Citations de Anatole France (852)
"Mais, planant sur ce monde où la vie apaisée
Dort d'un sommeil sans joie et presque sans réveil,
Des êtres, qui ne sont que lumière et rosée
Seuls agitent leur âme éphémère au soleil."
Anatole France
"Il faut aimer qui nous aime. La souffrance nous aime et s'attache à nous. Il faut l'aimer si l'on veut supporter la vie; et c'est la force et la bonté du christianisme de l'avoir compris... Hélas! je n'ai pas la foi, et c'est ce qui me désespère."
Du moins Maurice demeurait-il croyant. Dans les égarements de la jeunesse, sa foi restait intacte, puisqu'il n'y avait pas touché. Jamais il n'en avait examiné un seul point. Il n'avait pas considéré plus attentivement les idées morales qui régnaient sur la société à laquelle il appartenait. Il les prenait telles qu'elles lui étaient apportées : aussi se montrait-il en toutes circonstances un parfait honnête homme, ce qu'il n'aurait su faire s'il avait médité sur le fondement des mœurs.
Ce qui donne une beauté humaine aux regards de ce chien, pensa-t-il, c'est qu'ils sont tour à tour d'une vivacité riante et d'une lenteur grave, et que par eux s'exprime une petite âme muette dont les pensées ne manquent ni de durée ni de profondeur, et qui est une âme attentive.
Faut-il donc avoir perdu tout ce qu'on possédait pour en savoir tout le prix... Ce qui n'est plus, n'est-ce point le seul bien que nous puissions avoir ? Tout nous fuit, tout nous meurt... L'écrin du souvenir est notre seule richesse.
Un buste de la République et un Christ en croix surmontaient le prétoire, en sorte que toutes les lois divines et humaines étaient suspendues sur la tête de Crainquebille. Il en conçut une juste terreur. N'ayant point l'esprit philosophique, il ne se demanda pas ce que voulaient dire ce buste et ce crucifix et il ne rechercha pas si Jésus et Marianne, au Palais, s'accordaient ensemble.
L'expérience. Elle me démontre que le septicisme le plus étendu cesse là où commence soit la parole, soit l'action. Dès qu'on parle, on affirme. Il faut en prendre son parti. Je m'y résigne. Je vous épargnerai de la sorte les "peut-être", les "si j'ose dire", les "en quelques sortes", et autres mantilles du langage, dont un Renan peut seul se parer avec grâce.
p225
Rien ne vaut la rue pour faire comprendre à un enfant la machine sociale. Il faut qu'il ait vu, au matin, les laitières, les porteurs d'eau, les charbonniers; il faut qu'il ait examiné les boutiques de l'épicier, du charcutier et du marchand de vin; il faut qu'il ait vu passer les régiments, musique en tête; il faut enfin qu'il ait humé l'air de la rue, pour sentir que la loi du travail est divine et qu'il faut que chacun fasse sa tâche en ce monde.
p124
"Il est bon que le cœur soit naïf et que l’esprit ne le soit pas."
En art comme en amour, l'instinct suffit.
- L'esprit peut-il concevoir, dit Aracade, ce qu'une grande ville contient de douleurs et de souffrances ? Je crois qui si un homme parvenait à se le représenter, l'horreur de cette vision serait telle qu'il tomberait foudroyé.
- Et pourtant, répondit Zita, tout ce qui respire dans cette géhenne aime la vie. C'est un grand mystère !
- Malheureux tant qu'ils existent, il leur est affreux de cesser d'être ; ils ne cherchent pas dans l'anéantissement une consolation ; ils n'y prévoient pas même le repos. Leur folie leur rend redoutable le néant même : ils l'ont peuplé de fantômes. Et voyez ces frontons, ces clochers, ces dômes et ces flèches qui percent la brume, surmontés d'une croix étincelante !... Les hommes adorent le démiurge qui leur a fait une vie pire que la mort et une mort pire que la vie.
« La loi, dans sa majestueuse égalité, interdit à tous, aux riches comme aux pauvres, de dormir sous les ponts, de coucher dans la rue et de voler du pain »
- Monsieur, répondit mon bon maître, nous avons vu en France des changements plus grands que celui-là. [....] A chacun de ces changements les uns juraient que tout était perdu, les autres que tout était sauvé. Et l'on en fit des chansons. Pour ma part je prends peu d'intérêt à ce qui se fait dans le cabinet du prince, observant que la vie n'en est pas changée, qu'après les réformes les hommes sont, comme devant, égoïstes, avares, lâches et cruels, tour à tour stupides et furieux, et qu'il s'y trouve toujours un nombre à peu près égal de nouveau-nés, de mariés, de cocus et de pendus, en quoi se manifeste le bel ordre de la société. Cet ordre est stable, monsieur, et rien ne saura le troubler, car il est fondé sur la misère et l'imbécillité humaine, et ce sont là des assises qui ne manqueront jamais.
Ce sont les réceptions officielles qui m'accablent. Je savais qu'il serait fastidieux et inutile d'aller au bal du ministre ; je le savais et j'y allai, parce qu'il est dans la nature humaine de penser sagement et d'agir d'une façon absurde.
P18
La guerre et le romantisme, fléaux effroyables ! Et quelle pitié de voir ces gens-ci nourrir un amour enfantin et furieux pour les fusils et les tambours ! Il ne comprennent pas que la guerre, qui forma les cœurs et fonda les cités, n'apporte au vainqueur lui-même que ruine et misère et n'est plus qu'un crime horrible et stupide maintenant que les peuples sont liés entre eux par la communauté des arts, des sciences et du trafic. Européens insensés qui méditent de s'entr'égorger, alors qu'une même civilisation les enveloppe et les unit !
[N.B : ce roman fut publié en janvier 1914. Anatole France, anarchiste, pacifiste, participant à des journaux de gauche tel L'Humanité et qui comptait parmi ses amis le grand Jean Jaurès, ne pouvait que pressentir la terrible conflagration qui surviendrait quelques mois plus tard.]
J'ai remarqué souvent que les raisons les plus absurdes et les plus saugrenues sont les moins combattues : elles déconcertent l'adversaire.
On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels.
Ce que nous voyons la nuit, ce sont les restes malheureux de ce que nous avons négligé dans la veille. Le rêve est souvent la revanche des choses qu’on méprise ou des êtres abandonnés.
C’est que depuis longtemps la poste ne lui apportait rien d’heureux. Mais, quand il eut rompu le cachet et commencé de lire, il découvrit ses dents blanches par un sourire naïf. Sa nature enfantine, flétrie par la misère, s’égayait à la moindre clémence des choses. En ce moment-là, il était heureux de vivre.
Il retourna toutes ses poches pour recueillir une poussière de tabac mêlée de croûtes de pain et de flocons de laine dont il bourra sa pipe courte ; puis, s’étant coulé voluptueusement sous les draps sales de son lit-canapé, il se mit à chantonner à mi-voix la lettre qui l’avait fait sourire.
Cher monsieur,
Je suis de passage à Paris avec mon fils Remi que j’amène de Brest où il a fait ses études. J’ai songé à vous pour le préparer au baccalauréat. En éducation, comme dans le reste, je suis partisan des idées avancées. Voulez-vous venir déjeuner avec nous demain samedi à 11 heures, au Grand-Hôtel, pour nous entendre ?
Tout à vous.
A. Sainte-Lucie.
M. Godet-Laterrasse, ayant terminé le chant de cette lettre, alluma sa pipe et s’enveloppa de fumée et de rêves. Quelle caresse de la fortune que cette lettre inattendue !
Sans l'ironie, le monde serait comme une forêt sans oiseaux.