Citations de Camille Bordas (93)
J'étais persuadé que si je fuguais, ça ferait plaisir à ma mère. Elle se plaignait tout le temps qu'on était pas assez aventureux.
Ce que j'ai bien aimé, par contre, c'est que tout le monde à l'église avait l'air plutôt sympa et triste. Ça m'a changé de l'école, où c'est exactement le contraire. J'ai toujours pensé que j'étais le plus triste de ma classe (enfin, deuxième derrière Denise Galet), et voir que toute cette tristesse pouvait devenir un trait normal à l'âge adulte, ça m'a donné espoir.
Le thé avait trop infusé, il avait un goût de pièces de monnaie qu'on aurait plongées dans de la grenadine.
C'est souvent comme ça. Je pense à mes parents, disons, continuellement, mais toujours de cette façon, dans des situations presque triviales. A de très rares moments je parviens, comme au travers d'un rideau, à voir leur mort en face, avec tout ce que cela induit d'angoisses, de plus jamais. Mais c'est beaucoup trop violent. Je ne réalise qu'ils sont partis, vraiment partis, que quelques secondes par jour, et ces secondes sont comme ces cris silencieux qu'on pousse dans un cauchemar, comme des châteaux de cartes qui s'effondrent après tant d'efforts pour repousser l'image inacceptable de la disparition.
Vu que notre jardin était le plus mal entretenu du quartier (sa seule gloire était le cerisier, mais c'était pas grâce à nous qu'il survivait, il se debrouillait tout seul), mon état des lieux hebdomadaire était pas beaucoup plus palpitant que l'ennui que je cherchais à fuir en sortant de la maison. A vrai dire, je m'ennuyais autant dehors que dedans, mais disons qu'au moins le silence du jardin était moins pesant que le silence de la maison.
J'ai le sentiment qu'en ce point précis du globe, le temps s'arrête, qu'il est strictement impossible que quelqu'un puisse penser à moi tant que je resterai assise là, et malgré ce sentiment, je n'ai pas envie de partir. C'est peut-être mieux qu'on ne pense pas à moi. C'est plus simple. Plus confortable. Si personne ne pense à moi, eh bien cela signifie que je n'ai plus à le faire non plus.
Le salon ressemblait à une salle d'attente. Il y avait plusieurs tables basses avec des magazines. Des soucoupes en verre remplies de bonbons emballés individuellement. On avait jamais eu de magazines à la maison. C'est sans doute pour ça qu'on avait pas de table basse, d'ailleurs.
Le mot "amour", les gens aiment bien parce que c'est festif, ça sonne bien, c'est comme "champagne" : rien que de dire le mot, t'entends sauter le bouchon.
Les enterrements auxquels j'étais déjà allé duraient généralement moins d'une demi-heure, mais celui de la grand-mère de Denise à duré presque aussi longtemps qu'une soutenance de thèse.
J'avais jamais vraiment compris le concept de la récré, son intérêt, sa raison d'être, pourquoi c'était si long. Je passais la récré seul, en général, dans une cage d'escalier isolée, à faire semblant de finir un devoir à la dernière minute au cas où quelqu'un me verrait, qu'il ne pense pas que j'étais juste là à regarder dans le vide, mais ça ne pouvait pas marcher le jour de la rentrée.
Maman mangeait dans des assiettes bleues, parce qu'elle avait lu quelque part que la vaisselle bleue coupait l'appétit, et elle disait toujours qu'elle avait deux kilos à perdre. Ce soir-là, elle avait fait du poisson blanc, et le poisson blanc, on pouvait en manger autant qu'on voulait sans prendre un gramme, d'après elle, mais elle s'était quand même mis une assiette bleue.
J'aimais ma famille, je crois. Je n'en connaissais pas d'autre, c'est vrai, et du coup, je ne pouvais pas trop comparer, mais il me semblait que c'étaient des gens bien, corrects.
On en apprend beaucoup sur les gens en observant ce qu'ils laissent de côté. Ils ne jettent pas, non, ils se disent que ça leur resservira peut-être plus tard, des photos, des grigris porte-bonheur hideux achetés sur une aire d'autoroute, de vieilles notes de cours. (p. 36)
Ceux qui attendent plus rien de la vie n'ont pas de raison de pleurer.
Leur arrivée s'est faite d'un coup : un matin, tout était silencieux, et le lendemain, Simone et moi étions réveillés à cinq heures pétantes par des centaines et des centaines de pépiements et de gazouillis superposés, comme des altercations de politiques sur la chaîne parlementaire.
... l'habitude est plus forte que nous.
Ma mère me tenait par les épaules, et petit à petit, elle m'a tiré vers elle, jusqu'à ce que je sois bien contre elle, comme les otages dans les films avec lesquels les méchants se protègent quand ils entament une retraite.
- Il pleut ?
- Non. Il a l'air de faire globalement beau ici. C'est grand ciel bleu depuis que je suis arrivée.
- Ça doit te saouler alors. T'adores la pluie.
- C'est vrai que trop de soleil, ça rend les gens trop optimistes. J'espère que les hivers sont aussi horribles qu'on le dit, que ça rééquilibre la balance.
Les fantômes,d'après ce que je sais,il y en a plein la tête des gens,mais ils n'en sortent pas.Chacun amène les siens avec lui et les remporte en partant.
Paris. Ça a l'air loin. Ça doit l'être puisque tout ceux qui m'ont quittée pour Paris ne viennent plus que quelques heures par an, et encore, ils ne me prêtent guère d'attention.