Citations de Albert Londres (384)
Les églises catholiques croulaient sous des masses d'incroyants pour qui les coups de canon avaient eu la vertu du baptême.
Le bagne n’est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C’est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c’est tout, et les morceaux vont où ils peuvent.
Quand on en arrive à ce point, ce n'est pas pour s'arrêter. Comme d'invisibles vagues de gaz, prêtes à asphyxier les complots, dans ces cadres, les espions furent lâchés. C'étaient les membres de la "brigade pure". La brigade pure ne compte pas un homme dont la foi communiste ne soit transparente. Ces fanatiques sont dans toute l'armée comme autant d'oreilles de Trotski. Une dénonciation et c'est le poteau. Et c'est ainsi que l'armée rouge est muette, immobile, sans murmures – autres que ceux de l'âme.
— Ici ? C'est la baraque à massacre. Je suis soldat de métier, pas ? J'suis donc pas suspect ! Eh bien ! Je deviens antimilitariste. Est-ce que vous savez ce qu'on fait dans les pénitenciers ?
— Dites.
— Les fers, les coups de bottes, la crapaudine, la pelotte, la cravache et cent mille cochonneries. Mais c'est des choses pour des bêtes, tout ça ! Je suis un vieux soldat, moi ; je proteste au nom des vieux soldats. On est fait pour se battre, non pour être battu ! Depuis que je vois ce que je vois, j'peux plus voir l'uniforme.
Et mon vieux copain changea subitement de figure :
— Y m'ont donné de la haine.
Il y a qu'ils ne mangent pas à leur faim ; l'esprit peut se faire une raison, l'estomac jamais. Il y a les fers, la nuit, pour beaucoup, dans les cases ! Que chacun ait ce qu'il mérite, nous ne le discutons pas, mais que ces hommes soient venus sur terre pour dormir cloués à une planche, on ne peut dire cela.
Tous ont des couteaux. Il n'est pas de forçat sans (...) couteau. Le matin, quand on ouvre la cage, on trouve un homme le ventre ouvert. Qui l'a tué ? On ne sait jamais. C'est leur loi d'honneur de ne pas se dénoncer. La case entière passerait sous la guillotine plutôt que d'ouvrir le bec. Pourquoi se tuent-ils ? Affaire de mœurs.
On me demande encore: « Que dites-vous des sionistes qui posent ce dilemme : Désormais, tout Juif sera sioniste, ou, s'il préfère demeurer fran çais, anglais, etc., il devra se faire catholique ou protestant ? » Je réponds que ces sionistes sont peut-être des esprits purs, mais, en tout cas, qu'ils sont des intolérants, et que rien n'est plus intolé rable que l'intolérance. Mais je dis aussi qu'il faut leur pardonner, non parce qu'ils ne savent ce qu'ils disent, mais parce qu'ils le disent dans le feu de la bataille.
Depuis dix ans, la misère, ici, a décuplé. Avant les derniers traités de paix, ces Juifs allaient chaque été travailler trois mois dans la fameuse plaine hongroise. La frontière a séparé la plaine de la montagne. Les Hongrois refusent le passeport à leurs anciens sujets devenus sujets tchécoslo vaques. Trois mois de gains suffisaient à ces Juifs pour vivre le reste de l'année. Toute l'année, main tenant, est suspendue aux maigres fruits des arbres des Carpates!
Ce n'est pas un cimetière, mais une levée en masse de dalles funéraires, une bousculade de pierres et de tombeaux. On y voit les Juifs - je veux dire qu'on les devine s'écrasant les pieds, s'étouffant, pour se faire, non plus une place au soleil, mais un trou sous terre. À cette époque, quel que fût leur nombre, vivants, ils devaient tous tenir dans le ghetto, et, morts, tous se coucher dans le cimetière.
D'où venait-il ? D'un ghetto. Il faisait partie de ces millions d'êtres humains qui vivent encore sous la Constitution dictée par Moïse du haut du Sinai. Pour plus de clarté, il convient d'ajouter qu'à l'heure présente ils vivent aussi en Galicie, en Bucovine, en Bessarabie, en Transylvanie, en Ukraine et dans les montagnes des Marmaroches. Autrement dit, sans cesser d'appartenir uniquement à Dieu, ils sont, par la malice des hommes, sujets polonais, roumains, russes, hongrois et tchécoslovaques.
Pour soigner les fous, il faut d'abord prendre la peine de comprendre leur folie.
Le fou est individualiste. Chacun agit à sa guise. Il ne s'occupe pas de son voisin. Il fait son geste, il pousse son cri en toute indépendance. Quand plusieurs vous parlent à la fois, l'homme sain est seul à s'apercevoir que tous beuglent en même temps. Eux ne s'en rendent pas compte. L'un se suiciderait lentement au milieu de cette cour qu'aucun ne songerait à intervenir. Ils sont des rois solitaires (p14)
Le Guyanais qui va se promener prend son fusil comme nous notre parapluie. C’est l’habitude.
J’ai une petite fille de dix ans. Voyant un monsieur dans le salon, elle se dit : « C’est un ami de papa. » Elle va vers Ullmo : « Bonjour, monsieur », et elle lui tend la main. J’entends ma petite fille qui crie : « Papa ! le monsieur pleure. » J’arrive, les larmes coulaient le long des joues d’Ullmo. « – Eh bien ? lui dis-je. Je compris. « – Pardonnez, fit-il, voilà quinze ans qu’on ne m’avait tendu la main. »
L'homme ne doit plus exister en tant qu'homme, mais en tant qu'atome de la communauté.
C'est malheureux, dit un Breton qu'emballe le spectacle, on casque deux cent cinquante mille balles à un cheval pour minutes et demie, et on donne des briques à des hommes qui en font plus que les chevaux.
Mais j'aime Sofia pour des raisons beaucoup moins saines. Nuit et jour, on y goûte une telle ivresse de l'insécurité que l'on est perpétuellement sous le coup délicieux d'un vertige.
En vous disant tout à l'heure que, sans la Macédoine, il n'y aurait pas de comitadjis, je vous ai donné une opinion. Il en est une autre, celle des Serbes : sans les comitadjis, il n'y aurait plus de Macédoine.
Je fus contre Gandhi parce que sa méthode était mauvaise et sa tyrannie morale insupportable. Heureux les hommes qui sont assez poètes pour croire que le bonheur accourt quand on l'appelle et qu'on a tout pour rien, la liberté pour une chemise en khaddar ! Non ! C'était vraiment trop bon marché ! L'Inde est riche et peut payer plus cher. L'indépendance ne s'achète pas au rabais.
Parlons de Fiume. L'Italie, l'Italie entière, du bout de la botte à la cime des Alpes, veut Fiume. Elle le veut d'un désir brûlant. Les lenteurs de la décisions ne sont plus pour elle une attente, mais un tourment.
Fiume attend son sort. Sera-t-elle italienne ou du royaume des Slaves du Sud ?