Citations de Anatole France (852)
Les modérés s'opposent toujours modérément à la violence.
Page 200 (Édition Calmann-Lévy 1908)
Le nombre des esprits émancipés augmente de jour en jour. La liberté de conscience est à jamais acquise. L'empire de la science est fondé. Mais je crains un retour offensif des cléricaux. Les circonstances [NB : l'affaire Dreyfus] favorisent la réaction. J'en suis soucieux. Je ne suis pas comme vous un dilettante. J'aime la République d'un amour inquiet et farouche.
Un jour de l'an passé, sur le pont des Arts, quelqu'un de mes confrères de l'Institut se plaignit devant moi de l'ennui de vieillir. " C'est encore, lui répondit Sainte-Beuve, le seul moyen qu'on ait trouvé de vivre longtemps."
On ne douta point parce que la chose était partout répétée et qu'a l'endroit du public répéter c'est prouver. On ne douta point parce qu'on désirait que Pyrot fut coupable et qu'on croit ce qu'on désire, et parce qu'enfin la faculté de douter est rare parmi les hommes ; un très petit nombre d'esprits en portent en eux les germes, qui ne se développent pas sans culture. Elle est singulière, exquise, philosophique, immorale, transcendante, monstrueuse, pleine de malignité, dommageable aux personnes et aux biens, contraire à la police des Etats et à la prospérité des empires, funeste à l’humanité, destructive des dieux, en horreur au ciel et à la terre.
J’ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l’indifférence.
Il est doux de se souvenir. Le silence de la nuit y invite.
Fra Giovanni
XIII Le songe
Ami, ne t'obstine pas à lire ce qui n'est pas écrit. Sache seulement que tout ce qu'un homme a pensé ou cru dans sa vie brève est une parcelle de cette infinie Vérité ; et que, de même qu'il entre beaucoup d'ordure dans ce qu'on appelle le monde, c'est-à-dire arrangement, ordre, propreté, de même les maximes des méchants et des fous, qui sont le commun des hommes, participent en quelque chose de l'universelle Vérité ? laquelle est absolue, permanente et divine. Ce qui me fait craindre pour elle qu'elle n'existe pas.
[Le dieu des chrétiens parle :] Aussi, je puis vous annoncer qu'après que le soleil aura tourné encore deux cent quarante fois autour de la terre...
-Sublime langage ! s'écrièrent les anges.
-Et digne du créateur du monde, répondirent les pontifes.
-C'est, reprit le Seigneur, ma façon de dire en rapport avec ma vieille cosmogonie et dont je ne me défais pas sans qu'il en coûte à mon immutabilité...
Page 32 (Édition Calmann-Lévy 1908)
"On goûte un plaisir philosophique à considérer que la Révolution a été faite en définitive pour les acquéreurs de biens nationaux et que la Déclaration des droits de l'homme est devenue la charte des propriétaires." (A. France, Le Mannequin d'osier, p. 59)
«Je vois ici l'image de la cité future où les plus hauts édifices ne sont marqués encore que par des creux profonds, ce qui fait croire aux hommes légers que les ouvriers qui travaillent à l'édification de cette cité, que nous ne verrons pas, creusent des abîmes, quand en réalité ils élèvent la maison prospère, la demeure de joie et de paix.»
Ainsi M. Bergeret, qui était un homme de bonne volonté, considérait favorablement les travaux de la cité idéale. Il s'accommodait moins bien des travaux de la cité réelle, se voyant exposé, à chaque pas, à tomber, par distraction, dans un trou.
[...] Pardonnez-moi la peine que vous prendrez pour moi à la bibliothèque de la ville, je souhaite que vous en soyez récompensé par la rencontre de la nymphe portière, aux cheveux d'or, qui écoute, avec des oreilles purpurines, les propos amoureux, en balançant au bout de ses doigts les grosses clefs de vos antiques trésors. Cette nymphe me rappelle que j'ai passé les jours d'aimer et qu'il est temps de cultiver des vices choisis. La vie serait vraiment trop triste si le rose essaim des pensées polissonnes ne venait parfois consoler la vieillesse des honnêtes gens. Je puis faire part de cette sagesse à un esprit rare comme le votre et capable de la comprendre.
Y a-t-il une histoire impartiale ? Et qu'est-ce que l'histoire ? La représentation écrite des événements passés. Mais qu'est-ce qu'un événement ? Est-ce un fait quelconque ? Non pas ! C'est un fait notable. Or, comment l'historien juge-t-il qu'un fait est notable ou non ? Il en juge arbitrairement, selon son goût et son caractère, à son idée, en artiste enfin. Car les faits ne se divisent pas, de leur propre nature, en faits historiques et en faits non historiques. Un fait est quelque chose d'infiniment complexe. L'historien présentera-t-il les faits dans leur complexité ? Cela est impossible. Il les représentera dénués de presque toutes les particularités qui les constituent, par conséquent tronqués, mutilés, différents de ce qu'ils furent. Quant aux rapports des faits entre eux, n'en parlons pas. Si un fait dit historique est amené, ce qui est possible, ce qui est probable, par un ou plusieurs faits non historiques, et par cela même inconnus, comment l'historien pourra-t-il marquer la relation de ces faits et leur enchaînement ? Et je suppose dans tout ce que je dis là que l'historien a sous les yeux des témoignages certains, tandis qu'en réalité on le trompe et qu'il n'accorde sa confiance à tel ou tel témoin que par des raisons de sentiment. L'histoire n'est pas une science, c'est un art. On n'y réussit que par l'imagination.
C'est dans l'imitation qu'il faut chercher la raison de la plupart des actions humaines. En se conformant à la coutume on passera toujours pour un honnête homme. On appelle gens de bien ceux qui font comme les autres.
Le meilleur et le plus savant des hommes, M. Littré, aurait voulu que chaque famille eût ses archives et son histoire morale.«Depuis, a-t-il dit, qu’une bonne philosophie m’a enseigné à estimer grandement la tradition et la conservation, j’ai bien des fois regretté que, durant le Moyen âge, des familles bourgeoises n’aient pas songé à former de modestes registres où seraient consignés les principaux incidents de la vie domestique, et qu’on se transmettrait tant que la famille durerait. Combien curieux seraient ceux de ces registres qui auraient atteint notre époque quelque succinctes qu’en fussent les notices ! Que de notions et d’expériences perdues, qui auraient été sauvées par un peu de soin et d’esprit de suite ! » Eh bien, je réaliserai pour ma part le désir du sage vieillard : ceci sera gardé et commencera le registre de la famille Nozière. Ne perdons rien du passé. Ce n’est qu’avec le passé qu’on fait l’avenir.
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Cette vérité que j’aime passionnément, lui ai-je été toujours fidèle ? Après mûre réflexion, je n’en jurerais pas. Tout ce que je peux dire c'est que j’ai été de bonne foi. Je le répète : j’aime la vérité. Je crois que l’humanité en a besoin ; mais certes elle a bien plus grand besoin encore du mensonge qui la flatte, la console, lui donne des espérances infinies. Sans le mensonge, elle périrait de désespoir et d'ennui.
(Evariste Gamelin est nommé juré au Tribunal révolutionnaire)
(Sa mère) apprit avec satisfaction que les jurés recevaient une indemnité de dix-huit livres par séance et que la multitude des crimes contre la sûreté de l’Etat les obligerait à siéger très souvent.
La vie ne nous semble courte que parce que nous la mesurons inconsidérément à nos folles espérances.
Et, ayant appelé tous ceux des Pingouins qui avaient vu le dragon durant la nuit sinistre, ils leur demandèrent :
— N'avez−vous point observé sa forme et ses habitudes?
Et chacun répondit à son tour:
— Il a des griffes de lion, des ailes d'aigle et la queue d'un serpent.
— Son dos est hérissé de crêtes épineuses.
— Tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes.
— Son regard fascine et foudroie. Il vomit des flammes.
— Il empeste l'air de son haleine.
— Il a une tête de dragon, des griffes de lion, une queue de poisson.
Et une femme d'Anis, qui passait pour saine d'esprit et de bon jugement et à qui le dragon avait pris trois poules, déposa comme il suit :
— Il est fait comme un homme. A preuve que j'ai cru que c’était mon homme et que je lui ai dit : “Viens donc te coucher, grosse bête.”
D'autres disaient :
— Il est fait comme un nuage.
— Il ressemble à une montagne.
Et un jeune enfant vint et dit :
— Le dragon, je l'ai vu qui ôtait sa tête dans la grange pour donner un baiser à ma sœur Minnie.
Et les Anciens demandèrent encore aux habitants :
— Comment le dragon est−il grand?
Et il leur fut répondu :
— Grand comme un bœuf.
— Comme les grands navires de commerce des Bretons.
— Il est de la taille d'un homme.
— Il est plus haut que le figuier sous lequel vous êtes assis.
— Il est gros comme un chien.
Interrogés enfin sur sa couleur, les habitants dirent :
— Rouge.
— Verte.
— Bleue.
— Jaune.
— Il a la tête d'un beau vert; les ailes sont orange vif, lave de rose; les bords d'un gris d'argent; la croupe et la queue rayées de bandes brunes et roses, le ventre jaune vif, moucheté de noir.
— Sa couleur? Il n'a pas de couleur.
— Il est couleur de dragon.
Gamelin tenta de le retenir par son habit, jurant que la chose était d'importance.
Mais Demahis s'était déjà coulé à travers chevaux, gardes, sabres et torches et poursuivait la demoiselle de modes.
Une femme voilée est en chemin depuis la naissance du monde : elle se nomme la mélancolie ...