AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Andreï Kourkov (764)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Les abeilles grises

Andreï Kourkov dans son nouveau roman Les abeilles grises, paru récemment, raconte la guerre, celle qui sévit depuis bientôt huit ans, dans le Donbass, entre l'armée ukrainienne et les séparatistes prorusses soutenus par Moscou. Une guerre, qui malgré 14 000 morts, rangée dans la catégorie des « conflits gelés », au gré de cessez-le-feu constamment remis en question et de pourparlers enlisés. Or c'est ici, dit Kourkov que réside « le grand tournant » de l'agression russe, dans cette région « désertée par l'élite, une partie ayant rejoint la Russie, l'autre l'Ukraine ». Donc nous sommes en plein actualité, que j'aurais préféré de loin qu'il s'agisse d'une fiction vu la gravité de la situation actuelle.



Sergueïtch et Pachka, deux « ennemis d'enfance » qui ne s'appréciaient guère en temps de paix vivent à Mala Starogradivka, dans la zone grise, sur la ligne de front. Le reste ayant déserté, étant les seuls à maintenir la vie dans le village, ils se rabibochent pour ne pas succomber à la solitude et l'angoisse. Le premier ex-inspecteur de la sécurité est apiculteur, l'autre, profession buveur de vodka à plein temps muni d'une pelisse spéciale poches vodka et comme devise de vie « Fumer, c'est sa santé détruire ! Boire, c'est son âme réjouir ! » 😁

Kourkov avec son humour désarmant habituel, et une grande humanité nous raconte le désespoir et l'absurdité de ces deux vies parmi les champs creusés de trous d'obus mais semés de fleurs sauvages ou de sarrasin, les maisons abandonnées, où bombes et obus peuvent pleuvoir à n'importe quel moment sans raison et où le temps est vivant que par le biais d'un réveille matin. Grâce à La Littérature, il nous réchauffe le coeur malgré la grisaille des circonstances et du décor ( réels !) avec ses deux bonhommes à l'humanité encore intacte qui besognent entre abeilles, pots de miel, thé brulant, petits trafics de vodkas et de saucissons, inversant les plaques de leurs rues Lénine et Chevtchenko* . L’ensemble agrémenté de détails sophistiqués comme le ratafia bu dans un verre en forme de soulier au fin talon de cristal, le chaussurier fabriqué maison, des personnages touchants dont le Petro le soldat ukrainien aux attentions particulières , l'épicière Galia, ET d' un voyage en Crimée pour faire prendre l'air aux abeilles, ces abeilles desquelles les humains auraient tant à apprendre au sujet de l'ordre et de l'égalité. Ce livre où Kourkov met les femmes et les abeilles à l'honneur dans un monde d'hommes et de guerre est doux et savoureux comme le miel ! J'ai adoré ! Et surtout , surtout , lisez le très vite !



« Debout au bord d'un précipice,

courbé par la tristesse,

soudain je réalise :

le monde entier n'est qu'un poème . »



(Leonid Kisselev poète russe et ukrainien. Rimbaud kiévien, mort à l'âge de 22 ans, dans les années 1960.)



"l'abeille est le seul animal à achever une société parfaite". 





* Chevtchenko est la personnalité qui compte le plus de statues à son effigie dans le monde, juste derrière Jésus-Christ. Il est pourtant tout à fait inconnu du grand public en dehors de l'Ukraine et de sa diaspora. Taras Chevtchenko est le peintre et poète qui a prophétisé la liberté de l'Ukraine contre l'empire russe au XIXe siècle. Il continue d'être une icône populaire de la résistance à l'oppression, aussi bien en 2014 lors de la révolution de Maïdan qu'aujourd'hui face à la menace russe en train de se réaliser.
Commenter  J’apprécie          23061
Les abeilles grises

Andreï Kourkov est sans doute l'auteur ukrainien contemporain le plus reconnu au niveau international. Très récemment, je l'ai entendu dans une interview appeler les Européens à soutenir l'Ukraine en découvrant sa littérature. Je me tiens aux côtés des Ukrainiens en lisant Les Abeilles grises, son dernier roman, paru chez Liana Levi le 3 février dernier, qui plonge le lecteur en 2017 en pleine guerre du Donbass. Forcément, Les Abeilles grises résonnent fortement avec l'actualité et il est impossible de lire sans penser à l'invasion russe. C'est très troublant et apporte un éclairage très particulier sur les événements de 2022.



La première moitié du roman se déroule en zone grise du Donbass, un no man's land déserté et désolée, sur le front tenu depuis 2014 par les séparatistes ukrainiens pro-russes et l'armée ukrainienne gouvernementale. le village de Mala Starogradivka est abandonné, comme hors du temps. Seuls deux habitants y vivent toujours, sous les bombes. Sergueïtch et Pachka, la petite cinquantaine, ex-ennemis d'enfance forcés à se serrer les coudes pour ne pas sombrer dans la solitude et l'angoisse.



Très rapidement, Andreï Kourkov impose un ton atypique - étant donné le sujet - porté par un duo à la routine drolatique dont les dialogues sonnent presque beckettiens, rappelant les interactions étranges entre Vladimir et Estragon d'En Attendant Godot. Se dessine toute l'absurdité de cette vie de survie, sans courrier, sans électricité, dans une pénurie de tout, avec des cadavres de soldats qui jonchent les rues du village sans qu'on parvienne à déterminer à quel camp ils appartiennent.



Dans la deuxième partie, le récit bascule dans une odyssée picaresque sourde d'une menace omniprésente. Sergueïtch quitte sa maison pour trouver un refuge à ses abeilles, des fleurs sauvages plutôt que des trous d'obus. Cette recherche d'un territoire plus sûr le conduit en Crimée ( annexée en 2014 par la Russie de Poutine ). Ce très beau personnage tient autant d'un Ulysse fatigué par la guerre que du Candide voltairien. C'est à travers son doux regard et son humanisme presque naïf qu'on découvre une Crimée vivant sous l'oeil omniprésent de Moscou qui persécute la minorité turcophone musulmane des Tatars.



En fait, ce qui m'a le plus frappé dans ce roman au cadre tragique, c'est la douceur et la poésie qui se dégage des pages. Dans l'absurdité des situations qui cernent Sergueïtch où qu'il aille, celui-ci combat par sa tendresse, par son goût de la vie et son amour de la nature. Lui mise sur la raison et la paix à venir. Les aspirations de cet homme simple célèbre les abeilles, société idéale, ordonnée, fidèle, imperturbable, qui affronte les difficultés collectivement, jusqu'à un surréalisme très inventif ( formidable passage sur les abeilles devenues grises ).



Ce roman est plein de lumière. Ce n'est pas un livre sur la guerre mais sur les gens qui la subissent. Le cocasse y voisine brillamment le tragique dans ce terrible drame collectif, toujours à hauteur d'homme. C'est à la fois triste et doux, caustique et mélancolique. Ce grand roman a une voix qui porte loin, rassurante d'humanité.



Commenter  J’apprécie          21223
Les abeilles grises

Je voudrais avant tout remercier chaleureusement Idil (@Bookycooky) pour m'avoir autant donné envie de lire ce livre « Les abeilles grises » de l'ukrainien Andréï Kourkov, avec sa belle et riche critique. Il est certes troublant, troublant d'actualité vu qu'il raconte la guerre menée par les russes contre l'Ukraine, troublant car publié en février 2022 juste avant le déclenchement de la guerre actuelle. Mais il est avant tout magnifique. Quelle plume, quelle humanité, quelle poésie, quelle philosophie de vie brillent dans ce recueil ! Je l'ai dégusté, me suis adaptée au rythme lent du livre et j'ai eu envie de rester aux côtés du narrateur, Sergeï Sergueïtch. Je l'ai lu souvent à voix haute, comme une envie, voire un besoin, tant ce livre a une belle musicalité.



Nous sommes dans un tout petit village abandonné coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, dans le Donbass, une zone dite grise, un no man's land, un entre deux où les deux camps s'entremêlent, où les frontières sont floues. Abandonné, ce village, car les gens ont choisi leur camp, soit ils ont rejoint la Russie soit l'Ukraine. Seuls y vivent deux hommes, ennemis d'enfance, Sergeï et Pachka, qui ont décidé de rester pour maintenir le village en vie. Deux solitudes obligées de coopérer, de s'entraider, de se reconsidérer. D'apprendre à se respecter et à s'apprécier même malgré leurs différences de vue sur le conflit, Pachka plus ou moins proche des russes, par opportunisme, auprès desquels il arrive à se procurer des denrées alimentaires, alors que Sergeï sympathise par hasard avec un soldat ukrainien qui lui rend des visites nocturnes à l'abri des regards. Sergeï est apiculteur et ses abeilles sont tout pour lui. Il avait même réussi, avant la guerre, à développer une drôle de méthode curative : des siestes thérapeutiques au-dessus des ruches, le bourdonnement des abeilles, leurs vibrations, transmettant à la personne soignée des ondes bénéfiques pour les nerfs.

Afin de leur éviter un trop grand stress du fait des bombardements incessants de la zone, Sergeï décide de rechercher un endroit plus calme, plus à l'ouest de l'Ukraine, au printemps venu. Après un hiver rigoureux au sein de sa maison, sans électricité, aux faibles possibilités de ravitaillement, marqué par la présence de bombardements et de cadavres, nous le suivons dans son aventure printanière au travers des prairies fleuries puis des magnifiques montagnes de Crimée. Où l'ennemi russe n'est jamais très loin en réalité…



« Il les conduisait là où régnait le calme, là où l'air s'emplissait peu à peu de la douceur des fleurs des champs, où la symphonie de ces fleurs serait bientôt soutenue par celle des cerisiers, pommiers, abricotiers et acacias ».



D'où provient cette beauté que j'évoque alors qu'il s'agit d'un livre sur la guerre, ce paradoxe d'être comme lovée dans un livre dans lequel pourtant nous croisons la mort, la fuite, les bombardements, le deuil, l'angoisse, l'injustice ?



Tout d'abord de la description des paysages, emplie de métaphores, d'images fortes, de contrastes. Un passage m'avait marquée dans la critique d'Idil, je crois même que c'est ce passage qui m'a donné envie de lire ce roman immédiatement, ces lignes troublantes qui évoquent « les champs creusés de trous d'obus mais semés de fleurs sauvages ou de sarrasin ». Ces descriptions mettent en valeur la nature avec laquelle l'osmose apporte le salut et la paix. Certains passages en pleine Crimée sont magnifiquement bucoliques.



« Au matin quand il ouvrir les yeux, il ne doutait plus être tombé au paradis. Il avait atterri dans un conte de fées, où la nature non seulement servait à l'être humain, mais était à son service, où le soleil attendait que l'homme en eût fini de ses tâches quotidiennes pour enfin prendre congé. Où l'air tintait d'invisibles clochettes. Où l'on pouvait être indépendant et invisible, où n'importe quelle créature vivante, fût-elle un arbre ou un pied de vigne, possédait une voix ».



La beauté provient de cette façon tendre d'entrer dans l'intimité des personnages, dans leur vie aux conditions précaires, dans leurs petits arrangements avec les saucissons, le lard, la vodka, le thé et les pots de miel. Nous découvrons des plats ukrainiens comme un délicieux bortch mijoté à feu doux avec des haricots blancs dont la peau d'abord éclate sous la dent puis fondent sur la langue, accompagné de pain noir au seigle, de vodka et d'ail… et l'importance de l'alcool bien sûr dans cette région où « Fumer c'est sa santé détruire, boire c'est son âme réjouir »…



Elle se situe aussi dans l'opposition teintée d'espoir entre l'Ukraine et la Russie symbolisée par ce duo qui d'ennemis deviennent amis, opposition que Andréï Korkov rend absurde entre ces deux frères au moyen d'un humour corrosif, comme dans cette inversion des plaques des deux rues principales, les rues Lénine et la rue Chevtchenko (Idil nous apprend dans son billet que Chevtchenko est un peintre et poète qui a prophétisé la liberté de l'Ukraine contre l'empire russe au XIXe siècle. Il continue d'être une icône populaire de la résistance à l'oppression). Cette opposition qui précisément dans la zone grise n'est pas claire, pas tranchée. Notons que l'humour est par ailleurs bien présent et distille ça et là des éclaircies et des touches de couleur dans tout ce gris. Je pense avec tendresse par exemple à ce passage sur l'art et la manière de bien vendre un produit, en l'occurrence le miel : il suffit d'y broyer dedans des feuilles d'ortie et de le qualifier de miel antialcoolique pour que les ventes augmentent…



La beauté est nichée bien entendu dans la poésie, omniprésente, déjà pressentie dans la musicalité du texte et dans son rythme, et qui prend toute son intensité dans les descriptions où les couleurs, même le gris, sont honorées.

Poésie aussi dans la façon de personnifier le silence et le temps qui passe, deux protagonistes omniprésents. Sergueï a besoin du tic-tac de son réveil, bruit apaisant, révélateur de ce temps qui « ne joue un rôle que là où quelqu'un le surveille et dépend de lui. S'il ne reste personne dans ce cas, le temps se fige et disparait ». Quant au silence, sous la plume de Korkov, il prend une épaisseur, une texture, une granularité, des nuances subtiles, une âme :

« Tout en écoutant, Sergueïtch remarqua que le soleil, enfin, s'était couché. Et dès qu'il eut disparu totalement, le silence devint plus assourdissant, plus présent. On aurait pu le caresser, comme un chat ou un chien, il était chaud et se montrait câlin avec Sergueïtch, comme s'il cherchait obtenir de lui son concours, à obtenir qu'il participe à sa vie, à ses bruits».



Poésie dans la façon de parler des femmes, des femmes fortes, aimantes, bienveillantes, libres, qui soutiennent et apportent l'espoir, les femmes qui « offrent toujours plus de réflexion que les hommes ».

Poésie dans cet attrait et ce respect pour les abeilles, leur don perpétuel désintéressé, leur ordre, leur industrie et leur organisation pacifique, auprès desquelles l'homme aurait tant à apprendre.

Poésie dans les gestes du quotidien, dans cette simplicité et cette humilité.



C'est finalement une ode à la solitude, certes parfois difficile à vivre, mais qui permet observation et prise de recul, qui permet de prendre le temps nécessaire à l'épanouissement de la poésie.



Enfin cette beauté ressentie provient du personnage principal même, Sergeï, auquel je m'attachais toujours un peu plus au fur et à mesure de ma progression dans le livre, au fur et à mesure de son cheminement en Ukraine puis en Crimée, au fil de ses pensées, de ses souvenirs, un homme à la belle âme, franc, simple, mû par le désir de bien faire. Une candeur rafraichissante et salvatrice qui lui permet d'affronter certaines péripéties avec philosophie.



Voilà toutes les raisons qui font de ce livre pas seulement un livre lié à l'actualité. C'est de la grande littérature, c'est beau, c'est empli d'humanité et, en cela, ce livre est nécessaire. Et porteur d'espoir…



« Bientôt, l'air s'emplirait d'un doux bourdonnement, familier et pacifique, que la paix de l'homme qui aime les abeilles rend plus discret encore, rend intime et domestique. Et alors peu importerait qu'on entende ici et là des coups de feu. L'important, ce serait le printemps, la nature qui s'emplit de vie, de ses bruits, de ses odeurs, de ses ailes, grandes et petites ».

Commenter  J’apprécie          17748
Les abeilles grises

Quand la fiction butine la réalité, j’en fais mon miel.

Pour me changer les idées et fuir l'actualité, quoi de mieux que de me plonger dans un un roman qui parle du conflit Ukrainien ? Oui, je sais, c'est un peu comme lire du Musso pour soigner une gastro !

Sergueïtch est un apiculteur plus très happy qui vit seul avec ses ruches dans un village abandonné du Donbass. Isolé dans cette zone grise depuis l’annexion de la Crimée, il compte les points entre les séparatistes russes et les militaires ukrainiens qui s’"artillent" à proximité. Dans ce no man’s land, dépourvu tout autant de womans, il survit sans électricité, éclairé de cierges et réchauffé de souvenirs, avec pour unique voisin, un ennemi d’enfance, Pachka. Deux lassés pour compte mais dont les âmes ne sont pas tout à fait mortes.

Pour passer le temps pourri et l’hiver sans fin, ce "mieleur" parmi les meilleurs, se remémore des périodes plus fastes où des dignitaires locaux venaient s’allonger sur ses ruches pour être apaisés par le bourdonnement de ses Maya-vitch. Une sorte de Yoga ukrainien pour certains soviets un peu piqués. A bien y réfléchir, entre moi et moi, ce n’est pas plus crétin qu’un massage aux pierres chaudes.

Au printemps, Sergueïtch, qui aurait pu faire l’effort de s’appeler Serge pour me faciliter la frappe, décide de quitter son village avec ses abeilles pour une cure de pollen dans des lieux moins hostiles. Direction la Crimée pour des amitiés tatares.

Avec Andrei Kourkov, l’humour répond toujours à l’horreur et à défaut de faire ciller l’œil de Moscou, le célèbre romancier ukrainien, issu d’une famille de dissident russe, offre un récit d’aventures picaresques qui m’a rappelé les meilleurs romans d’Arto Paasilinna, cet auteur scandinave qui peuplait souvent ces histoires de bestioles du grand nord. Alors que le finlandais taxidermiste humanisait les lapins et les ours, le bestiaire littéraire de Kourkov comptait déjà un pingouin et des truites. Ici, il recueille dans son arche ces insectes stakhanovistes de la nourriture des dieux… et de la cire épilatoire. Aïe. Il faut toujours que je gâche tout.

Dans ce récit, les rencontres sont improbables et les situations, au cœur de la guerre, muent l’absurde en humanisme. Les dialogues de taiseux qui rompent les ruminations du héros ont ravi ma solitude de lecteur.

Le propos n’oublie pas non plus dans ce contexte d’être politique. Les abeilles ne quittent pas la ruche mais elles symbolisent pour Sergueïtch, une société idéale, unie et solidaire. Côté communisme, elles en connaissent un rayon.

Ce roman, qui fera date, a été publié juste avant la transhumance russe du mois de février. Depuis, Kourkov n’a plus écrit une ligne de fiction et il met sa plume et sa notoriété au service de son pays dans des articles et tribunes publiés dans toute l’Europe.

J’espère qu’il pourra nous offrir d’autres romans de sa plume qui n’est pas grise. Plutôt jaune et bleu.

J'ai adoré cette histoire qui pourrait faire un jour un très beau film..

Commenter  J’apprécie          16614
Les abeilles grises

En 2014, la Russie annexait la Crimée et ouvrait un conflit armé séparatiste au Donbass. Des flots d’Ukrainiens déplacés devenaient des réfugiés dans leur propre pays, laissant derrière eux un territoire déserté où se poursuivaient les combats. Peu à peu apparaissait une zone grise, coincée à l’Est entre les positions séparatistes pro-russes et celles de l'armée ukrainienne : un quasi no man’s land, pourtant encore peuplé de ceux qui n’ont pas pu ou voulu partir. Sergueïtch et Pachka sont ainsi les derniers habitants de leur petit village. Contraints de s’entraider malgré leur ancienne inimitié, ils y survivent d’expédients dans les conditions les plus précaires, au son de la perpétuelle canonnade qui tonne à proximité et leur envoie de temps à autre quelques obus perdus. Un printemps, Sergueïtch, apiculteur de profession, entreprend de déplacer temporairement ses ruches vers un endroit plus calme. Tractant sa remorque au volant de sa vieille voiture, le voilà lancé dans un périple qui le mènera, à travers les riantes prairies d’Ukraine, jusqu’aux montagnes de Crimée. Son voyage lui fait prendre conscience de la complexité du conflit russo-ukrainien, quand, où qu’il aille, la présence et la surveillance russes ne lui laissent aucun répit.





Cette histoire est d’abord celle de la vie quotidienne dans une zone que les différents accords de cessez-le-feu ne sont pas parvenus à pacifier. A l’époque de la narration, cela fait quatre ans qu’une guerre larvée y maintient les populations restées sur place dans l’insécurité et la précarité, si bien que, uniquement préoccupées de leur survie au jour le jour, elles en viennent à subir comme une fatalité l’absurdité de leur situation. Sergueïtch et Pachka tentent ainsi, envers et contre tout, de maintenir un semblant de normalité malgré le dérèglement ambiant, s’attachant avec simplicité et bonne humeur à la routine qui leur permet de tenir. Entre leurs souvenirs et leurs rêves, la débrouillardise, le troc et l’amitié, ils font preuve d’une capacité d’adaptation aussi joyeuse que pragmatique, au fil d’une narration qui parvient même à être drôle.





Pourtant, aussi ingénu soit-il quant aux motivations politiques qui le dépassent, Sergueïtch ne peut que constater la terrible réalité de son pays, au fur et à mesure de l’avancement de son voyage. Malmené aux postes-frontières qui séparent désormais l’Ukraine du Donbass et de la Crimée, considéré avec méfiance par ses compatriotes parce qu’il vient de cette région du Donbass en partie acquise à la Russie, il découvre les persécutions perpétrées par les Russes en Crimée à l’encontre des minorités tatares, et surtout l’inquiétante omniprésence de l’oeil de Moscou, qui jusqu’au plus profond des montagnes, à lui qui ne se préoccupe que du bien-être de ses abeilles, ne cessera de lui adresser de menaçants signaux de surveillance.





De la désolation de la périlleuse zone grise du Donbass au contact direct avec les autorités russes en Crimée, monte peu à peu le dérangeant sentiment d’une menace généralisée, alors que face aux pressions et aux intimidations à peine voilées subies par Sergueïtch, l’on réalise à ses côtés à quel point l’ombre du grand frère russe pèse sur l’Ukraine, et même sur le plus insignifiant de ses habitants. Et, tandis que l’humanité de ce si modeste personnage apparaît de plus en plus fragile et impuissante face à l’impitoyable arrogance des fonctionnaires russes qui se jouent de lui, qui plus est à la lumière des évènements survenus depuis l’écriture de ce livre, l’on en vient à considérer l’Ukraine de ce récit comme la souris convoitée de longue date par le chat. Un chat embusqué dans l'attente de son heure… Coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          13220
Les abeilles grises

Sergueï Sergueïtch, bientôt la cinquantaine et Pachka Khmelenko, son ennemi d’enfance depuis la toute première classe de l’école du village sont les deux derniers habitants de Mala Starogradivka. Ce petit village situé en « zone grise », entre la république du Donetsk et l’Ukraine, zone qui n’est ni ukrainienne ni russe, est donc surveillé de part et d’autre par l’armée ukrainienne et les séparatistes pro-russes depuis 2014. Les autres habitants sont partis dès le début des combats. Pour survivre aux rigueurs de l’hiver dans ce no man’s land privé d’électricité, avec des conditions de vie rudimentaires rythmées par le son des explosions, et pour échapper un peu à la monotonie de ces journées d’hiver, Sergueï et Pachka n’ont guère d’autre choix que de se parler et coopérer malgré leurs points de vue différents vis-à-vis du conflit.

Sergueï a été inspecteur de la sécurité dans les mines puis, atteint de silicose, mis en invalidité. Il est maintenant un apiculteur entièrement dévoué à ses abeilles, sa seule source d’inquiétude.

Aussi, aux premiers signes du printemps, décide-t-il de leur trouver un endroit plus calme. Lui revient à l’esprit un certain Athem, le Tatar de Crimée, cet homme si courtois qu’il avait rencontré à un congrès d’apiculture à Slavianogorsk.

Ses six ruches chargées sur la remorque et celle-ci attelée à sa Tchetviorka verte, le voilà parti à l’aventure, direction l’Ouest ukrainien et la Crimée. Y trouvera-t-il la paix et le repos qu’il désire tant ?

Dès la première partie du roman en nous immergeant dans cette zone grise avec sa vie au quotidien, vie singulière que mènent des hommes piégés dans cet espace, entre les armées ukrainiennes et la rébellion séparatiste soutenue par la Russie, Andreï Kourkov nous plonge immédiatement au cœur de l’actualité.

C’est avec grand plaisir que j’ai retrouvé l’écriture enjouée de cet écrivain ukrainien. À travers l’histoire de cet apiculteur, de son périple à hauts risques depuis la zone grise jusqu’en Crimée, il réussit à nous faire approcher toute la complexité de ce conflit.

Comment ne pas être touché par cet homme d’apparence un peu bougon mais si attentionné envers ses abeilles et dont la naïveté et la candeur n’ont d’égal que son bon cœur, son pacifisme, sa générosité envers ceux qui l’aident et son incompréhension des brimades. Il lui faudra d’ailleurs du temps avant qu’il ne prenne véritablement conscience de la réalité du conflit.

Opposition tout au long du roman entre ce désir de vie tranquille et simple au milieu des douces prairies fleuries de l’Ukraine de l’Ouest ou du silence des montagnes de Crimée, en harmonie avec la nature, et cet œil de Moscou grand ouvert et omniprésent.

Si Sergueï est le personnage principal du roman, il ne peut être dissocié de ses abeilles. Elles font directement référence à une société idéale, unie et solidaire, les abeilles étant les seules à avoir créé une véritable communauté communiste.

Andreï Kourkov met également en scène dans son récit des personnages féminins forts et sensibles, libres, que ce soit Galia, l’épicière avec qui il connaîtra de doux moments de répit ou de la courageuse tatare Aysilu ou encore son ex-femme Vitalina prête à accueillir et aider la fille d’Aysilu.

Qui n’aurait pas envie après cette lecture de s’étendre sur le mince matelas garni de paille préparé et étalé par Sergueï sur ses ruches pour profiter d’une sieste bénéfique et réparatrice !

Les abeilles grises est un roman doux et mélancolique plein d’humanité. Écrit comme un conte, parsemé de traits d’humour, empli de beauté et de poésie, il montre toute l’absurdité de la guerre.

Seul petit regret, l’absence d’une carte qui m’aurait permis de mieux situer les différents lieux.


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          1099
Le pingouin

cela faisait déjà longtemps que j'avais noté le nom de cet auteur, et que je me promettais de découvrir un jour un ou deux de ses livres ...

c'est maintenant chose faite, à la faveur d'un échange avec une autre personne de Babelio ! qu'elle en soit remerciée



ce livre n'est pas forcément réservé aux amateurs de pingouins, du monde arctique, de Linux (et son célèbre Tux) ou de Biboundé ... mais le pingouin prend quand même un statut de vrai personnage, assez étonnamment

Micha le pingouin semble vite devenir comme un double de Victor, énigmatique, un peu dépressif ... Victor, lui, est quadragénaire, il est aussi très seul

c'est un écrivain et journaliste un peu raté, un peu dépressif, qui semble ne plus avoir de prise sur la vie, et à qui on propose un jour d'adopter un animal, le zoo n'ayant plus les moyens d'entretenir ses pensionnaires ni ses employés ... par un hasard donc, Victor adopte un pingouin, Micha, et croisera un jour la route de Pidpaly, un scientifique auto-proclamé "pingouinologue", l'employé du zoo qui s'occupait de son protégé et des autres pingouins



par un autre hasard, un jour, Victor se met à écrire des "petites croix", articles nécrologiques pour des personnalités, à ce détail près que tous ses "clients" sont encore vivants ... mais le journal lui a "commandé" les nécros ... aventures mi-burlesques, mi-désabusées, dans une Ukraine post-soviétique qui semble ne jamais se remettre d'une gueule de bois carabinée (la vodka délie les langues, réchauffe les cœurs, mais ne fait rien avancer), dans un univers de plus en plus flou, kafkaïen et parfois inquiétant ...

quelques personnages apportent quand même un peu de chaleur et de fantaisie à l'univers de Victor : Sergueï, Micha ("pas le pingouin, l'autre"), Sonia puis Nina ...



une lecture intéressante, j'ai maintenant envie de lire la suite de ces aventures
Commenter  J’apprécie          10510
L'oreille de Kiev

Dans Les abeilles grises, que j’avais beaucoup apprécié, Andreï Kourkov nous emmenait dans la zone grise du Donbass, peu avant l'invasion russe. Avec L’oreille de Kiev, c’est dans la capitale ukrainienne, en 1919, en pleine révolution qu’il nous transporte.

Dès la première page, nous voici plongés dans un drame définissant bien la situation de l’Ukraine, et de Kiev en particulier, en ce début mars 1919 quand Samson Koletchko perd son père et son oreille droite sous le sabre d’un cosaque.

En effet, la ville est tombée aux mains des bolcheviks en février et le nouveau pouvoir est contesté par les Russes blancs du général tsariste Denikine, par les partisans de Symon Petlioura, l’un des personnages les plus importants du mouvement national et par les anarchistes. Cela donne lieu à une véritable cacophonie révolutionnaire !

Réquisitionné presque par hasard par la milice bolchevique, et tandis que deux soldats de l’Armée rouge s’imposent en colocataires à son domicile, notre jeune étudiant, Samson, afin de rétablir de l’ordre dans les rues, de mettre fin aux pillages va se lancer dans une enquête sur les trafics en tout genre. En échange, il recevra des coupons pour la cantine soviétique. Il pourra compter sur le soutien moral de la belle Nadedja, employée au bureau des statistiques, conquis déjà par son prénom signifiant espérance en russe. Il sera aidé surtout par son oreille droite, oreille droite tranchée certes, mais qu’il a pris soin de récupérer et de déposer précautionneusement dans une boîte à bonbons ! Il s’était aperçu, alors qu’il tapotait la boite du bout du doigt « que cette oreille détachée de lui n’avait rien perdu de son étonnant pouvoir : celui de tout entendre et de transmettre ce qu’elle entendait à son oreille interne »…

Avec L’oreille de Kiev, Andreï Kourkov nous entraîne dans la capitale de l’Ukraine en guerre, non pas aujourd’hui, mais en 1919 !

Et dans cette ville de Kiev où la vie quotidienne est rude, la pénurie étant quasiment généralisée, chacun essaie de trouver à manger et de survivre à sa manière. On échange, on vole, on tue…

On retrouve dans ce roman policier historique tout le talent de Kourkov : nous présenter avec humour la folie des hommes dans toute son absurdité. Et on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec l’actualité et l’invasion de l’Ukraine par les Russes.

L’écriture de Kourkov est absolument savoureuse et le roman ne se lit pas, il se dévore !

L’auteur ukrainien y déploie une palette de personnages, tous plus fabuleux et déjantés les uns que les autres mais sur lesquels il pose toujours un regard grave et tendre.

Comme vous l’avez compris, j’ai pris grand plaisir à lire cette enquête policière qui m’a permis de découvrir cette époque incroyable et fantasmagorique comme la décrit l’écrivain lui-même.

Le roman, comme le stipule Andreï Kourkov en avant-propos, lui aurait été inspiré par d’authentiques documents de la Tchéka, la police secrète bolchevique, datés de 1919, documents qui lui auraient été remis par une amie d’amis.

Grâce à son talent, son regard acéré et son imagination débordante, mariant à merveille le réel et l’imaginaire, il réussit à mettre en scène et faire revivre cette époque de façon quasiment surréaliste.

Cerise sur le gâteau, une suite est annoncée…
Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          952
Le cœur de Kiev

Avec Le cœur de Kiev, Andreï Kourkov nous entraîne à nouveau à Kiev, au mois d’avril 1919, toujours sur les traces de Samson Koletchko, ce jeune garçon qu’il nous avait fait découvrir dans L’oreille de Kiev.

Le grand feuilleton continue donc, et que ceux qui n’ont pas eu la chance de lire le premier épisode, ne soient pas trop dépités, un résumé bref mais très complet en début d’ouvrage permet de lire ce deuxième opus sans aucun problème.

Samson devenu orphelin lorsqu’il a perdu son père et son oreille droite sous le sabre d’un cosaque, a été enrôlé dans la milice. On le retrouve donc en ce mois d’avril 1919, à Kiev, avec son acolyte Kholodny, un prêtre défroqué, chargé de faire respecter l’ordre bolchevique. Sa future femme Nadejda, est employée au service des statistiques de l’administration bolchevique.

Dans cette cité où la population, affamée, est soumise au diktat de décrets promulgués par le nouveau pouvoir bolchevique, le jeune commissaire du peuple doit veiller à l’application de ces derniers. Les habitants, eux, ont bien du mal à intégrer toutes ces nouvelles règles qui apparaissent et changent sans cesse. Le dernier décret en date promulgué par la Comrespappro, la Commission régionale spéciale pour l’approvisionnement en vivres, vient d’interdire tout commerce particulier de viande et, il faut le dire, a du mal à passer.

Quand un meurtre est signalé dans une remise, où du sang a été découvert, que celui-ci s’avère être celui d’un cochon qui a été abattu, Samson est amené à retrouver tous ceux qui ont profité de cet abattage illégal et à enquêter sur le marché noir qui s'est mis en place.

Le jeune Samson est tenté de relativiser l’infraction, mais la redoutable Tchéka, la police politique, se fait pressante et menaçante.

Avec cette fiction très séduisante, Andreï Kourkov brosse à nouveau une peinture savoureuse d’une ville sous pression, où l’absurde et le comique des situations côtoient le tragique. Il nous livre une magnifique description du quotidien des habitants de Kiev, après l’accession des bolcheviques avec les différentes forces en présence, armée rouge, milice, Tchéka, Syndicat des chemins de fer...

Les difficultés pour se loger, pour se nourrir, pour se chauffer, font alors partie du quotidien des habitants de Kiev.

C’est un plaisir de découvrir cette ville avec Samson, soit à pied, soit en briska, cette calèche légère. Il nous entraîne de son domicile au Marché juif, à la gare et jusqu’aux banlieues lointaines pour le besoin de ses enquêtes, nous permettant de profiter du pittoresque de certains quartiers, mais aussi de saisir toute la crainte et les risques qu’il peut y avoir à errer la nuit dans certains ou même à se promener au bras de sa tendre amie.

Un des points forts de cette histoire a été pour moi le stage d’interrogatoire auquel a participé entre autres, Samson, et au cours duquel lui sont révélées des consignes indispensables pour mener à bien les interrogatoires. L’obligation de fumer sera l’une des règles essentielles…

Avec Le cœur de Kiev, Andreï Kourkov nous invite par petites touches à entrer dans la vraie vie de ces Kiéviens qui essaient de survivre à la dureté de leurs conditions de vie et à assister aux bouleversements de cette époque avec l’implantation progressive d’un régime impitoyable.

Puisse Le cœur de Kiev, ce puissant roman sociologique, politique et historique, enrichissant et très divertissant, ce roman aux résonances très actuelles, permettre de ne pas oublier l’Ukraine !

Il ne me reste plus qu’à attendre avec patience la suite de ce superbe feuilleton !


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          921
Le pingouin

« Le Pingouin » (Smert Postoronnevo, c. à d. Mort d'un étranger) est un livre écrit en 1996 par Andreï Kourkov, écrivain russe né à Saint-Pétersbourg en 1961. Sous un format réduit (274 pages), l'auteur nous raconte l'histoire de Victor Zolotarev, ancien journaliste au chômage et nouvellement préposé à la rédaction de nécrologies pour le quotidien « Les Nouvelles de la Capitales » (Stolitchnye Vesti).



Victor peinait à survivre lorsque le patron de ce quotidien lui a proposé d'entreprendre, sur sa commande, ce travail de rédaction : pas bien folichon comme boulot, mais très rémunérateur (au salaire mensuel de 300 dollars, il faut ajouter les nombreuses enveloppes remises sous le manteau par le commanditaire) ! L'argent permet bien vite à Victor de s'acheter le nécessaire, et même de nourrir correctement Micha, un pingouin récupéré au zoo de Kiev, zoo qui était au bord de la faillite. La vie s'écoulerait tranquillement si les nécrologies fleuries et élogieuses, écrites pour des VIP encore en vie (curieux, vous ne trouvez pas ?), ne coïncidaient avec la disparition, souvent par mort violente, desdites personnalités. S'agirait-il de crimes commandés par la mafia locale ? De règlements de comptes politiques ? De banale, l'histoire de Victor et de son pingouin prend vite une toute autre tournure et le suspense va grandissant au gré du ballet des limousines, des visites nocturnes d'individus non identifiés dans l'appartement de Victor, et des enterrements auxquels on le convie 'manu militari'. La fin est incroyable …



Sous cette apparence d'histoire pour les enfants (un pingouin, c'est si mignon !), Andreï Kourkov nous conte en fait deux autres histoires, à savoir celle d'un monde post-soviétique déboussolé, sans règles, où domine la loi du plus fort, et celle d'une véritable aventure humaine. Victor écrit des nécrologies qui finissent dans des tiroirs, comme les manuscrits de nombreux écrivains au bon vieux temps de l'URSS ; la ville est grise, en suspens au-dessus du trottoir avec des passants qui se hâtent comme s'ils redoutaient que les immeubles s'écroulent soudain ou perdent leurs balcons. Bon, c'est pas méchant comme dénonciation, mais attendez la suite : les prostituées se font descendre pour avoir manqué de respect à leurs clients (« c'est la vie, tout simplement »), des notables se mettent de l'argent plein les poches dans des affaires de privatisations, de transferts de capitaux sales vers des banques occidentales, de vente de matières stratégiques, de liquidation (sous forme de troc) de complexes militaro-industriels, de transport d'émigrants clandestins, de disparition d'avions donnés en location, de trafic d'organes, etc. Parfois, certains VIP se font prendre et sont liquidés pour l'exemple : « c'est chacun sa merde ». Dans ce monde-là, mieux vaut éviter de poser des questions si on tient à sa vie. Et Victor tient à la sienne depuis qu'il a tout pour mener une existence normale : une femme (Nina, nounou de Sonia), un enfant (Sonia, la fille d'un ami, malheureusement « liquidé ») et un animal de compagnie (Micha, Le Pingouin). Et puis il y a l'amour que porte Sonia pour Micha, comme il y a l'amitié imprévue qui lie Victor à Pidpaly, pingouinologue cancéreux en phase terminale, comme il y a ce semblant d'amour qui va aller grandissant entre Sonia et Victor, puis entre Victor et Nina. Illusion provisoire de bonheur ou fusion artificielle d'éléments qui font en sorte que la vie semble valoir la peine d'être vécue ? Cette aventure humaine devrait permettre à Victor de supporter le monde brisé et incompréhensible dans lequel il est obligé d'évoluer, un monde qu'il faudrait nettoyer, entreprise ô combien délicate et périlleuse. L'étranger, c'est lui, c'est Victor : il ne peut se fondre dans ce moule post-soviétique qui l'enferme et qui ne lui propose qu'un avenir médiocre. Une issue ? Boire « pour que ça ne soit pas pire ; mieux, ça a déjà été » (page 99). Mais c'est une issue désespérée, réservée aux ivrognes, et Victor compte bien rester lucide. Il bénéficie de l'aide de Micha, son miroir, qui en impose par sa réflexion, son silence, son ennui, sa tristesse et ses choix. Mais Victor sera victime de sa propre naïveté ...



Splendide, bien écrit, avec de l'ironie et des touches d'humour comme s'il en pleuvait, des personnages au profil ciselé et une addictivité certaine. Je mets cinq étoiles et je recommande ce petit bijou de littérature absurde et russe qui vous fera penser aux écrits de Gogol.



Commenter  J’apprécie          861
Les abeilles grises

Grises les abeilles 🐝

Entre séparatistes pro-Russes et Ukrainiens, Sergueïtch l'apiculteur et Sachka, les derniers habitants d'un village situé dans la zone grise, ont leurs habitudes, se fréquentent et s'entraident malgré leurs divergences. Les échanges déjantés des deux amis-ennemis actant même d'une certaine complicité. Une routine rompue le printemps où Sergueïtch décide d'emmener ses abeilles en Crimée pour leur épargner le bruit de fond de la guerre...



Andreï Kourkov signe avec Les abeilles grises un roman drôle, poétique, onirique, dominé par la personnalité lumineuse de Sergueïtch qui refuse de se laisser abattre par la guerre (initiée depuis 2014 par les Russes dans le Donbass), puisant toute sa force vitale dans ses abeilles, rêvant d'une société humaine apaisée et juste, à l'image de celle de ses essaims.



« En remontant le long des vignes, Sergueïtch […] se dit que les humains pourraient apprendre des abeilles. Les abeilles, grâce à leur discipline et leur travail, avaient construit le communisme dans les ruches. Les fourmis, elles, étaient parvenues à un vrai socialisme naturel. N'ayant rien à produire, elles avaient juste appris à maintenir l'ordre et l'égalité. Mais les humains ? Il n'y avait chez eux ni ordre ni égalité. »



A l'heure où Poutine continue une guerre barbare en Ukraine, un livre essentiel de fraîcheur et de croyance en l'homme solidaire, en communion avec la nature.
Commenter  J’apprécie          856
Les abeilles grises

En lisant le roman d'Andreï Kourkov, je n'ai pu le dissocier du vol du bourdon composé par Rimsky Korsakov. Je l'ai écouté plusieurs fois joué par un quatuor à cordes. Et, j'ai pensé que ces instruments à corde sont les plus proches pour définir et qualifier l'écriture de Kourkov.

La contrebasse jouit de ce son grave, parfois un peu grinçant comme l'humour de Kourkov que j'avais déjà apprécié dans le pingouin. Le violon et le violoncelle nous offrent ces notes de poésie, de tendresse, de mélancolie portée dans l'écriture des abeilles grises.

Notre " héros" ou anti-héros se prénome Sergueïtch et vit pas loin de la ligne de front ou sévit la guerre entre séparatistes russes et ukrainiens.

La guerre devient la toile de fond du décor de Sergueïtch, il vit reclus entre sa maison et son garage où vivent ses ruches et ses abeilles. C'est pour qu'elles puissent continuer à vivre et à butiner qu'il entreprend un périlleux voyage qui le conduit en Crimée pour qu'elles puissent poleniser.

Kourkov nous séduit par les descriptions de ses petites amies indissociable d'un amour de la nature qui nous attache.

J'ai beaucoup aimé aussi quand il vit dans sa maison avec son poêle à charbon, sa vodka et son miel.

L'écriture d'Andreï Kourkov est revigorante, pourquoi ne pas croire dans les forces que la nature nous offrent ? Et ces traits d'humours décapants sur le communisme des abeilles.

Je n'avais pas continué à suivre son parcours d'écrivain après le caméléon mais je sens que je vais m'y remettre.

Ce livre m'a fait du bien!
Commenter  J’apprécie          847
Le pingouin

Pour seul compagnon un pingouin menacé de famine au zoo, à qui il offre généreusement bains froids et poissons surgelés, Victor après une carrière d'écrivain avortée est ravi de se voir confié un job dans un grand journal. Un travail lucratif et dans ses cordes qui va se révéler pas si tranquille que ça. En effet, par une coïncidence étrange, les personnalités dont il est chargé de rédiger par avance un papier pour la rubrique nécrologique meurent de mort violente peu de temps après...



Mêlant humour et tendresse, absurdité et réalisme, Andreï Kourkov n'a pas son pareil pour décrire la dérive violente et corrompue à l'extrême de la société ukrainienne post-soviétique, où seule la loi du plus fort semble subsister. Une situation laissant la population dans une grande déprime, que beaucoup pour survivre soignent par une alcoolisation qui parait sans limites.



« A chaque époque sa "normalité". Ce qui, auparavant, semblait monstrueux, était maintenant devenu quotidien, et les gens, pour éviter de trop s'inquiéter, l'avaient intégré comme une norme de vie, et poursuivaient leur existence. Car pour eux, comme pour Victor, l'essentiel était et demeurait de vivre, vivre à tout prix. »



Challenge MULTI-DEFIS 2022

Commenter  J’apprécie          834
Les abeilles grises

Bbbzzzzz …. Bbbbbbbbbbzzzzzzzzzz ….

Les abeilles bourdonnent avec vigueur sous mon dos, sous mon ventre.

Je sens leurs vibrations me traverser, m’apporter chaleur et réconfort, je me laisse aller, me détends, les rayons du soleil caressent doucement mon visage.

Un léger tapotement sur mon bras me fait entrouvrir les yeux, l’esprit embrumé.

Sergueï m’observe, un sourire aux lèvres, mes trente minutes d’apithérapie sont terminées.

Je me redresse sur mon matelas de paille, le corps vaguement endolori, mais étrangement détendu.

Je regarde autour de moi, les six ruches sont sagement alignées sous mon matelas, telles des agneaux paisibles.

Je respire à pleins poumons l’air de la montagne. Ici, en Crimée tout semble plus pur, plus vivant, plus doux, le chant des oiseaux, le clapotis de la source, le craquement des brindilles du feu de camp.

Je me réjouis d’avance, ce soir, j’irai dîner avec Sergueï chez Galia, elle a promis de nous préparer son fameux bortsch, et j’ai l’impression de déjà sentir ses doux effluves me chatouiller les narines.

D’un seul coup, le ciel s’assombrit, un orage s’annonce. Une violente bourrasque m’emporte, mes pieds décollent du sol, le paysage verdoyant disparaît pour laisser place à un univers minéral, gris et terne, je reconnais la maison de Sergueï à Mala Starogradivka en zone grise dans le Donbass. Je tressaille, un tir de mitraillette a retenti. Je me jette au sol, l’angoisse m’étreint, je lance des regards affolés autour de moi. Sergueï m’attrape la main, la serre, nous nous relevons et courons ensemble le plus vite que nos jambes nous le permettent vers sa maison. La main tremblante, Sergueï fait tourner la clef dans la serrure. Soudain, dehors, un homme se met à courir vers nous en hurlant, pointant son arme dans notre direction. Une détonation retentit, fait trembler les vitres et nos corps, je chancelle. Le soldat, d’une nationalité indéterminée, semblable à une grosse abeille grise, s’écroule à nos pieds, nouvelle victime du sniper qui sévit dans le village abandonné.

Commenter  J’apprécie          7916
Les abeilles grises

« Ce hameau était déjà en « République populaire de Donetsk » mais il semblait désert . Il comptait cinq ou six maisons, pas davantage. Peut-être était-ce la raison pour laquelle Svetloïé continuait à vivre comme avant la guerre, ou presque. Il n’y avait à proximité ni séparatistes ni armée ukrainienne. C’est pourquoi personne n’était parti, à quelques exceptions près. »



Dans ce hameau de quelques maisons, Pachka et Sergueï vivent à l’écart du conflit. Ils sont en « zone grise », entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses. Les combats se déroulent à distance, pas très loin cependant, les canonnades rythment les journées et les nuits. Si leurs avis divergent, ces deux-là n’ont guère le choix : ils doivent rester solidaires, et leurs désaccords animent les longues soirées.

Sergueï est apiculteur et entoure ses ruches d’une attention de père de famille aimant. Il lui arrive cependant de louer les services de ses ouvrières bourdonnantes à qui veut bénéficier de l’effet miraculeux d’une séance de sieste sur les ruches alignées.

Mais Sergueï veut offrir plus à ses compagnes mellifères. L’endroit n’est pas assez calme. Alors avec le printemps, Sergueï quitte sa maison avec son précieux convoi…





De frontières en contrôles, sur la route, Serguéï fera de nombreuses rencontres, tout à tour aidé et aidant, à la rencontre de son passé, qui resurgit là où il ne l’attend pas. Mais les abeilles seraient-elles les vecteurs involontaires d’un mal pernicieux ?





Ce roman s’est imposé comme une lecture solidaire alors que la guerre continue de décimer une population injustement attaquée. Mais cette volonté de soutenir ce peuple n’est pas juste une lecture en passant : on y découvre un auteur talentueux, qui nous conte une histoire envoutante, sans omettre le contexte politique, mais toujours en centrant le sujet sur ce que peut ressentir le peuple, représenté par le bon sens de Serguéï.



Les lecteurs sont quasi unanimes, et le roman ukrainien remporte un vif succès, bien mérité.



Traduction (Russe) Paul Lequesne

432 pages Liana Lévi 3 février 2022


Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          781
Les abeilles grises

Magnifique roman, terriblement attachant, teinté de mille et une nuances de gris, de sons, d'odeurs, de saveurs et même d'humour !



Pourtant la situation est loin d'être à la fête.

Mala Starogradivka est un village situé en zone grise dans la région du Donbass, un de ces nombreux villages coupés du monde, piégés au coeur de combats intermittents entre l'armée ukrainienne et les forces séparatistes prorusses. La plupart de ses habitants ont fui. La plupart … sauf deux : Sergueïtch et Pachka, des ennemis d'enfance qui ont choisi de rester et maintenir le village en vie à leur manière. L'isolement et les conditions plus que précaires ne permettent plus aux deux voisins de s'ignorer. Sergueïtch, le personnage central, est vraiment attachant dans sa simplicité. Apiculteur passionné, il s'inquiète pour ses abeilles et envisage de leur trouver un lieu plus paisible. Depuis trois ans que ce conflit sévit, il y a plus de trous d'obus que de fleurs à butiner. L'herbe sera-t-elle pour autant plus verte ailleurs ?



La relation des deux hommes (au tout début) m'a un peu rappelé celle des deux paysans de Grossir le ciel de Franck Bouysse, sans doute à cause de l'isolement, de la description des gestes du quotidien quasi en temps réel et de la nature. Mais ensuite, la deuxième moitié du livre évolue vers de faux airs de voyage à la Jack Kerouac dans Sur la route, à la différence que le tempo y est ici plus « bee » que « beat », plus slave aussi…



Bien que publié peu de temps avant le déclenchement officiel de la guerre en Ukraine, ce livre résonne forcément tristement face à l'actualité. Mais sa grande force selon moi est d'être à hauteur d'homme. Il raconte le quotidien d'un habitant de la guerre, où le silence s'écoute et s'apprivoise, où le temps s'écoule dans un immobilisme trompeur, où la solitude se respire, l'inquiétude se transpire, les abeilles réconfortent. La zone grise ne se limite pas à une zone géographique, elle s'installe aussi dans la tête. C'est un roman de l'instant, de l'absurdité d'une vie sans projection d'avenir, mais aussi de sa beauté, de ses mille et une nuances de gris, du gris ombrageux au gris lumineux, et qui font la part belle aux sensations. Vraiment superbe.

Commenter  J’apprécie          757
Truite à la slave

Et oui ! Encore un Kourkov. C'est le troisième ce mois-ci et je compte bien en lire d'autres dans les mois à venir. Mais celui-ci a une valeur particulière car il m'a été offert par une amie dont les attentions me touchent beaucoup.



Nous avons là une courte nouvelle à la sauce Kourkov. Toujours aussi bien amenée... comme ça, l'air de rien. Et avec un dénouement qui m'a, in petto, déclenché un "wouah !" me donnant envie de le relire à présent que je savais le pourquoi de cette mise en scène.



Merci Idil !
Commenter  J’apprécie          749
Le pingouin

Par ces temps de canicule implacable, j'aurais bien suivi Victor Zolotarev, "le pingouin" en Antarctique !

Le "pingouin" est le surnom donné à Victor, un écrivain raté, qui va se trouver en contact de façon tout à fait inopinée avec la mafia ukrainienne car il est le propriétaire d'un véritable pingouin (plutôt un manchot d'ailleurs) dont se sont entichés un certain nombre des membres de cette organisation pour accompagner leurs défunts lors des enterrements.

Beaucoup de morts, en effet, dans de roman ! Et pas de mort naturelle... Tous ceux déjà pour lesquels Victor a rédigé une nécrologie sur la demande du directeur d'un journal de Kiev, qui va l'instrumentaliser pour couvrir une activité beaucoup moins recommandable : le "nettoyage" de certaines personnalités jugées "encombrantes" !

Cette intrigue est l'occasion pour l'auteur de dresser un tableau assez consternant de la société ukrainienne post-soviétique : corruption généralisée, surveillance permanente et souvent indécelable, délabrement de la médecine et des hôpitaux, violence sociale, pessimisme collectif qui ne trouve d' exutoire que dans l'alcool.

Voilà le cadre de vie de Victor, le prototype même de l'anti-héros, tellement il est difficile d'imaginer un homme qui soit moins acteur de sa vie. Uniquement préoccupé par sa survie, il accepte avec fatalisme le piège dans lequel il est tombé tout simplement pour le bonheur de se sentir vivant ! Et personne autour de lui, ni Sonia -une petite fille qui va lui "tomber du ciel", ni Nina, la jeune fille chargée de s'en occuper ne parviendront à le faire sortir de sa lucidité désespérée et de son auto-aveuglement. On a d'ailleurs l'impression dans tout le roman que toute relation affective est spoliée soit par la peur de mourir soit par la préoccupation constante de la survie au quotidien. Terrible constat !

J'ai pourtant regretté que le style de l'auteur ne soit pas toujours à la hauteur de son réquisitoire. S'il a effectivement un sens aigu des situations cocasses voire absurdes, notamment toutes celles avec le pingouin (le vrai) , le phrasé ne suit pas. J'aurais aimé plus de mordant, plus d'auto-dérision, plus de phrases qui font mouche...

J'ai aussi été un peu déçue par le déroulé de l'intrigue. A la moitié du roman, il y a du mou, des scènes trop répétitives qui font que l'action n'avance plus.

C'est dommage, car l'idée du pingouin était excellente et la dénonciation de cette société ukrainienne post-soviétique en déliquescence fort intéressante.
Commenter  J’apprécie          733
Le pingouin

D'une situation burlesque et iconoclaste au commencement le livre vire à une comédie dramatique amère, avec une famille se construisant grâce et autour du pingouin Micha.

Son adoptant, un écrivain désabusé et de piètre qualité recueille une gamine abandonnée par hasard, et recrute pour s'en occuper une jeune femme, qui s'incruste et devient sa compagne, le tout s'agrémentant d'amis de rencontre, qui passent et disparaissent ; puis se mèlent les accents inquiétants et tragiques.



Le pigouin de compagnie, objet de toutes les curiosités, traîne son spleen au long du roman, sucite l'empathie, puis devient une star des cimetières gagnant ainsi de puissants protecteurs, argent et traitements médicaux pointus.



Sous ces airs légers au départ l'auteur dénonce la corruption des élites ukrainiennes,les clans et compromissions politico-mafieux, la difficile vie quotidienne de la population et l'argent occulte facile pour certains.

En parallèle le geste s'assombrit, le personnage principal, stoïque et fataliste, évolue à la marge de cercles très opaques qui le dépassent, sans se sentir impliqué, à l'instar un héros kafkaïen subissant les événements qu'il n'appréhende pas, mais qui glissent sur lui sur lui telle l'eau sur une veste hydrophobe.



On aurait pu en attendre plus dans l'absurde de ces situations pingouinesques farfelues, mais le roman s'étiole quelquefois lors de transitions du loufoque à l'inquiétant, perdant un peu de sa tonicité initiale, mais rien de rébarbatif.



La fin en queue de poisson ( certes appréciable pour un pingouin, bon cest facile) laisse perplexe jusqu'au moment de comprendre qu'il y a une suite, " Les pingouins n'ont jamais froid" que je me suis empressé de commander pour découvrir la fin des pérégrinations du sympathique Micha.

Commenter  J’apprécie          681
Les abeilles grises

Pépite, petit trésor absolu,que ce livre puissant,humain,poétique et plein de sagesse...!



Déjà plus d'un mois que j'ai lu ce texte prenant,riche d'émotions et de beaux personnages attachants dont le personnage central, ancien responsable de la sécurité dans les mines...retraité pacifique qui a une passion :

ses abeilles !



Je reviens au "pitch":.Deux laissés pour compte,anciens "ennemis d'enfance " ,Sergueïtch et Pachka,se retrouvent les deux seuls derniers habitants d'une petite ville; Ces deux hommes,coincés entre armée ukrainienne et séparatistes pro-russes...vont devoir cohabiter au mieux.Au final,ils mettront de côté leurs dissensions et opinions opposées, pour s'entraider et se soutenir....l'histoire se situe en 2014...

Sergueïtch, après l'hiver rude et difficile pour ses ruches ,

décide de leur trouver un endroit plus calme et plus riche en "nourritures " et en fleurs .Patch est abattu de voir son seul "interlocuteur" partir plusieurs mois...Sergueïtch chargé ses six précieuses ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka,prend la route,dans un road mobile riche en émotions, aventures et mésaventures, rencontres chaleureuses et singulières, mais aussi des rencontres plus agressives et musclées. ...De très belles descriptions fort poétiques des paysages et nature traversés. "Mais même au milieu des douces prairies fleuries de l'Ukraine de l'Ouest et du silence des montagnes de Crimée, l'oeil de Moscou reste grand ouvert..."



Cette lecture lumineuse m' a fait étrangement songer à une autre lecture exceptionnelle, mettant aussi en scène un pays en guerre,avec un apiculteur, soucieux de ses amies les abeilles et d'autrui, ne comprenant pas que les hommes se fassent la guerre.Même personnage pacifique et bienveillant, sorte de Candide comme "notre" Sergueïtch.

Je songeais au texte de l'écrivain allemand,****Norbert Scheuer, "Les abeilles d'hiver"....



Curieusement,je m'arrêterai là dans ma chronique...car trop de commentaires face à un très beau livre, réduit sa magie,à mon sens !....Alors, je réduis "des bavardages" superflus !!...



Une ode merveilleuse multiple... à la Nature, à la Paix, à l'Amitié et à l'Écoute du Vivant quel qu'il soit...!



"Il le regardait et songeait que s'ils n'étaient pas restés les deux seuls habitants du village,jamais il ne lui aurait adressé de nouveau la parole.Ils auraient vécu ainsi parallèlement, chacun dans sa rue et chacun sa vie.Et jamais jusqu'à leur mort ils n'auraient eu d'autre conversation. S'il n'y avait eu la guerre." (p.13)



"Il avait laissé derrière lui (..) la guerre à laquelle il ne prenait aucune part,mais dont il était devenu simplement l'habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles.(...)

Mais les abeilles ne comprenaient pas ce qu'était la guerre! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains. (p.180)"



9 mars 2022 /

Librairie Caractères- Issy-les- Moulineaux





**** voir pour "Les abeilles d'hiver" :

https://www.babelio.com/livres/Scheuer-Les-abeilles-dhiver/1281918/critiques/2653284
Commenter  J’apprécie          672




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Andreï Kourkov Voir plus

Quiz Voir plus

Avez-vous bien lu les Abeilles grises d'Andreï Kourkov?

Avant d'être retraité, Sergueïtch était...

syndicaliste
ingénieur
inspecteur des mines
instituteur

9 questions
28 lecteurs ont répondu
Thème : Les abeilles grises de Andreï KourkovCréer un quiz sur cet auteur

{* *}