit le contraire.



Des figures comme celles des flashs d'un amnésique interpellent.

Qui est cet insomniaque qui passe son temps à demander l'heure ?



Quelle interprétation donner aux épisodes durant lesquels Lucas vomit et s'évanouit ?



Point d'orgue, la réapparition à la fin du roman de Claus venu retrouver Lucas... qui a disparu !!!...



Il semble évident que toutes les pièces du puzzle seront rassemblées dans – Le troisième mensonge – et qu'on se dira alors contemplant le canevas, bon sang mais c'était bien sûr !



Un deuxième volet qui reste passionnant. Un jeu où l'auteure s'ingénue à brouiller les pistes mais où l'on sent qu'elle nous promène dans cette forêt où les jumeaux ont semé des cailloux pour ne pas trop nous perdre.

Une trilogie énigmatique dans laquelle le rêve, le mystère, l'amnésie, le rapport au temps maillent une trame hyperréaliste qui sert de prétexte à l'auteure pour dessiner en pointillés un réquisitoire contre les errances de l'Histoire et contre l'homme confronté à cette Histoire dans laquelle il écrit la sienne.

Les deux premiers volets de cette trilogie ne peuvent être lus sans la place et l'importance que revêt pour l'humain l'écriture.

Il y a du Kafka, du Hitchcock raconté le soir par un Orson Welles qui aurait troqué ses Martiens contre des jumeaux.
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L'analphabète

Agato Kristof est une écrivaine d'origine hongroise qui écrit en français.

Dans ce petit roman autobiographique, elle nous trace les grandes lignes de sa vie.

Petite fille, elle adore lire et écrire dans sa langue maternelle le Hongrois.

Née dans une famille pauvre, elle est placée dans un pensionnat à l’âge de quatorze ans où elle sera bien nourrie et logée décemment.

A vingt-deux ans, jeune maman, elle fuit la Hongrie avec son enfant et le père de cette dernière. Le rêve d’une vie meilleure à l’Ouest va la mener d’une épreuve à l’autre.

Accueillie d’abord en Autriche puis en Suisse, elle doit tout apprendre, une nouvelle culture et surtout une nouvelle langue. Elle se sent redevenue « analphabète » en quelque sorte.

A force de courage et de persévérance, elle devient écrivain et est publiée par une grande maison d’édition.

Un petit roman par sa taille, très fort par le message qu’il véhicule, celui de l’exil, ses désillusions mais aussi ses possibles en termes d’épanouissement. Roman simple et touchant.

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Le troisième mensonge

Suite et fin de la trilogie, qui à nouveau rebat les cartes après la déroutante fin du deuxième volume, « la preuve ».

Ce troisième opus ne l’est pas moins, d’ailleurs, loin s’en faut. Si l’on retrouve le style sec et oppressant du premier volet « le grand cahier », l’auteure nous entraîne ici dans un labyrinthe de narrations qui se chevauchent et se répondent. Faisant intervenir tantôt un frère, tantôt l’autre, avec de multiples références aux événements relatés précédemment mais par bribes ou sous des angles radicalement différents, ces narrations semblent nous perdre dans une série de réalités parallèles comme autant de rebondissements dont on peine à extraire la vérité.



Il y a bien eu drame, cependant, à l’origine du traumatisme que cette fin nous révèle. Un drame familial au milieu du drame, plus vaste, de l’expérience totalitaire et désenchantée qu’a connu le pays dans lequel la tragédie s’est jouée.

D’où peut-être tous ces récits mêlés de vérités et de mensonges, d’où ce frère peut-être inventé, d’où peut-être ces cahiers remplis d’une littérature plus supportable que le réel.



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La preuve

Suite du « grand cahier » qui m’avait laissée aussi estomaquée qu’avide de connaître l’intention de l’auteure derrière la terrible fable.

Avec « la preuve », l’effet de sidération se poursuit, mais sur un autre registre.



Le style d’abord, plus plein et plus humanisé, en rupture avec les mots jetés avec une froide colère dans le premier tome.

L’histoire ensuite, où l’on voit avec stupeur le frère resté au pays faire montre de compassion et de générosité. Là où dans « le grand cahier » les jumeaux étaient seuls, amoraux, privés de sensations et sans interactions avec le monde extérieur, le frère côtoie ici de très près plusierus personnages, et ceux-ci amènent même quelques images de beauté et d’amour au hasard de quelques pages perdues dans l’univers policé et déshumanisé de cette ville de l’Est « révolutionnaire ».



Et à nouveau, la révélation finale qui fait remettre en question la solidité des certitudes difficilement acquises dans ce deuxième volet quant à la réalité de l’histoire contée, dont on brûle de connaître le dénouement avec le dernier tome au titre intrigant, « le troisième mensonge ».

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Le grand cahier

Il y a des textes que l’on lit les yeux fermés, tendu, en éveil, pour ne pas voir afin de tout comprendre, et l’inverse. Surtout l’inverse, plus facile.

Voilà ce qu’offre ce texte brut, au cordeau, sec jusqu’à l’os, sans échappatoire. Même pas celle des artifices de la langue puisque c’est l’œuvre d’une auteure d’origine hongroise qui nous fait l’offrande d’un français nu, né de son exil.



C’est la guerre. La Mère confie ses jumeaux à la Grand-Mère, qu’on dit sorcière pour sa méchanceté, qui vit en dehors du monde des hommes, repliée sur ses griffes. Elle prend les enfants et les laisse pousser, sans soins.

Et ils poussent, seuls. Ils regardent le monde et les agissements des hommes qui les entourent, ils étudient, ils comprennent. Ils apprennent par cœur, seuls, des passages de la Bible, seul livre en leur possession. Ils s’adaptent, ils s’endurent à oublier la mère, ils survivent. Ils mentent, ils volent, ils tuent. Ils ne jouent pas, ils ne demandent pas, ils ne prient pas.



Dire que ce livre est dérangeant est insuffisant, il faut aller plus loin. Il s’achève sur une suite que je vais m’empresser de lire, autant pour savoir où l’auteure veut en venir que pour tester mes limites dans un univers dénué de toute morale convenue.



En attendant, la force de frappe de ce court livre me fait encore très mal au ventre.

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