Citations de Antoine Rouaud (51)
Je ne vous demande pas de l'oublier (…). Vous ne le pourrez jamais. Toutes les plaies se referment. Ce sont les cicatrices qui nous les rappellent à nous. Et si la douleur est moins vive, elle n'en demeure pas moins profonde.
Il y a une légende qui raconte qu'un seul homme fit face aux Salines et embrasa notre armée. Ce n'était pas une légende, je l'ai combattu… et j'ai fui comme les autres. Il nous fit plus de dégâts que lors de l'assaut du Guet d'Aëd par dix milles de ses hommes. Parce que lui, nous l'avons craint. S'il y eut un seul héros dans les Salines, ne retenez qu'un nom... Dun-Cadal Daermon.
Je suis l’épée contre les forts et le bouclier pour les faibles. Ma parole est d’or. Je ne la renierai pas. Je suis celui qui marche au combat. Mon chemin est celui des justes. Je ne faiblirai pas.
Je suis l’épée et le bouclier, telle est ma seule voie. Rien ne retiendra jamais mon bras.
Je prête ici serment de ne jamais céder à la voie de la colère, de toujours servir la justice avec honneur et morale. D’être chevalier, parmi les chevaliers, et que cela fasse sens.
[Dun-Cadal] le regarda obéir, tentant de déceler sur son visage un quelconque indice qui lui permettrait d'en savoir plus. Une cicatrice, une expression, un détail qu'il n'avait jusqu'alors pas remarqué... La moindre petite chose, qui donnerait à ce gamin l'ombre d'un passé. Tout, plutôt que ce vide absolu.
L'attente était plus dangereuse encore qu'une bataille. L'ennui endormait les soldats. Ils avaient tout le temps pour réfléchir au danger qui menaçait. Cela risquait de leur ôter toute spontanéité lors de l'affrontement. Deux semaines, c'était peu dans une guerre, mais déjà trop long quand aucune escarmouche ne rompait l'inactivité.
Des horreurs que justifiaient les puissants avec cynisme, expliquant à qui souhaitait l'entendre qu'aucune guerre n'était propre, que la violence engendrait la violence et que la cruauté était , si ce n'était excusable, simplement inévitable.
C'est ton innocence que tu vas tuer là-bas, mon garçon. Et crois-moi, j'en suis le premier désolé.
(Dixit Dun-Cadal à Grenouille peu de temps avant le premier vrai affrontement de celui-ci).
Cet homme, malgré toute l'insolence dont Laerte avait pu faire preuve à son égard, n'avait jamais eu de cesse de l'aimer comme un père aime son fils.
Que de croyances s'appuient sur un livre perdu était une preuve d'ignorance, pour la courtisane. Terre à terre, elle s'accommodait suffisamment des rumeurs et murmures de la cour pour ne pas daigner s'intéresser aux origines du monde.
Pas un visage ne se différenciait des autres, ce n'était que des ombres mouvantes. Les généraux étaient habitués à ce tumulte, une tornade d'inconnus fondant sur eux, sans nom, sans histoire, sans rien qui ne vaille la peine d'être retenu. Eux aussi avaient une vie, une famille, des rêves comme des peurs, mais penser à leur humanité au cœur de la bataille, les considérer comme des semblables, c'était courir à sa perte. Les gestes étaient mécaniques, de simples réflexes parfois, la somme d'années d'apprentissage du combat.
Combattre. Frapper. Attaquer. Cela était familier pour Dun-Cadal. Mais les luttes d'influence en haut lieu lui étaient totalement étrangères. Il se sentait démuni.
Toutes les plaies se referment.
Ce sont les cicatrices qui nous les rappellent.
Et si la douleur est moins vive,
Elle n'en demeure pas moins profonde.
- Le bois n’est qu’à une heure de marche ! supplia Grenouille. Dans deux, nous pourrons quitter la région ! Il y a peu de soldats dans ce coin, je vous l’ai dit, ça va être un jeu d’enfants.
[…]
- Dans un jeu d’enfants, on plante rarement une lance dans la nuque d’un homme.
Pour être un assassin, contrairement au chevalier, il faut emprunter la voie de la colère... non ?
Tous les nobles ne sont pas chevaliers... mais tous les chevaliers méritent ce titre.
- Ce sont les dieux. Ils ne se jouent pas de nous, ils font de nos vies des histoires, des récits, des sagas. Pour que l'humanité atteigne son summum. Ils connaissent le début et la fin des temps. Remercions-les pour nous avoir donné la vie et un destin dont le sens leur appartient.
Mon enfance s'est terminée le jour où pour la première fois j'ai hésité.
- Peu importe de quelle façon tu frappes. Il n'y a aucune gloire dans le fait de prendre une vie.
Il est facile de combattre avec une épée. Mais pour vaincre ses démons la lame n'est d'aucune utilité. Vous qui êtes à genoux, sans plus aucune fierté, relevez-vous, tremblant, mais retrouvez votre dignité. Car c'est bien la seule arme qui vous protège des puissants.
- J'ai cru parler au grand général Dun-Cadal mais il faut croire que je me suis tompée. Regardez-vous... vous n'êtes même pas l'ombre de ce que vous avez été. Juste une écorce vide, sans aucune dignité, qui ne sait que lever son verre avec amertume. J'ai peine à croire que ce que vous avez fait pendant la bataille des Salines soit vrai. A vous voir, comme ça, je ne peux que douter que ayez été autrefois un grand homme.
Pas un seul moment il ne leva les yeux vers elle.
- Oui... vous êtes venu ici pour attendre la mort. Seulement, vous n'avez pas compris ceci. Vous êtes déjà mort. Vous avez beau cacher votre identité dans l'espoir de ne pas ternir votre ancienne image, c'est peine perdue. Quand le monde sara ce qu'il est advenu de Dun-Cadal Daermon... la seule larme versée ne sera pas une larme de tristesse mais bien de pitié.
Elle n'attendit aucune réponse et disparut dnas la foule, suivie du Nâaga. Quand l'air frais de la ruelle estompa les odeurs de sueur et d'alcool, elle se demandait encore si elle avait su le piquer au vif. Sous la pluie, elle ralentit le pas.
- Aie confiance, conseilla Rogant.
Avoir confiance ? On n'avait pas jugé bon de la prévenir qu'il s'agisssait de Dun-Cadal Daermon t non d'un simple soldat.
- Je le connais depuis plus longtemps que toi, continua Rogant. Il sait ce qu'il fait.
Et, comme pour conforter ses dires, une voix retentit dans leur dos.
- Hé !
Viola se retourna lentement. Debout sur le perron de la taverne, Dun-Cadal était plus pitoyable encore qu'assis à sa table. La pluis glissait sur son visage et nul n'aurait su dire si quelques larmes ne s'y mêlait pas.
- Qu'est ce que vous connaissez de Dun-Cadal ? gronda-t-il, des trémolos dans la voix. Vous venez ici, vous vous asseyez à ma table et vous crachez sur ce que j'ai été. Ce que je suis... ce que je serai...
Il serra les poings, chancelant.
- Mais qu'en savez-vous ? s'emporta-t-il? Ce que vous a appris la République ?!
Il avança de quelques pas et se laissa aller contre un mur. La lueur d'un éclair illumina son visage ridé. Il paraissait si... détruit.
- Que savez-vous de mon histoire ? dit-il en levant les yeux au ciel. De ce que j'ai vu, de ce que j'ai fait.... ? Que savez-vous de la bataille des Salines... ?
Viola ne bougea pas. Elle se contentait de le regarder, appuyé contre la façade d'une maison, les bottes couvertes de boue, la veste de cuir craquelée, les manches de sa chemise tachées de vin.
- Alors, racontez-moi.