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Citations de Anne Calife (97)


Avec mes clients, je prenais une feuille avec une belle marge, que je divisais en trois colonnes au crayon de papier. Première colonne : l’heure à laquelle je prenais le client, seconde colonne, le type de client, là, c’était le plus amusant, puisque je les comparais à des crustacés et fruits de mer avec les crevettes, les huîtres, les homards, les crabes, les éponges et les étoiles de mer. La troisième colonne correspondait à la somme encaissée, enfin la quatrième, ce que j’en ferai, le loyer, l’eau, tout indispensable, tout le futile, tout le plaisir, coiffure, manucure, massage-gommage, cette paire de chaussures vernies chez Dior. [...] Les clients, les plus nombreux : les crevettes. Les crevettes sont les plus tranquilles, presque toujours des hommes mariés, ils ont des sièges bébé, des problèmes de couple, et viennent chercher de la détente. [...] Les crevettes ne savent pas comment se changer les idées, comment rêver, petits cerveaux, petites carapaces, et besoin d’une pute pour se sentir exister. C’est que ca parle beaucoup, les crevettes, et il faut les écouter, les laisser parler, parler. Pas de filles à séduire, suffit de payer, pas d’efforts à faire, et hop, ça leur plaît aux crevettes. Fellation-sodo-éjaculation faciale, grand classique, que recherchent toutes les crevettes.
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Jusqu’ici, je n’étais pas montée au premier étage, comme les autres, je n’y étais pas obligée, je me contentais d’être hôtesse, de faire boire les hommes. Cela a duré quelques jours, puis je me suis sentie un peu mise de côté, un peu ridicule avec ma paille, mon verre. Toutes les autres filles montaient en riant. Pourquoi rester, pourquoi ne pas monter? Je tâtonne, palpe dans mon enfance, dans mes souvenirs. Aucune barrière, aucune limite qui ne m’interdise de passer à l’acte. Rien qui ne me dise stop, aucune aspérité, aucune bordure, c’est ouvert, c’est mouvant peut-être, mais c’est ouvert. 
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INCIPIT
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– Il faut lui trouver un nom avant qu’elle ne commence…
Un prénom de femme prostituée contient souvent un y à l’intérieur, le "y" c’est la suggestion, l’ouverture, la brèche, l’embrasure, le rêve doré, Debby, Marylin, Myriam, ou bien le prénom se termine en a, le a suggérant aussi la féminité, la douceur, la rondeur : ils ont le choix. Lola, Sonia, Vanessa, Fiona, Rita, Carolina, il suffit de rajouter un "a" à la dernière consonne.
— Natacha, elle peut s’appeler Natacha, ça sonne bien, hein?
Immédiatement, j’ai accepté ce prénom, ça sonnait russe, sexy et fourré. Tout a commencé à l’âge de 18 ans, par cette annonce lue dans la presse locale, à Charleroi, en Belgique tout près de la frontière française «hôtesse de bar, bien payée». Oui, je l’avoue, je venais de passer mon bac, et je l’avais eu. Incroyable. Une femme, la quarantaine. Elle m’emmène loin, là-bas, dans cette ville inconnue. On a dû rouler plus de six heures pour atteindre la Belgique. Hôtesse de bar, ça sonnait bien.
— Être une femme, bien s’entretenir, ça coûte cher Natacha, très cher, répète-t-elle sans cesse au long du trajet.
Je l’écoute. L’envie. Elle est belle, longue, bien maquillée, bien habillée. De l’assurance, de la confiance. Tout ce que je n’ai pas. Elle me dépose dans un appartement, au-dessus du bar, appelé Aux Sirènes Bleues.
Nous sommes huit filles, là, si jeunes, si mignonnes, une très grosse, une autre très maigre, une blonde, une rousse, je devais être la brune manquante. Soir. Je me maquille. Au moins, c’est certain, là, avec ma bouche rouge et gonflée, mes cils noircis, mes collants, on me verra. De l’eyeliner, un trait noir, ou argenté qui se recourbe. Dans la glace, j’ai encore accentué la féminité, souligné les lèvres, de rose, de rouge-toujours, j’ai encore allongé, incurvé les cils, plaqué les paupières de bleu, de mauve ; le féminin est souvent long, fin, étiré, élancé, encore souligné les seins, offert la poitrine, le féminin est large, rond, et généreux.
Un masque, un déguisement, un appel : j’en ai pleinement conscience.
Hier soir, je ne me souviens plus très bien ce que l’on a fait, je crois juste que l’on a allongé un mec — qui était-ce? — non ce n’était pas un habitué, et qu’on lui avait aspergé le ventre, le bas-ventre de champagne — quel autre alcool, voyons? — et qu’on l’avait puissamment léché, sucé, avalé. Une belle soirée, sous la pleine lune rouge d’équinoxe. Dehors l’automne, dehors la lune éclairait les limaces, les orties et ces escargots qui sortaient, visqueux et mous de leurs coquilles. Le mec — enfin qui était-ce? — on l’avait léché, sucé, avalé. Jusqu’à la dernière goutte. Ils étaient trois à nous regarder et à nous jeter des billets au visage, des billets dans la raie du cul, des billets dans les fentes, dans toutes les fentes. On avait fumé du cannabis, on était ailleurs, on s’ouvrait, on se déchirait, alors on les avait tous déshabillés, et aspirés. Jusqu’à la dernière rosée, jusqu’au dernier centime.
À présent, nous voici, toutes les cinq, au matin, avec nos dix mains coupables sur les bols jaunes en faïence, et, les cinquante ongles rouges vifs à saisir les miettes des croissants. Oui, parce que c’est encore moi qui me lève pour aller chercher les croissants à la station essence juste derrière. Le seul endroit correct qui délivre de la bonne pâtisserie française.
Les bouches qui ont avalé le sperme sont encore présentes, les bouches oublient les couilles molles, les poils, et déchirent la pâte feuilletée, avalent le beurre.
En fond, on entendait Marguerite faire le ménage, frotter les murs, taper les tapis, ouvrir les fenêtres en grand, Marguerite ne mangeait jamais de légumes, ni de fruits, c’est pour les vaches, disait-elle, et ne buvait jamais d’eau, ça fait rouiller, affirmait-elle. Marguerite me posait sans cesse des questions, enfin elle répondait souvent à ses propres questions, ce qui me permettait de rester silencieuse.
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Quand ma mère a accouché, l'Instinct maternel lui est apparu, astre aveuglant, lui bouchant les oreilles, colmatant son cerveau. Depuis elle le suit passionnément. En échange de ses bons services, il la nourrit, lui fournissant d'intenses sujets de préoccupation.
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Temps de l'internet,temps pervers.
Temps double ,celui de "l'envoyer" qui fait intervenir l'autre.
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Pour oublier, j'ai repris le travail lent, méticuleux de l'écriture. Tous les matins, je dois me confronter au chantier chancelant du roman. Parfois, je me demande si je ne m'épuise pas à construire ainsi "roman" après "roman", comme "maison" après "maison". Mais, si je n'emboîte pas des phrases, si je ne visse pas des chapitres les uns dans les autres, j'ai le sentiment atroce de tourner en rond, comme une cinglée, portant à bout de bras des brouettes emplies de briques, de mortier que je ne sais où déverser. Plus facile, de ne pas se poser de question et d'écrire tous les jours.
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"Même en avril, je dois m’emmitoufler dans les cartons, rabattant encore le bonnet, puis la capuche sur mon visage. Les phases de la nuit varient en saveur, comme celle d’un fruit ; minuit restait une heure chaude si on la compare à celle qui précédait l’aurore.
Les passants doivent se demander, comment peut-on dormir contre une vitre éclairée. Ce qu’ils ignoraient , c’est qu’à chaque passage de voiture, leurs vibrations ébranlaient les vitres et nous berçait doucement. Un reliquat de ventre maternel."
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De sa peau brune se dégageait une odeur violente, entêtante, et celle-là, je me la suis répétée…
… Cela commence par une voile rugueuse gonflée par l’espace du large, apportant toute la corrosion de milliards de mètres cubes d’eau trop salée. Puis la voile s’estompe, s’arrondit en senteur de coque chauffée par le soleil. Ou encore de l’un de ces fruits à saveur large, la pomme, plutôt la poire, la mangue peut-être avec son côté poivré.
Enfin, derrière, flou comme un horizon, du bois mouillé par la mer, chauffant lentement au soleil.
Oui, une odeur solaire ; un sourire esquissé sous un chapeau de paille. Poire, pomme, sel citron : cette odeur, je ne l’oublierai plus jamais.
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Un amant, un homme, ce n'est rien, quelques kilos à peine qu'il faut hydrater et nourrir. Le Désir, lui, c'est tout autre chose. Le Désir doit pouvoir courir en liberté. Seul sous le ciel, se frotter le dos contre les écorces dures, se rouler par terre. De grands espaces, il lui faut.
De hautes falaises.
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Sa peau avait cette texture élastique et rugueuse que j’attendais en correspondance avec sa voix. Son palais, sa langue, l’intérieur des joues, formaient une série de plis, de reliefs parfumés en un lumineux accord de poire et de citron.
Une salive de rose.
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L’amour se mesure à l’aune des humeurs de l’autre, tous orifices, toutes ouvertures confondues – depuis la salive de la bouche, la sueur des pores, la graisse des sébacées, jusqu’aux sécrétions anales et génitales.
Ce qui s’ouvre, se ferme, sur l’intérieur de l’autre.
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– Vos cheveux sentent la brume.
Dans mon cou, il appuya sa tête, yeux grands ouverts.
Sur sa peau brune, je m’étonnai de trouver tant de traces d’usures. Comme je l’eusse fait à Paul, je lui caressai la nuque. Il ferma les yeux. Pures et ovales, ses paupières étaient celles d’un enfant.
Quelque chose de dur dans le dos ; je crus voir l’éclat blanc d’un couteau, ce n’était que le reflet du haricot en inox sous le soleil de trois heures.
Il eut fallu mourir à ce moment-là.
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Parmi les millions de substances reconnues, perçues, c’est celle de la peau, que je préfère entre toutes. À l’affût, mes narines tentent de capter cet élixir précieux, savant mélange de texture, de fossettes, plis et vibrations. Oh, la peau, son odeur…
Si précise, si juste, qu’elle reflète la nature, le caractère de son propriétaire.
Si ténue, si légère, que la moindre goutte d’eau l’éteint, le moindre souffle l’emporte.
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J’ai du mal à décrire mon odeur : blonde, fade, tels mon visage et mon corps. Plus précisément, je la cherche surtout dans les sécrétions du corps dont le nom commence par un « s » : salive, sébum, selles, sueurs ; elles ont le mérite de concentrer l’odeur naturelle. Ma transpiration rappellerait ces graminées frêles, un peu laiteuses, que coupent les enfants.
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"A chaque seconde l'odeur se recombine, se recompose pour en forger une autre sitôt perçue, reflet exact de ce qui m'entoure.

Conçu de façon ordonnée, immuable, le parfum lui ne réfléchit que ce que son créateur en a décidé, rien d'autre.

Un menteur."
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Résumé; Elle a tout quitté, elle a pris le train direction " Hasard " : Et échoué à Nancy, pour épouser une vie rangée, un homme, un enfant. Elle ? Lucille, une jeune mère, qui se plonge à corps perdu dans la sculpture, pour échapper à son passé, fuir la folie qui, derrière chacun de ses gestes, la hante. Au fil de pages hallucinées, Anne CALIFE offre ainsi le portrait poignant d'un personnage morcelé, fragmenté, qui laissera dans l'imagination du lecteur une marque indélébile et bouleversante.
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« La seule, l’unique vérité de l’homme, c’est l’endroit, où il peut abandonner sa nuque, son dos. » Mais l’homme l’a un peu vite oublié, me dis-je, en me tortillant sur le tapis de camping qui ne changeait rien du tout.

- Dors ! Fais pas ta princesse au petit pois. Le sol, c’est bien. Au moins, tu sais que tu peux pas descendre plus bas. Je me redresse dans mon duvet :
-C’est quoi, la princesse au petit pois ?
-Une histoire que je racontais à mes enfants quand ils faisaient, comme toi, des caprices, dit Pap. Dors !
Et elle souffle la bougie.
Dormir ? Facile à dire, il fait noir comme dans un four là-dedans. La seule lumière, était celle du réverbère, une lumière blafarde, une lumière de criminel, de... barbe-bleue, ai-je pensé avec toutes ces portes fermées sur l’inconnu.
-Pap ? J’ai peur du noir.
Du tube bleu du sac ne dépasse que ses cheveux grisés de réverbère.
-Mmmrrrouf, grommelle-t-elle.
-Il était une fois…
…tout, j’oublie tout, les lambeaux des papiers peints, le dur, le sale. Je l’écoute, comme j’écoutais ma mère, enserrée dans le drap rugueux ; je sentais alors la chaleur homogène de mon corps, captée par la couverture et diffuser autour de moi, en globe doré.
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-Votre mari est mort.
L’impression que le sol de la cuisine, le carré blanc de la fenêtre au-dessus de l’évier penchaient. Pour ne pas glisser, je me raccrochai à la surface désormais trop lisse, trop glissante, de l’émail mouillé. )
L’assiette me glissa des mains ; il me sembla voir sa chute au ralenti. Avec un cri de porcelaine brisée, elle s’ouvrit en triangles blancs telle une énorme fleur tropicale, un magnolia.

« Yeux jaunes de l’huissier, ceux du forsythia derrière les branches hérissées et noires. C’était un grand homme, avec d’énormes sourcils noirs, un complet élimé, un air de lassitude, d’habitude au malheur.
Très poliment, il me remit l’avis d’expulsion. La télé, le frigidaire, le four micro-ondes, tout cela parut animé de pattes, de pieds, portés par des humains dans les escaliers pour être avalé par une camionnette blanche. »
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Encore, fis-je de drôles de rêves liquides. Je rôdais autour de Paul. De ce que j’avais vécu quand il était venu au monde : sous le projecteur bombé de la salle d’opération, ses yeux clignotaient, telles les flammes de petites bougies bleues. La lumière parut lui faire mal mais il réussit à ouvrir faiblement les paupières rougies. Ses yeux chancelants cherchèrent les miens. L'espace d'une seconde, son regard flou croisa le mien. L’espace d’une seconde, deux continents se touchèrent sous l’eau. Je tressaillis sous le choc. Puis ce fut fini ; l’eau avait brouillé toute l’histoire.
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Voir, je ne sais faire que cela : Paul, neuf mois. Son premier Printemps. Des yeux, je suis l'arc énorme de sa joue rose que surmonte celui plus petit de la cornée, puis au-dessus, un cil noir incurvé en aile d'oiseau. Et ses joues… si tendues qu'elles en allument des reflets. Entre la mer et le ciel, les soldats avancent lentement, leurs costumes gris volent sur le sable comme des poissons perdus.
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