Citations de Sabrina Calvo (162)
- Les gens d'ici sont très attachés au lieu. On dit qu'on n'habite pas Le Corbu, mais qu'il vous habite.
- Vous voulez dire que Le Corbu serait hanté?
- Il s'agit plutôt d'une philosophie. Que tout le monde se responsabilise, comme s'il faisait partie d'un tout. C'est une tradition qui se perd.
C’est tout un monde qui s’est écroulé, un monde ancien qui portait le nom d’un mode de vie – un monde féodal qui taisait son identité, sa résilience à toute forme de justice. Depuis la nuit des temps, rien n’a pu empêcher une moitié de l’humanité de mettre l’autre en esclavage.
Ce n’est pas l’individualisme qui tue la société. C’est le moi d’abord.
Le jour où le nazisme sera rentable, tous les capitalistes seront nazis.
Nous avons tellement appris à nous libérer sans agir, en prenant pour acquis ce qu’on nous donnait comme espace, qu’on s’est même demandé si on pourrait changer le monde en restant sur nos culs à rien foutre.
Le Gris voulait apprendre à la société à vivre avec moins, avec le nécessaire. Peut-être à saisir l'essence du bonheur, en le domestiquant dans un espace privé. À la fin de sa vie, il habitait seul, dans un cabanon fait sur mesure à Roquebrune, sur un bout de roche. Il était mort en nageant. L'exemple du héros sacrifié, célébré mais incompris. Ses projets utopiques ne sont plus aujourd'hui que des œuvres d'art, vécues de l'intérieur par des peuplades dont il ignorait tout. Sa ville rêvée de Chandargh, bâtie en Inde, est le témoignage d'un monde impossible. Le Gris avait marqué de son empreinte le réel. Mais le réel l'avait fui. Ici, dans cette Unité d'Habitation, subsistait encore l'étincelle. Son étincelle, placée là en attendant qu'il revienne à la vie, à travers ces murs.
— C’est quoi le plan ?
— Le plan A ? Rester digne.
— Et le B ?
— Tout démonter.
Downtown est devenu l’univers stérile auquel il aspirait du temps de sa gloire néo-capitaliste. Loin des marchandages de Chinatown et des souterrains exclusivement corporates, la surface est laissée aux ruines de chaînes de vêtements, aux fast-foods et aux micro-supermarchés. Une population fantôme continue ses errances de shopping, véritables rituels devenus religion – des zombis répétant des gestes habituels, sans plus aucun sens. De libéral à réactionnaire il n’y a qu’un pas. L’ancienne génération voyait les choses en noir et blanc, et au ralenti. Son incapacité à dépasser le bien-être matériel avait laissé un trou béant dans le vivre-ensemble.
La mention du Corbu fait chavirer les cœurs. Toujours, cette romance du créateur suprême, celui par qui tout a été possible. Le Gris. Qui peut aujourd'hui prétendre savoir ce qu'il y avait en lui? Une âme torturée, rationnelle jusqu'à la nausée, qui n'avait jamais exclu l'impossible désir de se tromper. Un homme de contradictions. Un homme qui avait passé sa vie au chevet de son œuvre, persuadé de pouvoir changer le monde en le réduisant, lui imposant une norme idéale qu'il avait déduite de ses études, de son instinct. Un visionnaire borgne -amblyope- qui voulait refaire l'humanité à son image. Le Gris avait entrepris tellement de projets, dessinateur, écrivain de talent, une vie ne lui avait pas suffi. Le Gris était un Fada.
- Il y avait quelqu'un ici. Il est entré, elle ne s'est pas battue. Il l'a pétrifiée. Il a pris quelque chose. Il est reparti.
- Il?
- Ou elle. Et cette personne était accompagnée par un animal. Colline se souvient de l'odeur maintenant. L'odeur qui l'avait frappée en pénétrant dans l'appartement. La même odeur, dans la pièce du sol artificiel, qui l'avait saisie quand elle s'était introduite dans la nécropole avec Toufik.
La couche de paille souillée.
Les visages sont graves, crispés. Je saisis des bribes de phrases. L'eau monte. Il y a eu quatre cent noyés dans un endroit qui s'appelle "Le Village " et qui se situe un peu en dessous de notre Village à nous. Un Requin est mort d'apoplexie tellement il avait mangé. Ça se présente moyen.
Être un perdant, c'est pas le plus difficile. Ce qui compte, c'est le style de votre défaite.
- Je ne prendrais une maison à la campagne pour rien au monde. Ici, je me sens chez moi. Même la curiosité des voisins, elle me va. Je me sens en sécurité. Tout est triste ailleurs. La ville a beaucoup changé autour. Avant, ici, c'était des champs de laitues, c'est pour ça qu'on a construit un village vertical : c'était la ville dans la ville. On était en parfaite autonomie. Quel rêve de plus pour un individu? Je suis sûr que vous ressentez ça.
En bas, c'est la mer. De tous les côtés, c'est la mer. Quelle profondeur, cette mer ? Insondable. Où va-t-elle ? Personne ne le sait. Qui vit dedans ? La question serait plutôt "quoi".
La nature, quand on n'a pas l'habitude, c'est l'horreur. Le terrain peut être spongieux ou, au contraire, rocailleux, tord-cheville ou casse-patte, il a souvent la mauvaise habitude de grimper ou de descendre en pente bien raide, c'est crevant, il pleut, belle saison ou pas, fringues et matos étanches ou pas, et puis c'est très surfait, la nature.
La forêt ? On ne voit pas à 30 mètres, il y a au sol un tapis de feuilles mortes ou d'aiguilles, on s'enfonce, on trébuche, putain de racines aussi, les cours d'eau à traverser en slip avec tout le barda sur le dos au risque de s'étaler, on se paume facilement parce que le GPS, niet, trop de risques de se faire repérer, pas un risque d'ailleurs, une certitude, toujours la probabilité de tomber sur un animal pas méchant en lui-même mais qui pourrait vous piétiner dans un moment de panique. Amusant de penser que les promenades dans les bois aient pu, jadis, avoir été pensées comme une régénération. Connards d'arbres et saloperie de romantisme ; putain d'Allemands.
Malgré ses songeries, elle était sur le seuil
D’une vie fastidieuse – un mariage insipide,
Des gosses, la boutique et, enfin, le cercueil.
Elle avait beau rêver d’errances intrépides,
De flamboyants destins…ça ne changerait rien.
Ne lui serait échu qu’un quotidien torpide,
Pire au fond que celui d’un Pargien galérien !
Ylia, ces matins-là, toute allégresse enfuie,
Sentait se contracter autour d’elle des liens.
(Ylia de Hlanith - Timothée Rey)
Venus de la côte ionienne, les Phocéens avaient débarqué derrière le massif de Marseilleveyre sous le commandement de leurs deux chefs, Protis et Samos. Ils avaient rencontré la tribu des Segobriges - tribu dite "celto-ligure" - et Protis avait épousé Gyptis, la fille du roi Nannus. Parce que c'était son droit, Gyptis avait choisi Protis parmi ses nombreux prétendants, et papa Nannus leur avait légué la calanque du Lacydon, l'actuel Vieux-Port. Les Phocéens avaient fondé leur colonie sur la rive nord de la calanque - l'actuel Panier - et vécu en paix, jusqu'à ce que Nannus meure et que ses fils déclarent la guerre aux Grecs pour récupérer la dot.
Nous nous réaliserons dans nos créatures, dans la matière vivante de notre imaginaire. C'est le rêve que nous opposerons à leur désert.
Sans rêves et sans réalité
Aux images nous sommes condamnés
Les rares éléments dont nous disposons pour décrire le Dédale proviennent donc des légendes échangées entre caravaniers autour des feux nocturnes. Elles racontent que la terre y est marquée d’immenses balafres au fond desquelles se tapissent des rêves oubliés et de plateaux inaccessibles où dansent des créatures amnésiques. Rien qui puisse être d’une quelconque utilité pour guider une caravane !
(Le Tabularium - Laurent Poujois)