Reconnaissons volontiers à Anne Sinclair bien du courage pour avoir écrit ce livre dans une période particulièrement douloureuse de sa vie de femme.
Cet hommage à ses grands-parents vénérés lui a sans doute servi de catharsis pendant la tourmente qui la consigna à New York dans les circonstances que tout un chacun a pu suivre au jour le jour. Ceci étant, Anne Sinclair est journaliste et pas biographe. C'est en lisant rapidement son livre – en moins d'une journée – que je me suis souvenue à quel point j'avais apprécié LA biographie d'un autre grand marchand d'art, je veux parler du livre de Pierre Assouline, L'Homme de l'Art : D-H Kahnweiler, paru en 1989, et qui figure dans la bibliographie.
Anne Sinclair est ma contemporaine à deux ans près. Simplement, quand elle publie une photographie d'elle à 20 ans, elle est en compagnie de Pablo Picasso, qui la couve d'un regard attentif. Elle est née à New York dans une famille très riche qui a eu la possibilité de fuir la barbarie nazie, et en a payé le prix. Pas le prix du sang, certes, et personne ne saurait le leur reprocher, mais celui du courage puisque son père s'est engagé dans la 2ème DB du Général Leclerc, et celui de la spoliation des oeuvres d'art que son grand-père Paul Rosenberg avait choisies et acquises auprès de peintres majeurs du XXème siècle : Matisse, Braque, Léger et surtout Picasso, artistes auxquels il offrait de larges émoluments.
Ce livre est un hommage à Paul Rosenberg, homme nerveux, visionnaire, expert, anxieux, obstiné. Mécène aussi, qui fit don de splendides tableaux aux Musées de France et de cette Amérique qui l'avait accueilli. Elle eut bien de la chance d'avoir en partage le privilège d'être la petite-fille adorée d'un tel homme. Elle le raconte avec passion et humilité, en parcourant les archives familiales, les correspondances entretenues pendant de nombreuses années entre Paul et Picasso, son presque jumeau. C'est son patrimoine à elle, nul ne pourra le lui contester. Ce livre est aussi le manifeste d'une journaliste de talent, qui reprend sa carrière à zéro, à 63 ans.
La partie la plus intéressante du livre se trouve à la fin, lorsqu'elle décrit les patientesrecherchent de son grand-père pour retrouver partout en Europe ses tableaux volés par les Allemands, revendus par des marchands peu regardants sur leur origine, les procès qu'il intenta pour les récupérer – en très faible partie – son rebond professionnel à New York après la guerre.
C'est aussi, pour l'auteur, un pèlerinage aux sources de sa parentèle maternelle, avec toutes les surprises que l'on découvre souvent dans les histoires de familles. Une illustration de l'attitude lamentable de certains français pendant l'occupation vis-à-vis de leurs compatriotes, voisins, patrons – je pense au couple de concierges de l'immeuble sis au 21 rue La Boétie - qui se trouvaient être juifs.
J'ai énormément aimé ce livre. J'ai d'abord vu l'exposition à Paris qui m'avait beaucoup séduite : sensation d'intimité avec Paul Rosenberg et ses peintres. La scénographie était particulièrement bien étudiée afin d'aborder aussi la spoliation des biens appartenant à ces familles françaises juives et aussi le thème vu par les nazis de l'art dit "dégénéré". Mais le livre m'a touchée particulièrement. La soixantaine, les parents qui nous quittent, et ce besoin de connaître "d'où je viens, qui je suis, où je vais". Anne Sinclair se livre, elle fait un beau cadeau au lecteur, c'est bien écrit, j'ai ressenti son besoin de mener cette quête, rassembler les morceaux de son puzzle familial. Elle s'était toujours reconnue comme la fille de son père, héros de la résistance, et avait délaissé sa branche maternelle, considérant cette dernière, peut-être, moins noble que son héros. Bien sur nous découvrons, sous sa plume, le monde d'un marchand d'art mais c'est surtout son émotion que j'ai ressentie dans son écriture, son questionnement aussi, qui donne beaucoup de profondeur à ce livre. J'ai été interpellée par le fait que ses grands-parents ont dû fuir la France alors que les Etats-Unis les ont recueillis et qu'Anne Sinclair a dû quitter les Etats-Unis après des évènements douloureux pour revenir en France. La boucle est bouclée!
J'ai effectué le chemin contraire à celui pris par L'une, auteure d'une critique de ce livre : je l'ai lu après avoir visité la très belle exposition de Liège, et je ne le regrette pas. Je ne suis pas certain que mon intérêt se serait manifesté de la même manière.
Sa lecture me permettait de me replonger dans le circuit de cette exposition qui, en fin de compte, m'a paru plus passionnante que le livre.
L'histoire pourtant ne manque pas d'intérêt, celle d'un marchand d'art éclairé, Paul Rosenberg, qui sût déceler les talents de Picasso, Braque, Léger, Marie Laurencin, les faire connaître en Europe et aux Etas-Unis. Un marchand d'art juif, et dont nombre de tableaux furent dérobés par les Nazis et qui s'attachera dès la fin de la guerre, à les retrouver et à se les faire restituer non sans peine.
Les souvenirs et l'idée de rechercher l'histoire de son grand-père maternel trouvent leur origine dans une entrevue en 2010 qu'elle eût avec un fonctionnaire : " Vos quatre grands-parents, ils sont nés en France, oui ou non ?". Nous la sentons révoltée à ce moment-là et à beaucoup d'autres lorsqu'elle évoque plusieurs collaborateurs notoires, les lâchetés, les vols.
Une lecture facile, intéressante mais qui ne me laisse pas un souvenir inoubliable.
« On oublie d'interroger les grands quand on est jeune. »
Après une période difficile de sa propre vie (affaire DSK en 2011), Anne Sinclair se recentre sur ses racines et met en scène son ascendance maternelle Rosenberg, notables juifs parisiens, avec son grand-père Paul , mythique marchand et collectionneur d'art. Une aventure familiale bousculée par la Grande Histoire avec la fuite vers les États Unis en 1940 et la spoliation des biens en France.
Entre ses recherches dans les archives personnelles et la documentation sur une époque, Anne Sinclair ressuscite les disparus avec ses propres souvenirs d'enfance et cette nostalgie de les suivre dans les lieux qui les ont vus vivre ou passer.
Le 21 rue La Boétie devient une entité vivante dans les pas d'un marchand visionnaire sur l'art moderne, croisant la fine fleur de la création artistique de l'entre-deux-guerres. Si le destin des Rosenberg a été plutôt clément en miroir de la Shoah, il convient de mesurer les conséquences de ce bouleversement avec l'installation définitive de la famille aux États Unis et le parcours chaotique de récupération des biens spoliés.
Un livre passionnant écrit avec brio et une distance affectueuse, évoquant les aléas de la fortune, le sentiment d'exclusion et l'exil.
Avant de visiter l'exposition "21, rue de la Boétie" ayant lieu au Musée de la Boverie à Liège (Belgique) jusqu'en janvier 2017, il m'apparaissait nécessaire de lire le livre du même titre d'Anne Sinclair, qui fit naître l'idée de cette exposition unique et particulière.
Particulière car passionnel fut l'amour de son grand-père Paul Rosenberg, l'un des plus grands et plus perspicaces marchands d'art de la première moitié du XXe siècle, pour la peinture.
Parcourir les souvenirs et suivre les recherches d'Anne Sinclair, c'est aussi parcourir l'histoire et L Histoire.
L'histoire du monde de la peinture avec les courants artistiques et tous ces grands noms d'artistes passés à jamais à la postérité (Picasso, Matisse, Braque, Laurencin...) et L Histoire dans tout ce qu'elle a de plus sordide, notamment la période noire de la fin des années trente jusqu'à la fin des années quarante (antisémitisme, pillage organisé par le régime nazi, conduite de certains compatriotes célèbres ou non, exil à New-York, déchéance de la nationalité, etc...)
Homme probe, exigeant, lucide, dur en affaire mais non exempt d'humanité, fidèle en amitié, blessé dans sa vie privée et par certaines trahisons, le portrait que finit par nous tisser sa petite-fille nous révèle toute la complexité de cet homme hors norme.
Ecrit dans une langue directe, le livre d'Anne Sinclair, par l'évocation des membres de la branche maternelle de sa famille qu'elle avait occultée jusque là, contribue à la mise au jour de faits souvent ignorés qui enrichissent notre connaissance et du monde de l'art et des fractures qui jalonnèrent le XXe siècle.
Picasso augmente d'ailleurs ses prix de plus de 100% et acquiert, lui aussi, le sens des affaires. Paul le raconte en 1941 dans un article de Newsweek : "Dans l'atelier de Picasso, je choisis les peintures que je souhaite acheter, et quand nous discussions du prix, c'est là que l'amusement commence. On échange des arguments terribles, mais toujours amicaux. Je lui ai dit un jour que j'aimerais mordre une de ses joues et embrasser l'autre !"
Paul Rosenberg était installé dans une existence très confortable, et n'a certes pas navigué de la bohème à la bourgeoisie, puis de celle-ci au Parti communiste, comme son ami Picasso. Pourtant il ne jugeait pas des affaires publiques uniquement en fonction de son appartenance au milieu dans lequel il vivait. "Gauche caviar", dirait-on aujourd'hui pour moquer qui ne se coule pas obligatoirement dans les opinions politiques de son milieu social. Comme si le déterminisme du compte en banque était plus fort que les convictions, et que les gens qui "ont du bien", comme on disait autrefois, ne pouvaient que voter dans l'intérêt de leur classe sociale.
Le 23 février 1942, un décret prononce la "dénationalisation" de Paul Rosenberg et de sa famille.
[...]
Mon grand Paul refusera tout contact avec Vichy pour "plaider sa cause". A quelqu'un qui s'était proposé de s'entremettre, il écrit le 24 avril 1942 :
"Les récents événements en France sont tels que je ne voudrais pas avoir quelque communication que ce soit avec un gouvernement dirigé par un homme comme Laval. Je préférerais perdre tout ce que je possède."
C'est ce qui arriva pour ses tableaux, comme pour ses illusions.
Paul retourna aux Collettes deux semaines plus tard pour assister aux obsèques de Renoir, mort le 3 décembre.
[...]
L'office commença, simple, sans paroles, sans musique, sans apparat, comme Renoir lui même l'aurait voulu.
[...]
Je pensais qu'en d'autres temps, à d'autres époques, il aurait eu des obsèques nationales.
Comme dans tout régime totalitaire qui prétend définir un "homme nouveau", l'art était une priorité pour les apôtres du national-socialisme, et l'obsession des nazis fut de faire de l'art un instrument de propagande.
En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.