Citations de André Dhôtel (617)
RÉVÉLATIONS
L'arbre chantant brisa
la hache du bûcheron
les glaces emprisonnèrent
la rage des brochets.
La péniche au charbon
coula pourtant sous l'image
du ciel bleu le plus haut.
Les routes multipliées
devinrent des énigmes
où les purs voyageurs
réclamèrent en vain
une destination.
La grand'ville éclata
ses quartiers divergèrent
au mépris de toute loi.
C'est ainsi que nous vîmes
un jour trois horizons
dans la déroute illuminée
de nos étonnements.
p.148
« Il y avait un chat assis à l’autre bout du parapet. Un chat est capable de contempler jusqu’à l’infini un paysage à peu près inexistant…Il tourna la tête vers la chat, dont il aperçut l’éclat des yeux verts éclairés par quelque lampadaire du voisinage. Pourquoi ces yeux étaient-ils magnifiques s’ils n’apercevaient que des choses ordinaires ?...Pourquoi ce chat était-il si digne ? »
L'auteur André DHÔTEL gagne à être connu ne serait-ce que pour son écriture poétique.
ORAGE (I)
C'était un fragment du feu
violet de l'améthyste
dans un pauvre caillou
à empierrer la route.
Vers l'horizon amer
ou par-delà n'était
aucun hameau charmant
ni de ville fervente.
Les arbres nus tremblaient
devant nos regards vides
qui ne savaient plus voir
les fleurs des lendemains.
Mais il nous restait à offrir
au ciel le mince éclat
d'une pierre précieuse
en notre nostalgie.
Voilà pourquoi il arriva
que le vallon soudain
s'alluma et brûla
d'un subtil incendie.
Ce furent des forêts
de flammes transparentes
des réseaux d'orage
doux et silencieux.
Y aura-t-il quelqu'un
pour comprendre et pour dire
qu'une étincelle d'améthyste
a pu donner la vie
aux splendeurs d'un royaume.
p.115-116
SOLITUDE
Une tige d'osier rougeoie
souvenir des prés inondés
quand les averses éclataient
dans la folie des jours bénis.
Longue histoire d'une saison
drôlement estivale
où levèrent les mourons d'eau
et les géantes verges d'or.
C'était un réseau de jours
et de nuits en proie aux vents
déversant leurs dégoulinades
dans le soleil horizontal
ou parmi les étoiles sauvages….
p.158
UNE VOIX
La plaine indéfinie.
Où trouver le chemin
de la gentiane rose
qui n'existe pas.
Dans le temps du bonheur
rien ici bas tracé.
Les ruisseaux se perdaient
dans des mares immenses.
Les lièvres tournaient en rond
les cerfs avaient franchi
les hautes frondaisons
les tortues méditaient
des voyages déments.
Ne restait que l'espace
et les vents transparents,
le lointain essentiel
en mille éclats aigus
jusqu'à ce que parvienne
à nos oreilles incroyantes
la voix de celle qui n'est plus
voix toujours demeurée
tout comme le parfum
des beaux lacs et des îles
rêvées aux jours d'enfance
et devenus modestes
et irréfutables.
p.169-170
SPLENDEUR (I)
Il n'y avait rien
qu'une parole rêvée
dont on entendait les accents
au moment où il se perdaient.
Reste à décrire les arbres nuls
les mouvantes images
des filles et des mouches
pareillement égarées.
Moi-même démuni
à tout ennui promu
l'égal des fleurs et des étoiles
dans l'abandon universel.
Au milieu de tous les riens
du monde comment être
encore un incident notable
dépourvu d'identité
mais ceci ou cela à jamais ?
Or c'est la question où s'éveillent
les corolles et les arbres
pour la fête multipliée
d'un jour d'été nouveau.
Il fallait se réduire
à l'ombre d'une poussière
afin de participer
aux inventions du soleil.
p.165-166
C'est curieux...je ne me suis jamais considéré vraiment comme un écrivain...
SOTTISE
À quoi bon tant de complications
pour amener au jour
un poète qui écrit
de mauvais poèmes ?
On peut aussi se demander
pourquoi de la fausse avoine
et pourquoi ce caillou
de silex obscur.
Tout de même c'est un bienfait
si l'on songe à d'idiots épis
hautement productifs
et à d'idiots penseurs célèbres.
S'est-il agi d'un jeu pareil
à celui des jongleurs
qui lancent leurs assiettes
à tous vents pour les recevoir
dans leurs mains éblouissantes.
Ce qui compte c'est bien l'aubade
des couleurs chantantes
et non pas la faïence
et ce qu'elle contient.
La seule conséquence
est qu'on mourra de faim
de l'idéale faim
d'une pensée multipliée.
Et nous renaîtrons un jour
de cette sottise extrême
dont les feux d'artifice
nous aurons anéantis.
p.161-162
SOIF
Je n'avais pas trois sous
de talent ni d'estime
disait je ne sais qui
rien que le vent d'espoir
courant entre les herbes
des chemins oubliés
par notre cantonnier.
Ce vent jamais ne gagna la ville
ni d'héroïques panoramas.
Rien qu'un grand vent local
porteur de l'infortune
et de la plus secrète joie.
Il dévoilait soudain
l'étincelle de l'œillet rouge
dans l'immense talus
comme au travers du non moins
immense peuplier
le diamant de l'étoile.
Qu'y aurais-je gagné ?
Ah ! certes pas trois sous
mais l'âpreté de la soif superbe
aux portes de l'auberge
où je serai peut-être enfin
accueilli par un fonctionnaire
qui apprécie le non-mérite
ou par un ange de passage.
p.156-157
SONNET INSOLENT
J'ai acheté une canne
pour faire le gandin.
Je ne serai jamais qu'un âne
dont on admire l'esprit fin.
Je peux projeter une manne
de vocables malins
avec ma sarbacane ;
je suis un écrivain.
Trois mots de moi c'est la tempête
des bleues et roses fleurs
qu'aucun critique n'arrête.
Et qui peut étouffer la rumeur
de notre chanson secrète
pour les anges perdus qu'ont oubliés vos cœurs ?
p.160
SOUVENIR
Presbytère branlant
sur la route caillouteuse
saint homme souriant
avec le ciel dans les yeux
c'est l'image vivante
qui rachète notre misère.
Il pleuvait ce jour-là
et le soleil brillait,
Tu disais que le diable
mariait sa fille.
Maintenant disparus
dans la forêt d'automne
les lièvres, les colombes
et le feu de ton cœur.
Ah quand reviendras-tu
sur la terre embaumée
nous désigner la profondeur
des flaques d'eau miroirs
où les canards contemplent
le haut vol des hérons ?
Car déjà le souvenir
ne se retourne plus sur nous
et s'en va loin devant.
p.163-164
VOUS NE SAVEZ PAS
Il y a une fleur qui ressemble
au cri d'un oiseau de proie.
Mais aussi les poissons
du marais cherchent le ciel bleu.
Vous ne savez pas le sentier
invisible dans la prairie
et qui mène à la villa
de la fille sauvage,
la fille qui aimait le lynx
la sarcelle et mille vanneaux
dans un monde étonné
par la douceur des anges
et par la haine des vipères.
p.177
ÉGAREMENTS
Je croyais que tu t'en allais
mais tu avançais vers moi.
C'était simplement la rue
qui avait viré de bord.
Le drapeau de la mairie
flottait contre le vent.
Une voiture écrasait
le gendarme et son chronomètre.
Et toi tu prétendais
que les chats somnambules
en haut des toits regardaient
dans les pavés le reflet du ciel
en une impassible splendeur.
Enfin cette fleur jetée
creva le tambour
du garde-champêtre
qui s'est perdu dans le faubourg.
p.50
COMMENT RETROUVER ?
N'ayant plus rien au cœur
que l'image de vaines heures
il faut savoir comment
ressaisir la double aurore.
La nuit est trafiquée
par mille et un chemins
s'annulant au mépris
de tous les points cardinaux.
Les comptes de fin de mois
coupent tous les chemins
et nous laissent en proie
aux horizons menteurs.
Alors on est forcé
de renier ensemble
la vérité et le mensonge
pour préserver enfin
une lumière aiguë.
Double négation
d'un présent dénudé
et d'un proche avenir
tout aussi délavé.
Car l'essentiel c'est sûrement
que l'aurore se redivise
pour garder un soleil
qui nous avait trompé.
On ne voudra plus d'un monde
nocturne ni diurne
mais l'envers adorable
de la vie oubliée.
p.35-36
DÉCLARATION
La flèche du martin-pêcheur
qui ne savait comment
on le fit vert et bleu
rasait le feu blanc de neige
des renoncules flottantes
alors que sur les talus naissaient
les orchidées pareilles
aux bourdons de velours
ouvrant des ailes pourquoi roses.
Mais quand tombera la nuit
le long cri de l'orfraie
traversera les étoiles
pour rendre hommage à l'infini.
Toi jeune fille du crépuscule
dit le rusé passant
ne veux-tu pas ôter ta robe
pour une dernière image
qui fasse vraiment éclater l'espace ?
p.38
CONTE DE NOËL
Un éclair a chanté
sur la vallée déserte.
Mille oiseaux répondirent
et les renards sortis
du fond des bois coururent
parmi les fleurs ressuscitées.
Car un printemps d'une seconde
traversa l'heure de Noël
à preuve que la tempête
venue d'Orient soudain
au bord du pré s'agenouilla.
Personne ne l'apprit sinon
les voyageurs du train nocturne
obligés de stopper devant
un enfant qui dormait
environné par le miracle
dont il rêvait profondément
entre les rails illuminés.
p.37
Égarements
COMMENT
Je saurai bientôt comment
j'ai connu la double aurore
n'ayant plus rien au cœur
que l'image d'heures obscures.
La nuit était trafiquée tissée
par mille et un chemins
qui se perdaient ensemble
à tous les points cardinaux.
Les comptes de fin de mois
au début de la vie
sont des fossés sans fleurs
qui rompent toute voie
vers l'horizon menteur.
Voilà pourquoi se leva
enfin un jour pourvu
de la lumière aiguë
des impossibles rêves.
Double négation
d'un sommeil dénudé
et d'un faux avenir
tout aussi délavé.
L'aurore ne pouvait
que se rediviser
parant au plus pressé
pour garder le soleil
dans sa première vérité.
Ce n'était plus le monde
nocturne ni diurne
mais l'envers adorable
de l'humble trésor divin.
p.33-34
Égarements
COMMENCEMENT
J'en ai assez d'écrire en prose
c'est vraiment trop déprimant
de rester égal à soi-même
en alignant des mots savants.
Si je commence un poème
je découvre le bonheur vrai
de ne jamais être obligé
de poursuivre la chanson.
Bien au contraire il faut rester
toujours au commencement
la poésie n'étant jamais
que ce qui ne va pas plus loin.
Une histoire bien sûr
mais qui ne se déroule pas
et nous laisse au bord d'un jour
sans savoir ce qui va
peut-être s'éclairer
parce que c'est la naissance
de ce qui ne fut jamais dit
et ne le sera jamais
rien qu'une lueur première
éblouissante et foudroyante.
p.31-32
[...] lorsqu'on croit à la seule généralité du langage, des sentiments, à soi-même, aux objets, aux paysages de la solitude, on ne saurait parler qu'un langage singulier. C'est encore celui de tout le monde mais il a changé de tonalité (à voix basse), il a perdu le caractère d'une utilité (jeu), et pourtant il est très familier (entente avec les objets ? – la nature ? – les mots eux-mêmes ?).
Comment parle-t-on dans la solitude ?
[André DHÔTEL, "La littérature et le hasard", notes rédigées de 1942 à 1945, texte établi et présenté par Philippe Blondeau, éditions Fata Morgana, 2015, 200 p. - page 27]
AUTOMNE
Une chaise, une table, un lit
rien d'autre sinon la beauté
par delà l'horizon d'automne
des grandes pluies qui tombent
sur les derniers chardons.
Saison du travail dans l'ombre
où s'égrènent sans avenir
les patients refrains
de la cour sonore.
Mais l'amour de toujours
commandait de laisser
entr'ouverte la porte
sur le seuil que viendra fleurir
un ciel bleu imaginaire.
p.27