Citations de Claire Duvivier (89)
"Surtout, en arrivant à Solmeri, ne fais pas le canneton." Et comme je l'interrogeais du regard, elle m'expliqua : "Ne t'attache pas bêtement à la première personne que tu vas voir en descendant du bateau."
Je regardais mes enfants avec plénitude, avec joie - disons-le, avec une sorte de liesse. Je voyais ce qu'ils avaient en eux de Danica [ma défunte femme], je voyais des choses qui étaient à moi, mais je distinguais aussi, même si ce n'est guère rationnel, les ombres de tous ceux que j'avais croisés dans ma vie et qui m'avaient fait, qu'ils les aient connus ou non.
-Il me fait vraiment peur, poursuivis-je en tâchant de garder une voix ferme.
-Gardez la tête haute et pensez à votre repas du soir. C'est comme ça que j'ai toujours fait.
Tu n'aimes pas ce que j'ai à te dire, hein ? reprit Ebelin. Ton univers entier est un mensonge, Amalia. Et le pire dans tout ça, c'est que tu joueras des pieds et des mains pour le préserver, parce qu'un mensonge confortable vaut mieux qu'une réalité périlleuse, non ?
Hirion et moi n'étions pas rationnels, mesurés, sages, pragmatiques comme nous étions censés le devenir. Nous étions juste de grands enfants qui n'avaient jamais quitté le nid, qui se pensaient capables de tout parce que c'était ce qu'on leur avait mis en tête, mais qui émotionnellement étaient encore des pages blanches.
Voici comment, pour moi, la page a commencé à s'écrire. (p13)
Si le grandiose t’intéresse tant, Gémétous, prends la peine de te pencher également sur le trivial; rappelle-toi que ce n’est pas à l’ombre des légendes qu’on trouve le bonheur, mais auprès de la chair et du sang. Personne ne le sait mieux que nous deux.
C'est ainsi que je fis la connaissance de Danica Saditti, à laquelle je ne m'attachais pas bêtement sur-le-champ; j'eus la décence d'attendre le lendemain, alors qu'elle me faisait visiter la Redoute rouge, dont elle était l'intendante depuis peu.
-Nous pouvons demeurer sur notre île enchantée, et nous imaginer que nous créons une société libérée de l'histoire, du poids des traditions, des hiérarchies. La Cité de demain pour les citadins de demain. Sauf que le reste du monde continuera d'exister et les monstres d'y errer.
Toutes ces histoires n'en racontaient qu'une seule, finalement : celle de la lente décadence d'une cité trop sûre d'elle qui prenait conscience qu'elle était construite sur l'ancien estuaire d'un fleuve et que ses fondations s'enfonçaient dans la glaise.
« J’espère ne pas t’avoir choquée, dit-elle. Racontée ainsi, l’histoire manque singulièrement de romantisme…
– Mère, laissons les histoires d’amour aux Van Hautenluft : je suis plus sensible aux histoires d’ambition. Vous m’élevâtes ainsi, je n’y peux rien. Je t’envie d’avoir dû tes fiançailles à tes propres calculs et non à ceux de ta famille. Je t’envie d’avoir eu des objectifs et d’avoir su les remplir. »
La pitié rabaisse son objet et finit par tourner au mépris.
La demeure des De Wautier était grande, outrageusement grande, à la mesure de la fortune de la famille, et pourtant c'était un endroit d'une tristesse sans nom, du moins à mes yeux.
Toute fréquentation humaine m'apparaissait comme une désillusion en devenir.
"Je te demande juste une dernière courtoisie pour ce géant agonisant, si tu l'as vraiment aimé : ne parle jamais de ce qui vient de se passer."
Comme je suis en train d'écrire, j'estime que je ne trahis pas la promesse que je lui fis alors.
« Cette belle période tire à sa fin. Dans un an, son mandat sera terminé et elle partira, elle ne sait pas encore où. »
« Mais ne pouvait-elle pas demander de rester plus longtemps ? » Merle sourit amèrement à cette question. « Elle ne le fera pas. » Il laissa passer un temps, puis ajouta : « Je partirai avec elle, tu sais.
Je ne voulais rien de plus que profiter de cette période de ma vie où je n’avais besoin de rien, ne manquais de rien, ne dépendais de personne et où personne ne dépendait de moi.
La nature d’une société sera toujours plus forte que celle des individus qui la composent.
Cesser de nous aimer serait la meilleure chose qui pourrait nous arriver. Mais c'est impossible.
Tout comme je n'aimais pas que mon seul espoir fût de pouvoir contourner les règles juste assez pour rendre mon existence acceptable sans me faire prendre.
Je m'avançais vers la femme morte. J'avais reconnu ses vêtements. Et elle était forcément passée par la-haut en se précipitant vers notre caja. Le sort avait voulu qu'elle finisse par reposer a moins de cinquante mètres de chez nous, la gorge tranchée également. Je ne pouvais pas voir son visage, orienté vers le bas, mais a en juger par la teinte de l'eau autour de son cou et la position de son corps, rendu d'autant plus étrange par sa grossesse, il était inutile de m'arreter, aussi poursuivis-je sans ralentir, en serrant mon fils contre moi. L'air me manquait, et également à étincelle qui commençait à s'agiter, mais j'attendis d'etre suffisament éloigné de sa mère pour relâcher mon étreinte.