Citations de Anne Bert (68)
Je viens de rencontrer mes passeurs. Ces hommes qui font désormais partie de ma vie puisqu’ils vont m’aider à la quitter.
Marcher calme la violence qui me ravage. Je déambule dans les rues, et chaque enjambée disgracieuse ravive mon plaisir de bouger.
Je ressens encore le travail de mes muscles moribonds mêmes si mes pieds et mes mollets se tétanisent.
Mes pas chancelants me dirigent vers la passerelle qui enjambe la Charente.
Mes bras pendent le long de mon corps, leur poids tire sur mes épaules, mon cou, et je dois les réunir sur le bas de mon ventre, une main posée sur l’autre pour les soutenir.
Je continue à longer les quais en suivant des yeux les avirons qui glissent silencieusement sur l’eau et s’éloignent.
Comme eux, je suis libre et me grise de ce mirage
Ma pensée a perdu sa grammaire, je ne sais plus faire de phrase, accorder ni même nommer. Je ne veux pas de cette foutue maladie. Déjà immobilisée, un pied sur la terre ferme, l’autre dans les sables mouvants qui vont m’avaler.
Puisque la mort fait partie de la vie "à défaut d'être gaie, elle mérite d'être belle et non souffrante". p.156
Je n'ai pas pu me payer le luxe de me gaver de vie. Mes incapacités et ma dépendance me bouffent. Mon corps me boulotte.
Je ne peux pas vivre sans désirs. Ce silence bienvenu les endort, les anesthésie, jusqu'à les faire disparaître.
Alors je baisse les bras, au propre comme au sens figuré, et ma douleur existentielle est indicible. p.148
Je me réconcilie avec une médecine qui ne veut plus m'obliger. C'est moi qui déciderai du jour où nous nous reverrons.
Ce que font mes passeurs de vie les grandit. Ils affirment sans se cacher ni culpabiliser, la liberté de l'homme qui la réclame. Et ma fureur s'estompe.
Je lâche prise, redeviens moins dure, moins exigeante envers moi-même.
Une réminiscence de joie de vivre au cœur de l'orage. p.142
Je viens de rencontrer mes passeurs. Ces hommes font désormais partie de ma vie : ils vont m'aider à la quitter.
Je les ai sentis rigoureux, exigeants, prudents. Et engagés à me tendre doucement la main. Des passeurs.
Une autre médecine qui, quand elle ne peut plus soigner le corps, se décide à soigner l'âme.
Il a donc fallu m'exiler, partir en Belgique où j'ai vécu enfant, pour pouvoir être accompagnée avant de mourir dans la douceur d'une main tendue. p.112
Qu'il n'est pas doux de ne rien faire quand tout s'agite autour de moi. Parfois, quand l'arc de ma maîtrise se détend un peu, une bouffée de jalousie phénoménale me dévaste subitement. J'envie méchamment tous ceux qui bougent, tous ceux qui vont vers l'avant. le gigantesque manège de la vie m'agresse. Une presque haine. p.103
L'amour me porte même s'il complique tout. Mes amis et mes amours s'inventent de joyeuses attentions palliatives. Je végète étroitement attachée à eux dans la lumière. Ils sont ma force et ma faiblesse. Mes guides et ma plaie. J'apprends le détachement. Je dois découdre les petits points si serrés, relâcher l'ouvrage de l'amour. Consentir à la distance, alléger le fardeau pour rendre la séparation définitive moins cruelle. Je veux les voir courir vers la vie, sans moi, les regarder partir. p.89
Je suis à la merci des autres. Dès demain, obligée de les solliciter et de subir leur présence lorsque j'ai envie d'être seule. Je ne peux plus l'être, je serai désormais toujours flanqué d'assistants. p.64
Aidée par une amie, je range et fais du tri, comme si je partais en voyage et ne voulais pas laisser de désordre pour mon retour. Je vide mon bureau, mon ordinateur. Je jette, nettoie.
Il restera quelques vêtements, bijoux, petits gri-gri, des tableaux puis tant de livres à partager.
Ce grand ménage me soulage. Je n'imagine plus mes proches obligés, le cœur serré, d'entrer par effraction dans mon intimité pour vider cette pièce de mes affaires.
Je me livre là aussi, sans doute, à un rituel pour préparer ce voyage sans valise.
Tout ce qui ne se conçoit pas dans mon ventre végète comme un arbre mal planté. Ma tête sert à cultiver ce qui a germé dans mon corps.
Il y a une fissure en toute chose. C’est par là qu’entre la lumière.
Léonard Cohen
Les hommes, des kleenex . Comme dit ma copine avec laquelle j’en ai partagé quelques-uns.
La relation amoureuse avec Louise n’a pas de sens si elle n’est pas une expérimentation physique et chimique, une quête de connaissance, d’elle et de moi, une extraordinaire histoire.
Que sais- je de son ventre qui s'ouvre immense comme celui de l'océan pour la perdre dans ses lames de fond, la bousculer dans les remous des déferlantes dans lesquelles elle se plait à jouer ? Elle ne jouit pas de moi, elle jouit d'elle par moi planté dans son corps cabalistique.
Ca l'excite d'évoquer ma mort. Elle baise avec philosophie, la vulve gloutonne, les yeux plus grands que le ventre, elle masse ma hampe dans le hammam de sa gangue incendiaire. Elle me raconterait des atrocités que mon sexe ne faiblirait pas dans cette ventouse velouteuse.
C'est quoi le temps, insiste- t- elle ? Les cheveux en bataille, elle dessine de son index le pourtour de mes lèvres alors qu’elle murmure la cadence, une heure, vingt quatre heures, trente jours, un mois, un trimestre, une saison, un an, un siècle. Ad vitam æternam. C’est très sexy, sa voix change lorsqu’elle fait l’amour, ses doigts s'envolent en paresseuses volutes dans l'éternité alors que les miens agrippent ses hanches pour me chausser plus encore dans ses soies. Elle repousse mes mains et ondule au rythme des cycles qu'elle me décrit avec une lenteur hypnotique entraînant mon sexe emprisonné dans cet indolent tourbillon comptable.
Tout a cessé au réveil. Ce furieux désir de sexe s’en est allé, de façon incompréhensible. IL n’y eut plus que Louise. Cette satanée fille m’avait maraboutée. Louise. Ces lettres magnétiques auxquelles je ne comprenais pas grand chose se sont collées dans ma cervelle.
J'ai pensé au moment de notre rencontre que Louise était fêlée. Ca m’arrangeait bien de croire ça, la folie a quelque chose de poétique.