"Passé composé" d'Anne Sinclair lu par l'autrice I Livre audio
J’ajoute que ce chapitre si lourd du XXe siècle me ronge, et plus l’âge avance, plus il me semble obscur. Face à l’antisémitisme renaissant, l’extrémisme et le populisme se développant en Europe et en France comme on ne l’aurait jamais imaginé dans ma jeunesse, j’ai été de plus en plus habitée par les années d’Occupation et le trou noir de la Shoah qui semble toujours inatteignable à la raison.
« Cette histoire me hante depuis l’enfance. Et pourtant , si les sagas familiales interpellent ceux qui avancent en âge , la mienne ne m’a d’abord intéressée que de loin, l’immédiateté ayant eu longtemps , dans ma vie de journaliste , plus d’attrait que les histoires du passé » ....
Rose Valland fut l'un des deux personnages qui tentèrent d'éviter la dispersion en Allemagne des œuvres d'art venues des musées ou des collections privées. (...)
Dans " Le Front de l'art", celle-ci raconte comment elle réussit à rester en place au péril de sa vie pour tenir L'inventaire précis des tableaux volés.Nommée capitaine de l'armée française, elle fut envoyée dans les zones occupées en Allemagne après la guerre pour participer à la récupération par la France des biens dérobés.
Ce fut un élément qui compta au procès de Nuremberg. Certes, à côté des atrocités commises, le pillage des œuvres d'art dans les pays occupés par les nazis paraissait bien négligeable. Mais le tribunal le considéra quand même comme crime de guerre, car en touchant à la culture il cherchait à détruire tout un peuple.
( Grasset, 2012, p.47)
[L’avocat Pierre Masse et son frère, le colonel Roger Masse,] ont laissé aux autres détenus le souvenir de grandes figures. Ils étaient issus d’une famille où « tous partageaient au plus haut degré le culte de la France et l’amour de la République », écrivit Robert Badinter dans un émouvant hommage. Pierre Masse s’était déjà signalé lors de la promulgation du statut des juifs en octobre 1940, qui leur interdisait notamment d’être officiers. Dans une lettre fameuse au maréchal Pétain, il avait alors écrit : “Je vous serais obligé de me faire dire si je dois aller retirer leurs galons (…) à mon gendre, sous-lieutenant au 14e régiment de dragons, tué en Belgique en mai 1940, à mon neveu J.-P. Masse, lieutenant au 23e colonial, tué à Rethel en mai 1940 ? Puis-je laisser à mon frère la médaille militaire, gagnée à Neuville St Vaast, avec laquelle je l’ai enseveli ?”
Commence alors la soirée historique archicélèbre, où bientôt, à 20 heures, son portrait s’affiche sur les écrans de la France entière. Un portrait hachuré en bleu-blanc-rouge apparaît progressivement derrière les commentateurs effarés par ce bouleversement politique.
Le papier pour rédiger son discours arrive, celui qu’on utilise dans les fermes pour envelopper le beurre… Mitterrand tente de se concentrer, repose son stylo toutes les minutes pour commenter le résultat, saisi lui-même par la révolution politique qui s’annonce.
J’ai pleuré aux récits des rescapés, de Primo Levi à Imre Kertesz ou Marceline Loridan, mais à Auschwitz, je n’ai pas été submergée par l’émotion à laquelle je m’attendais. Compiègne non plus ne m’évoqua rien, sinon une incroyable proximité avec Paris, par la nationale qui passe en bordure du camp, aujourd’hui avenue des Martyrs de la Liberté, hier, simplement route de Paris à Saint Quentin.
(Yves Montand et Simone Signoret) avaient un tout petit appartement place Dauphine, qu'ils appelaient la Roulotte... J'y ai croisé... Coosta-Gavras dit Costa, l'immense réalisateur de "L'Aveu" ou "Z", et son double, le magnifique Jorge Semprun qui fut un de mes amis chers. Non seulement le scénariste inoubliable de la plupart des films de Costa, mais un grand écrivain...
Venu à "7 sur 7", alors que la démocratie avait été rétablie en Espagne après la mort de Franco et qu'il y était devenu - revanche sur le destin - ministre de la Culture de Felipe Gonzales, il m'avait décrit son nouveau bureau. De sa fenêtre, il voyait l'ancien appartement qu'il avait dû quitter un jour de 1936, alors qu’il avait une quinzaine d’années, avec ses parents qui étaient recherchés par les phalanges fascistes espagnoles. Ironie de l’histoire, clin d’oeil passé-présent…
Marchand
Longtemps, le mot " marchand" m'a contrariée.Ou plus exactement , si le mot me gênait, c'est accolé à celui d'objets d'art,de
" choses rares et de choses belles", comme il est écrit au fronton du musée de l'Homme.
Mon grand-père eût- il vendu des jeans ou des boîtes de sardines, je n'aurais pas trouvé cela déshonorant, mais s'enrichir par le commerce d'objets d'art avait pour moi, dans ma jeunesse, la même odeur de soufre que celle qu'inspire aujourd'hui le métier de banquier.Rien de malhonnête, mais un côté " impur" que la répugnance française vis à vis de l'argent amplifiait.
( Grasset, 2012, p.96)
( Grasset, 2012, p.96)
La faim lancinante entraînait des vertiges, de l'hébétude, des dégradations physiques qui, « par degrés, réduisent l'homme au rang de la bête », écrit Roger Gompel, qui ajoute, lucide lui aussi, que c'était « un acheminement implacable vers la mort selon une méthode pour humilier, avilir, abrutir, épuiser, jusqu'à la complète extinction de toute personnalité humaine [...] une sorte de pogrom à froid » . L'image est glaçante, mais illustre bien la lente agonie des internés ou déportés.
Picasso augmente d'ailleurs ses prix de plus de 100% et acquiert, lui aussi, le sens des affaires. Paul le raconte en 1941 dans un article de Newsweek : "Dans l'atelier de Picasso, je choisis les peintures que je souhaite acheter, et quand nous discussions du prix, c'est là que l'amusement commence. On échange des arguments terribles, mais toujours amicaux. Je lui ai dit un jour que j'aimerais mordre une de ses joues et embrasser l'autre !"