Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix
autour du livre : Tenzing, le Héros de l'Everest
de Ed Douglas
enregistré le 03 mai 2023
en présence de Pascal Tournaire & Michel Pelé
Résumé :
La vie extraordinaire de Tenzing Norgay, enfant nomade du Tibet devenu le premier homme au sommet de l'Everest avec Hillary.
Ed Douglas, grand nom de la littérature de montagne, est parti au Tibet à la recherche des racines du sherpa Tenzing Norgay, né en 1914 au pied du versant oriental de l'Everest, dans une famille d'éleveurs de yacks. Déshérité parmi les déshérités, il se hisse par son talent, son intelligence et sa résilience jusqu'au toit du monde. À la pointe de toutes les expéditions à l'Everest dès 1935, il atteint le sommet de ses rêves le 29 mai 1953, mais la gloire est une tourmente. Il lui faudra le soutien et l'amitié du pandit Nehru pour l'affronter sans perdre son humilité, son sens de l'humour et son sourire.
Traduit de l'anglais par Charlie Buffet.
Bio de l'auteur :
Ed Douglas, journaliste et écrivain passionné par l'Himalaya, a publié une douzaine de livres, dont plusieurs ont reçu des prix. Deux ont été traduits en français : de l'autre côté du miroir (Éditions du Mont-Blanc, 2018), Himalaya, une histoire humaine (Nevicata, 2022). Il publie des articles de référence dans The Observer et The Guardian. Il est rédacteur en chef de l'Alpine Journal et vit à Sheffield, en Angleterre.
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Erhard a souvent raconté, et toujours dans les mêmes termes, ce qu'il avait ressenti sur ce sommet. Ces conditions extraordinaires, ce moment de douceur inattendue contrastant avec la violence de l'effort fourni pour y accéder lui ont permis de goûter ces sensations, de les laisser tourner en bouche, imprégner sa mémoire comme un nectar inoubliable : «On en a tellement bavé qu'il y a un moment, dix, vingt secondes où, je ne peux pas le dire autrement : c'est le bonheur total. On oublie tout, on vit ces secondes présentes. Pour moi, je crois c'est le bonheur total.»
"Partir pour un 8 000 c'est mettre un pied dans l'au-delà."
[Phrase qui revient souvent dans les interviews d'Erhard Loretan]
On lui apprend qu'un des sherpas de Chamoux a fait une chute mortelle. Rikou, compagnon des quatre dernières expéditions de Chamoux, s'est assis dans la pente et il a glissé, sans parvenir à enrayer sa chute. Chamoux s'est arrêté, le temps d'attendre des nouvelles par radio. Puis il a repris sa progression. Erhard ne comprend pas. Ceux qui suivent Chamoux depuis le camp de base ne comprennent pas. Ceux qui apprennent la nouvelle en direct sur France Info ne comprennent pas. Rikou est mort, Chamoux continue.
Un drame, c'est toujours une addition de coïncidences malheureuses.
La nature est la plus forte et nous lance sans arrêt son défi à nous, petits êtres sans arme.
Dans ce climat de bataille, au contact des difficultés, des inconnues et des mille dangers de la montagne, l'alpiniste se révèle tel qu'il est réellement, dépouillé avec une sincérité impitoyable, avec ses qualités et ses défauts, à ses propres yeux et à ceux des autres.
Walter Bonatti, À mes montagnes
La montagne est toujours juste, elle n'est pas sournoise.
Les 8 000 aujourd'hui ont presque tous une voie dite «normale». C'est généralement la voie de la première ascension, la moins difficile techniquement. Elle s'élève au-dessus de camps de base équipés de tentes spacieuses et de groupes électrogènes, qui peuvent accueillir plusieurs centaines de personnes au pic de la saison. Dans ces villages éphémères et multicolores posés sur des moraines poussiéreuses, les expéditions commerciales dorlotent des clients à qui l'on promet, sinon le sommet, du moins un service très complet : des camps d'altitude équipés par des sherpas qui vous réveillent le matin avec un mug de thé fumant, des bouteilles d'oxygène, des cordes fixes dans tous les passages où le client, pas toujours expérimenté, risquerait de se perdre ou de se tuer − ce qui serait dommage quand on a déboursé quelques dizaines de milliers de dollars pour tweeter son premier 8 000 en direct.
La nuit est tombée. «Une nuit éternelle, écrit Erhard. Par une température qu'un congélateur aurait du mal à atteindre, nous attendons le retour du soleil. Le bruit du vent est terrible. Seul le claquement de nos dents nous prouve que nous faisons encore partie du monde des vivants.»
Le 24 décembre 1985, Jean et Erhard arrivent à Genève de retour de leur ascension hivernale du Dhaulagiri. Jean se souvient d'un choc partagé avec Erhard : "On a regardé autour de nous, les gens tiraient de ces gueules ! C'est Noël, ils font la fête ou ils font la tête ? Ils ne sont pas heureux ? La veille à Katmandou, on avait dîné avec un gamin qui ne savait pas s'il aurait à manger le lendemain et là : l'opulence et la tristesse... On s'est dit qu'on allait reprendre un billet et repartir aussitôt !"