Anita Shreve

Elle terminerait l'histoire une fois rentrée chez elle. Peut-être pourrait-elle même l'envoyer à un éditeur. Pourquoi pas ? Car quel était l'intérêt de la fiction sinon de corriger la réalité ? se demanda-t-elle en hissant son sac marin sur son épaule. Sinon de récrire le passé ? D'apaiser des rêves fébriles ? (p 395)

Voilà comment les choses se passent. Par paliers. Au début, on a de grandes espérances. Puis, l'existence, peu à peu, se charge d'annihiler ces espérances, d'en souligner le côté naïf ou fou. On se rend compte que la vie conjugale n'est pas ce qu'on croyait. Que l'amour est au mieux sporadique. Que l'homme qu'on a épousé quand on était très jeune peut se révéler avoir un caractère difficile. Qu'espérer une intimité de tous les instants est bourgeois, pour utiliser un mot que Carl aimait employer. (p 371-372)

- Ah ! toutes les choses qui ne se produisent pas ! Par définition, nous ne savons même pas qu'elles ne se sont pas produites.
- Des histoires non abouties. ....

Si on regarde les choses sous cet angle, tout, dans la vie, est une succession d'histoires qui ne se sont pas produites.
- Sauf que nous ignorons ce qu'elles auraient pu être. (p 265)

Un mariage qui dure vingt-deux ans est une longue histoire, expliqua Nora. C'est ... c'est un déroulement temporel continu, avec des moments de drame, et des périodes d'un ennui stupéfiant. Des passages d'espoir fabuleux. Et des passages de résignation. Il n'est pas possible de raconter cette histoire. Aucun récit n'est capable de l'englober. Même un journal tenu quotidiennement ne pourrait pas t'apprendre ce que tu veux savoir. Qui pensait quoi à quel moment. Qui rêvait quoi. Pour le moins, une vie conjugale se situe à l'intersection de deux histoires, et l'une des deux restera à jamais ignorée. (p 200)

e ne pense pas ... je ne pense pas que les lecteurs reconnaissent suffisamment le pouvoir de l'imagination des écrivains. Ils veulent toujours savoir si ce qu'ils lisent lui est arrivé. Alors que, bien entendu, ce n'est sans doute pas le cas. Pas au sens strict. Pas de la manière dont c'est décrit. C'est l'imagination qui rend une œuvre vivante. (p 109)

Ce que le hasard avait bâti ne pouvait pas être détruit, il le savait bien. Les décisions prises à un moment donné ne pouvaient pas être désavouées. (p 96)

Elle aimait Bill. Pas avec férocité, comme elle aimait son fils. Pas d'une passion dévorante comme autrefois, quand elle était adolescente. Non, plutôt d'une manière solide, en toute connaissance de cause, un courant d'adoration et de souvenirs agitant le fond d'une eau dont la surface était faite de gratitude. (p 73)

"As-tu la moindre idée de ce que tu as fait ? poursuit Arthur. De ce que tu vas perdre ?"
Cela, Rob le sait. Il a pesé ses pertes au milligramme près. Les questions de son père sont purement rhétoriques, les soupapes à usage personnel.
"Brown, c'est foutu", insiste Arthur.
Aucune mention de la mineure agressée. Vous vous demandez si votre mari a compris la nature du délit.
"Alors, qu'est-ce que tu as à dire ?"
Rob n'a rien à dire. Il se tait.
Votre mari, furibond, se retourne vers vous, comme si vous étiez responsable. Vous l'êtes. Vous êtes responsable.
"Moi, ça me dégoûte de me trouver dans la même pièce que lui" lâche Arthur, comme si, de vous deux, c'était lui le plus offensé. Et peut-être l'est-il .

Un livre extraordinaire. J'ai été fascinée page par page. J'aurais bien aimé écrire à Anita Shreve que j'admire son travail. Ecrire une histoire d'amour c'est une chose - la rendre palpitante jusqu'à la dernière page et la mettre si vivement dans un cadre historique ou un pays étranger (son livre "A change in altitude") n'est pas chose courante.

P342
Rowan repoussé les couvertures et s'assoit au bord du lit. Ses jambes sont blanches ret maigres. Webster est toujours stupéfait de voir à quel point la masse musculaire peut s'atrophier en si peu de temps.

P290
- Tu peux arrêter les tensions ,.ajoute-t-il. Je ferais mieux d'en prendre rendez vous avec mon docteur .
Webster secoué, s'assoit dans un fauteuil . Il devrait recommencer à faire du tapis de course dans la salle de gym d'à côté. Manger moins de pâtes et de tourte à la viande. Il a toujours eu un peu de tension , et par conséquent n'y a jamais prêté attention. L'âge. Le stress.le mode de vie ? Se demande t-il.

P46
Elle était belle et sexy et Webster se demanda s'il pourrait arrondir les angles de sa personnalité. Sauf que c'était peut être justement les angles qui lui plaisaient.

P45
-merci dit-elle, avant de tout gâcher. Il va falloir que je couche avec vous ?
Webster s'immobilisa.
- Vous avez une vision tordue de la nature humaine.
-parce que vous avez une vision particulièrement positive de la nature humaine ?
-la plupart des gens souffrent. S'ils arrivent à s'en sortir, ils sont plutôt contents.
- Vous avez de la chance.

P40
-j'habite à Chelsea. J'habitais. A côté de Boston. J'avais un Jules qui buvait tellement qu'il avait commencé à pisser au lit. Je l'ai flanqué dehors mais il est revenu. Il me collait aux fesses comme une crotte de nez qu'on ne peut pas détacher des doigts.

P39
- Vous buvez trop, dit-il. Vous aviez trop bu le soir où vous avez fait un tonneau dans votre voiture.

Elle sortait à peine de l'avion mais, déjà, elle avait oublié son voyage et le trajet depuis l'aéroport. À sa descente de voiture, un portier en uniforme et un individu vêtu d'un manteau sombre, qui passait la porte à tambour, composaient son public. L'homme au manteau sombre hésita, prit un moment pour ouvrir un parapluie qui aussitôt, en un seul mouvement fluide, se retourna. L'individu parut décontenancé puis, l'air résolument amusé (maintenant, c'était elle, son public), il jeta l'inutile appendice dans une poubelle et se remit en route.

Il ne reparaît pas pour dîner ce soir-là. Qaund Olympia s'enquiert de lui, Catherine dit qu'il a été appelé au dispensaire. Pendant tout le repas, Olympia se force à manger. L'absence de Haskell l'affecte beaucoup plus qu'elle n'aurait pu s'y attendre. C'est la première de bien des soirées qu'elle passera où sa vie, qui paraissait complète la veille seulement, présente un vide crucial.

"Tu courtises le danger, dit-elle.
- Ce n'est pas normalement dans ma nature." Il appuie la main sur sa jambe. "Parfois je me dis que nous ne devons plus jamais nous revoir, et je suis très résolu..."
A cette déclaration, le coeur d'Olympia s'arrête.
" ... et en quelques secondes, je comprends que je n'en aurais jamais la force."

«  Il fallait s’enfoncer dans la forêt .
Répugnant à s’éloigner de l’avion, il hésita .Il avait l’impression d’abandonner une créature vivante, un chien blessé, qui serait bientôt dépecé par des étrangers .
Ils prendraient les canons en premier, puis les moteurs , et enfin toutes les pièces métalliques réutilisables , ne laissant que la carcasse ———les os du chien——-
Des os vert -de- gris.
Un avion nettoyé par des rapaces ... »

Dessus, j'ai l'air aux anges, comme si on venait de me caresser intérieurement avec une plume.