La Suisse, 1987. Hans Detlef Sierck se meurt sur son lit d’hôpital. Après avoir traversé les affres du vingtième siècle, connu les traumatismes de l’exil, de la trahison, la cruauté de la séparation, après avoir aimé la jeune et tendre Hildegarde, après avoir vécu une grande passion pour le cinématographe, Detlef est devenu une légende du cinéma. C’est un déferlement d’hommages.
Rainer Werner FASSBINDER, le chien fou de la nouvelle vague allemande dira du Maître « Il a fait les films les plus tendres, les films qui aimaient les gens et qui ne les méprisaient pas comme nous le faisons ».
Libération lui consacre trois pages entières et écrit « qu’il avait un souci de peintre, un désir fou de faire fresque, un amour forcené de la matière et des lumières ».
Le monde du cinéma est en deuil, c’est le Septième Art qui perd l’un de ses plus fidèles représentants, un de ceux qui ont contribué à sa renommée !
Denis Rossano, l’auteur de cette biographie romancée, est français d’origine allemande, journaliste de cinéma. Je l’ai déjà rencontré avec « Vie et mort de Joachim Gottschlak ». Dans « Un père sans enfant », il est à la fois l’auteur et le narrateur. Denis se raconte et il nous raconte une histoire, celle qui découle de toutes ses recherches, de toutes les interviews conservées et archivées à la cinémathèque en Suisse «le fonds Douglas Sirk ».
Ne vous y trompez pas, il n’a jamais rencontré le Maître et pourtant, la supercherie fonctionne très bien, on y croit.
En 1981, Denis est étudiant, il a étudié l’histoire du cinéma allemand pendant quatre ans. Il a choisi, comme sujet de maîtrise, le cinéma germanique sous le 3ème Reich. Sa directrice de thèse, très intriguée par son choix, lui pose des questions sur ses motivations. Elle entend la fascination qu’exerce sur Denis, Douglas Sirk. Elle lui offre « Sirk on Sirk »de l’Américain Jon Halliday et c’est aussi, elle, qui va lui faire découvrir l’existence de Klaus et du drame vécu par Douglas Sirk qui n’est autre que Hans Detlef Sierck, né le 26 avril 1897 à Hambourg.
Lorsque la flamme est attisée, le feu intérieur crépite. Rencontrer ce réalisateur prestigieux devient une priorité pour Denis. Il trouve son numéro de téléphone, s’autorise un appel, et voit sa témérité récompensée. De longs et précieux séjours à Lugano vont permettre à Denis de faire connaissance avec le Maître. Enregistrements, photographies, confidences, l’intimité de Detlef et de son épouse Hilde se dévoile aux yeux de Denis. Qu’est-il venu chercher lui demande Detlef, écrira-t-il un livre un jour ? Denis lui-même ne le sait pas.
En 1987, à l’annonce du décès de Detlef, bouleversé, Denis ressort toute la documentation accumulée sur lui : les écrits, les photographies, les cassettes où il prend plaisir à entendre la voix de Detlef. Tout lui revient en mémoire, il se laisse submerger par les réminiscences qui s’entremêlent, suscitent le retour des voix, des sons, des images.
Et ce sont tous ces souvenirs, ceux de Detlef, de Hilde, de lui-même qu’il dépose sous nos yeux de lecteur. Derrière l’illustre réalisateur, nous pourrions croire que cet homme a mené sa vie comme il l’entendait. Nous découvrons qu’au-delà de la réussite, l’homme a vécu le traumatisme de l’exil, qu’il cache au plus profond de lui une grande souffrance, que s’il a vécu une belle histoire d’amour, il a connu aussi les tourments du renoncement, tous les ingrédients d’un mélodrame réussi et pourtant si réel !
Denis cherche aussi à découvrir ce qu’est devenu cet enfant dont la photographie figure sur la couverture du livre. Klaus Detlef Sierck est né, en 1925, d’une première union de Detlef avec une actrice ratée, Lydia : une union qui sera de courte durée dans cette République de Weimar où l’Allemagne tente de renaître de ses cendres et où le jeune prodige Detlef est propulsé dans le monde du théâtre avec une rapidité rare !
Mais en trois années, le monde change et Lydia est sous influence. Dans cette atmosphère où le fanatisme pointe le bout de son nez, Lydia est attirée par le chant des sirènes du national socialisme. C’est alors que la tendre et la joyeuse Hilde entre dans la vie de Detlef ! Elle est juive et la haine de Lydia va faire le reste. Detlef reçoit une ordonnance avec interdiction de voir son fils.
Klaus a quatre ans lorsque l’injonction foudroie le père et le fils. Detlef ne pourra plus jamais voir son fils, il n’en parlera plus jamais, la blessure ne se refermera pas. La mutilation s’accompagnera d’un sentiment de culpabilité insurmontable lorsqu’il devra fuir vers les Etats-Unis ; Goebbels prenant les rennes de l’UFA dans la nuit de Noël 1937. Tout s’écroule pour le couple Sierck qui jusqu’à présent pouvait encore survivre grâce à la direction de l’UFA qui restait relativement épargnée par les nazis. Hilde et Detlef quittent leur domicile de Wansee en laissant tout derrière eux, leurs biens, objets de valeurs, mobiliers. Un abîme implacable vient accentuer la douleur de Detlef que ce dernier va murer dans un silence et qui fera de cet homme, le maître du mélodrame. L’ombre de Klaus se profilera dans tous les films de son père.
Qu’est devenu cet enfant ? Il est très beau, blond aux yeux bleus, le modèle idéal de l’enfant aryen. Poussé par sa mère, Klaus est un enfant manipulé, endoctriné par une Lydia fanatique. Très jeune, il sert la cause du national-socialisme par ses nombreuses apparitions dans des films de propagande qui vont le rendre célèbre. Mais subitement, il disparait des écrans. Effacé Klaus Detlef Sierck ! Et c’est ce qui fait l’essence même du récit. Denis a été particulièrement touché par la destinée de cet enfant. De l’histoire de ce père et de ce fils que la vie n’a pas épargnés, l’auteur nous entraîne dans l’intimité de Hans Detlef Sierck alias Douglas Sirck, avec l’espoir d’élucider le mystère qui entoure la destinée de Klaus.
Denis Rossano a choisi d’écrire un roman pétri de bienveillance, charnel, en imaginant ses entretiens avec Detlef Sierck. Il a tenu à rester au plus près de la réalité de la vie de Detlef devenu Douglas Sirck. Il a privilégié une écriture qui laisse passer les émotions intimes plutôt qu’une biographie. C’est vraiment réussi. La poésie affleure à chaque page, l’empathie active notre imaginaire, le récit vibre, on est au diapason, l’alchimie est telle que j’ai ressenti une présence tout au long de ma découverte de la vie de Detlef Sierck alias Douglas Sirck.
Denis Rossano nous offre un roman passionnant de ce réalisateur qui ouvre une porte sur le cinéma allemand des années trente en mettant en évidence toutes ses ambigüités; il fut en effet l’un des plus grands d’Hollywood, notamment avec Mirage de la Vie – Lana Turner, Juanita Moore et John Gavin - qui a connu tous les records du box office chez Universal,
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Rentrée littéraire septembre 2022 – Allary Editions
Tous mes remerciements aux Editions Allary et à Babelio pour ce livre captivant, reçu en masse critique.
Berlin, vingt-huit octobre deux mille, Aloïs Kirchner, 90 ans, reçoit Ilsa Selpin, une jeune journaliste qui prépare un article sur le grand acteur, Joachim Gottschalk, qui a été son meilleur ami depuis la fin des années 20 jusqu’au 6 novembre 1941.
Le 6 novembre 2000, une plaque commémorative doit être apposée au 2, Seebergsteig à Berlin qui fut le domicile de Joachim Gottschalk, Meta, son épouse et Michael, leur fils.
Aloïs a rencontré Joachim en mai 1926 au cours de théâtre de l’un des plus prestigieux professeurs de l’époque, Ferdinand Gregori. C’est là, en train de répéter, qu’il a entendu Joachim réciter Sophocle, cette phrase prémonitoire :
« L’homme que la cité a mis à sa tête, il faut lui obéir. Jusque dans les plus petits détails, que ce soit juste ou ….pas ».
Aloïs a seize ans, Joachim vingt-deux ans. Tous les deux rêvent de théâtre mais ce jour-là, c’est comme une évidence pour Aloïs, Joachim possède le talent, le magnétisme d’un très grand acteur, il ne déclame pas, il vit son personnage ! De cette première rencontre, une amitié indéfectible verra le jour. Au fil des années, des épreuves, des succès, des persécutions, par-delà la mort, rien ne pourra interrompre ce lien qui unit Aloïs et Joachim.
C’est en septembre 1928 que Joachim présente Meta Wolf à Aloïs. Elle est actrice et fait partie de la même troupe que Joachim. Très amoureux l’un de l’autre, ils se marient en 1930. Meta est juive allemande totalement assimilée et non pratiquante, c’est bien là son seul défaut au regard du NSDAP mais un défaut qui deviendra une véritable épée de Damoclès pour le couple. Ce péril va s’accentuer au fur et à mesure que les évènements en Allemagne s’aggravent. Les échauffourées ne cessent d’éclater un peu partout entre les communistes et le NSDAP. Hitler fait son premier discours autorisé à Berlin en novembre dans le stade du Sportpalast plein à craquer. Une nouvelle ligne est franchie et d’étape en étape, l’étau de la dictature se resserre sur le peuple allemand. Goebbels se voit nommé ministre, à la tête de la Reichskulturkammer, et Hans Hinkel est chargé de l’aryanisation de la culture cinématographique : un malade intelligent de la pire espèce.
Ce livre est passionnant, sa lecture est captivante malgré une atmosphère anxiogène communicative. Sa structure narrative, d’une grande précision historique, permet de ressentir la pression accablante de l’idéologie régnante pendant ces années en Allemagne. Le récit se construit année après année, évènement après évènement. L’Histoire de l’Allemagne s’entremêle avec l’histoire du couple Gottschalk et les tensions maintiennent en servitude le peuple allemand. Pénétrer ce monde de la culture, découvrir ces actrices et acteurs qui ont marqué leur temps dans des films à retentissement mondial, les révélant aussi au grand public, tout comme la présence de Max Reinhardt, grand metteur en scène de théâtre, rend ce récit palpitant.
La répression envers les homosexuels tels que Gustaf Grundgens qui deviendra le symbole des compromissions artistiques, les décès maquillés en suicide comme celui de Hans Otto, le couperet antisémite qui s’abat en 1933 sur le petit monde du théâtre, pour s’abattre ensuite sur le monde du 7ème Art, bannissant les juifs du monde du spectacle, toutes ces informations favorisent un exil important, une véritable hémorragie dans cet univers. Et pourtant, dans ce Berlin en pleine effervescence culturelle, la propagande fait son lavage de cerveau. Personne ne se soucie de la disparition ou de l’exil de tous ces comédiens ou metteurs en scène juifs ou/et opposants.
Malgré tout, Joachim continue d’espérer. Par moment la mélancolie le gagne, voit-il Meta devenir l’ombre d’elle-même ? Pense-t-il à son fils Michael ? Les menaces se font plus pressantes. Une nouvelle éventualité d’un tournage ou de répétition se fait jour, de nouveau il se sent invincible. La perspective de perdre tout ce qui fait son monde le tétanise malgré les conseils de ses amis comme Brigitte Horney qui l’incite à partir en Suisse avant que les frontières ne soient complètement fermées. Quels sont ces mécanismes qui le paralysent et lui interdisent toute prise de décision alors que pendant ce temps, la menace Hans Hinkel se fait plus présente.
Qu’est-ce qui pousse un homme à se condamner, accompagné de sa femme et de son fils, jusqu’au bout de l’inéluctable le 6 novembre 1941. La fatalité ? Un désir de mort ? Un état mental dévastateur ? Il faut se projeter dans cette Allemagne gangrénée par la « Bête » pour tenter de comprendre dans quelle déliquescence psychologique se trouvait ce peuple.
L’auteur Denis Rossano, est un auteur français d’origine allemande. Il réside à Los Angeles où il a été longtemps correspondant cinéma pour la presse française. Denis Rossano possède une culture cinématographique solide, ce qui transparaît dans ce récit particulièrement bien documenté. Il s’était déjà attaché à écrire un livre sur l’un des plus grands réalisateurs hollywoodiens, Douglas Sirk, de son vrai nom Hans Dietlef Sierck, que l’on retrouve dans le livre sur Joachim Gottschalk. Il parle très bien de la ville de Berlin, on se promène avec lui dans cette ville qui devait être très attirante avant qu’elle ne soit détruite. Nous pénétrons dans le milieu artistique qui n’était pas particulièrement favorable à la politique d’Hitler mais qui, petit à petit, deviendra asservit, chacun jouant sa propre partition selon ses intérêts pendant que d’autres tentent de résister. Ce livre m’a renvoyée à un autre livre très instructif et extrêmement poignant « Seul dans Berlin » de Hans Fallada.
L’auteur nous entraîne dans un récit immersif qui nous fait réaliser l’oppressante situation de l’Allemagne de ces années avec beaucoup d’habilité. J’ai dû arrêter ma lecture parfois tant la tension était maximum.
Denis Rossano parle de nous dans cette Allemagne des années 30. Il parle de vous, de moi. Il suscite une réflexion morale autour de nos comportements. Peut-on accepter l’inacceptable ? Jusqu’où pouvons-nous repousser nos limites du supportable devant tant de cruautés ? Comment expliquer nos comportements, cette manière de fermer les yeux pour préserver notre petit confort personnel ? Comment expliquer le déni d’une réalité pourtant vécue au quotidien ?
Je rapporte ici une pensée d’Aloïs : Qu’elle est cette léthargie qui nous enchaine à ce pays ? Le poids de nos compromissions, un attachement morbide à la terre de notre enfance ?
Durant tout le temps qu’aura duré le nazisme, on enregistre environ mille six cents suicides chez les juifs berlinois.
En 1947, la DEFA, le premier studio de cinéma allemand financé par les l’URSS, produira un film romancé sur Joachim et Meta : Mariage dans l’ombre. Ce sera le plus gros succès cinématographique germanique de l’après-guerre.
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Que je suis contente d'avoir lu « un père sans enfant » de Denis Bossano. C'est un ouvrage riche d'informations sur la vie de Douglas Sirk, metteur en scène de théâtre et réalisateur allemand. Bien sûr, je le connaissais de nom et peut-être aussi ai-je vu un ou deux de ses films, mais je ne m'étais jamais interrogée jusqu'à ce jour sur sa vie d'une part et d'autre part, de façon plus générale sur les réalisateurs allemands durant la période 1920 -1945.
C'est pourquoi, ce livre m'a apporté beaucoup, m'a ouvert les yeux sur la difficulté d'exercer un métier d'art dans cette période où tout était contrôlé et censuré. Ambiguïtés, culpabilité, honte, colère, font partie de la palette de sentiments par lesquels Douglas Sirk mais sans doute bien d'autres, sont passés.
Toutefois, Douglas Sirk se distingue des autres de par son histoire particulièrement cruelle puisqu'il a un enfant avec Lydia et très rapidement, lorsque l'enfant, Klaus a 4 ans, le couple se déchire et Lydia l'empêchera de voir leur fils. Non seulement il sera donc privé de voir grandir son fils mais aussi il le saura sous l'emprise de sa mère qui va lui inculquer les valeurs du nazisme en vigueur.
Cette douleur, ce manque marqueront toute la vie de Douglas Sirk ainsi que son oeuvre cinématographique.
C'est un livre poignant et comme je l'ai déjà dit riche d'enseignements. Les multiples références à d'autres réalisateurs et acteurs connus ne sont pas fastidieuses, bien au contraire.
Un grand merci à Babelio et aux éditions allary de m'avoir permis de lire ce livre d'une grande qualité.
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Un père sans enfant , c’est l’histoire du réalisateur Douglas Sirk , de son vrai nom Hans Detlef Sierck , réalisateur qui lancera la carrière de Rock Hudson dans les années 50 , l’âge d’or du cinéma hollywoodien .
La vie même de Douglas Sirk est digne d’un film , il est d’origine danoise , ses parents s’installent en Allemagne lorsqu’il est enfant .
Des années plus tard , il se marie à une actrice , a un fils , jusque là l’histoire est banale .
Des années de bonheur tout simple , celles qui ne se racontent pas .
Mais nous sommes dans les années 30 en Allemagne et que celui qui est toujours Hans Detlef Sierck tombe amoureux d’une actrice mais détail très important celle - ci est juive .
Pour se venger l’épouse bafouée qui adhère aux nouvelles idées du régime , empêchera le réalisateur de voir leur fils , elle l’élèvera seule , elle obtiendra sans problème la garde exclusive car être marié à une juive commence à être très mal vu par le régime en place .
Quelques années plus tard , Hans Detlef Sierck , choisira de partir pour les États Unis avec sa seconde épouse juive .
Il deviendra Douglas Sirk , deviendra célèbre mais gardera toute sa vie une culpabilité terrible pour ce choix auquel personne ne devrait être confronté .
Ce roman c’est aussi une quête , celle de l’auteur qui rencontrera le célèbre réalisateur à la fin de sa vie , qui osera évoquer le fils perdu , disparu sur le front russe , le fils qui fera partie comme des milliers d’adolescents allemands des jeunesses hitlériénnes , qui jouera dans des films de propagande , représentant parfait du jeune aryen blond aux yeux bleus comme son père .
C’est un livre délicat , sensible , très bien écrit , qui nous fait réfléchir sur cette époque troublée sans jamais porter de jugement .
Après cette lecture , j’ai eu envie d’en savoir plus sur Douglas Sirk , de voir ses films , une très très belle découverte cette lecture .
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Convoquons les fantômes du passé...
Douglas Sirk d'abord. Ou plutôt Detlef Sierck. Si le premier nom évoque l'âge d'or d'Hollywood, le deuxième est inconnu. C'est pourtant le même homme. Metteur en scène allemand de grand talent, il voit une vague brune engloutir son pays. Les premières humiliations, les premières craintes, vont le pousser vers le cinéma, où subsiste dans les années 30 un peu de liberté. Juste un peu. Hilde, son épouse juive, elle, ne peut plus espérer apparaître sur scène. Elle devra vivre dans l'ombre pour espérer survivre.
Klaus, est le fils de Detlef et de Lydia, sa première épouse. Klaus irradie, un enfant blond, lumineux, qui ne peut que crever l'écran dans cette société qui mise beaucoup sur les apparences. Klaus est l'archétype de l'enfant aryen, il devient la star du cinéma nazi.
Le narrateur, Denis, étudiant en cinéma, va passer de longues heures avec Detlef devenu Douglas. Pour parler de cinéma, de cette vie si romanesque. De Klaus, oublié, disparu.
Cette biographie romancée est d'une grande force et d'une grande délicatesse. Elle traite de sujets passionnants avec érudition mais sans être pesante. J'ai aimé lire ces pages sur les années 30, le cinéma allemand, les influences de Douglas Sirk. J'ai aimé que l'auteur me suggère avec finesse de voir les films de Sirk, de me plonger dans son oeuvres. J'ai aimé ces heures passées à Lugano, auprès de ce duo qui est en fait un trio.
Le fantôme de Klaus est présent à chaque page. Evanescent, il impose pourtant sa présence. Son père ne pourra jamais se consoler de cet abandon forcé. Et l'auteur lui-même lui donne une place particulière dans son histoire personnelle.
Un roman émouvant et élégant, à l'image de son auteur. Et l'envie de partir à la recherche de Klaus dans les films de Detlef.
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"Quand le rideau un jour tombera, je veux qu'il tombe derrière moi."
Vie et mort de Joachim Gottschalk c'est le parcours d'un homme qui partira au sommet de sa carrière parce qu'on ne lui laisse pas le choix. Joachim est comédien. De ceux qui ont ça dans le sang. Un talent pur. Mais Joachim aime Méta. Il l'épouse. Bientôt, Michael voit le jour. Quel est le problème ? Méta est juive, son fils aussi et l'Allemagne nazie.
Par touches insidieuses, son quotidien change. Méta ne peut plus monter sur scène, il ne peut plus paraître avec elle en société, sa place au théâtre est incertaine, il lui faut des passeports pour tel rôle ou un autre. Tout devient compromission. Il devrait partir. Tout le monde dit qu'il devrait partir. Il reste. Parce qu'il ne veut pas voir l'effondrement. Parce qu'il ne peut pas croire à tout ça. Il reste et il joue. Jusqu'au bout. Sous les applaudissements d'un peuple et de rois ayant besoin de divertissements.
Dans ce livre, c'est Alois qui nous raconte l'histoire de Joachim. Un narrateur interviewé bien des années plus tard. C'est un procédé que Denis Rossano avait déjà utilisé dans son précédent roman. C'est efficace, ça permet de poser les personnages. Pour autant, Alois manque de corps. Trop souvent le spectateur posé là pour être nos yeux et nos oreilles. Et je n'ai pas retrouvé l'émotion d'Un père sans enfant.
A l'inverse, je trouve que la partie historique est plus présente et j'ai aimé decouvrir le Berlin des années 30, la montée fulgurante du fascisme et l'inertie de ce milieu culturel qui ne voit rien venir. Ne veut rien voir venir malgré les départs précipités pour l'étranger et les suicides organisés. Et puis, évidemment, j'ai aimé ce monde du théâtre. La scène qui compte plus que tout parce qu'elle est le feu qui fait tenir.
Et puis, je dois mentionner les chapitres de 1941 en fil rouge. La beauté de ces chapitres tellement cinématographiques. Un film noir. Une nuit à Berlin et Joachim qui marche dans la rue sous une pluie battante. A eux seuls, ces moments de l'histoire disent tout de cette vie. On y lit Schiller et les mots de ceux qui se savent condamnés. On y lit toute la tragédie. Le dernier acte.
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Ma sixième lecture de l'année est incontestablement un roman qui fera partie, ni plus, ni moins, de mes meilleures lectures 2020 (et pourtant ceux qui me connaissent savent à quel point je m'emballe rarement!).
L'auteur met en scène un étudiant en cinéma qui prépare son mémoire de maîtrise sur Douglas Sirk, nous sommes en 1981 et par l'entremise de sa professeure, Denis se rend en Suisse où le réalisateur s'est retiré avec sa seconde épouse Hilde. En vérité le jeune homme aimerait en apprendre plus et faire parler l'artiste de son fils Klaus: né d'un premier lit, il traverse subrepticement toute l'oeuvre cinématographique de son père.
Le style est simple et on comprend que l'auteur ait préféré la fiction à la biographie pure.
On va découvrir le parcours de celui qui en réalité se prénomme Hans Detlef Sierck de là naissance de son fils en 1925, jusqu'à sa mort en 1987: le régime de Weimar, la monté du nazisme du côté du théâtre et du cinéma allemand, l'exil.
Denis Rossano ménage au sein de sa construction de véritables rebondissements, mélangeant réalité factuelle et hypothèses restées sans réponses; le tout au service de l'émotion!
C'est tout simplement passionnant, et on regrette de ne pas pouvoir rester plus longtemps au sein de ce récit véritablement poignant.
Fort heureusement, les références sont riches et il reste toujours la possibilité de découvrir les films de Sirk (Le Temps d'aimer et le Temps de mourir).
Je ne saurais que trop vous conseiller d'acheter et de lire ce roman au catalogue des éditions Allary.
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Un livre que j'ai lu d'une traite, et dans lequel je me suis laissée entraîner de suite. On y ressent l'atmosphère toute particulière de peur et d'effroi qui monte pour les juifs dont la traque reste incessante.
J'ai vécu au rythme de ces tension l'histoire de ce cinéaste qui perd le contact avec son fils, qui sera élevé par sa mère comme un jeune hitlérien.
Une histoire magnifique d'un amour paternel pour son fils, qui aura toujours imprégné ses décisions.... Une écriture précise, fluide et bien documentée. Je le conseille grandement.
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roman qui témoigne des difficultés rencontrées dans le milieu artistique des années 20 aux années de guerre, des compromis, des brimades, des menaces et bien plus encore. comment rester soi-même sans se renier dans un monde politique et tyrannique en pleine formation jusqu'à l'apogée que tout le monde connaît.? comment protéger ses proches, gagner sa vie et ne rien céder?
très bien écrit, instructif, le nazisme vu sous l'angle de la propagande, et qui explique la mise en place d'un régime qui aurait dû disparaître dès sa création.
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Mirage de la vie
Quand le poids de l'Histoire hante éternellement la vie d'un homme, son histoire devient sous la plume sensible de Denis Rossano un magnifique roman, profondément émouvant, œuvre de fiction largement traversée par la réalité d'une époque passée.
Detlef Sierck est ce Père sans enfant, ce père qui malgré lui devra à tout jamais vivre loin de son fils, Klaus, car l'Histoire ne lui en laisse pas le choix. Klaus ce fils qu'il aime tant est aussi le fils de la honte, érigé par sa mère comme le parfait petit aryen au service du régime nazi mais fantôme éternel pour son père à qui il a été arraché.
Detlef résistera jusqu'en 1938 aux sirènes du départ de l'Allemagne. Partir c'est renoncer, c'est perdre son titre de grand réalisateur allemand, c'est perdre son pays et c'est surtout perdre son fils. Partir c'est être arraché à ce qu'il est, à sa chair, à ses sens, au pays qui faisait battre son cœur de père.
Mais Hilde est sa femme, elle est juive, elle est l'amour incarné. Alors Detlef n'aura d'autres choix que de baisser les armes, se résigner pour toujours et voir grandir cette déchirure déjà immense en lui.
Dès lors le poids de la culpabilité le précipite dans le silence, l'Allemagne, sa patrie, devient sa douleur, celle qui l'a détruit trop souvent.
Detlef Sierck devient aux Etats Unis Douglas Sirk, immense réalisateur spécialiste du mélodrame hollywoodien. Il ne parlera quasiment plus de Klaus- douleur puissante, omniprésente, irradiant son âme et son cœur de père, un cœur perclus d'un chagrin à jamais inconsolable et inavouable.
Alors le cinéma devient son refuge- lieu d'expiation, d'expression d'une mélancolie profonde, de son "désenchantement". Le cinéma cathartique pour survivre, combler le vide, faire vivre cet enfant qu'on lui a enlevé. "Le film comme acte d'amour", comme un cri sourd d'un père envahi par la douleur.
Denis Rossano cherche dans son roman à ramener à la vie Klaus, cet enfant star du cinéma allemand sacrifié sur l'autel de la folie humaine, fils d'un immense réalisateur et aujourd'hui totalement oublié. Alors il interroge Detlef, car échanger avec lui c'est garder Klaus en vie, c'est exhumer cette mémoire enfouie et ne pas la laisser s'échapper dans les abysses de l'oubli.
Mais Detlef préserve son secret car se taire c'est éviter de dire la honte d'un enfant nazi, dire la honte de n'avoir pas su en tant que père le sauver; se taire c'est aussi pour Detlef garder Klaus à jamais en lui, pour lui, ce qu'il n'a jamais pu connaître dans la réalité.
Et comme une ironie du sort, Detlef finira sa vie aveugle, comme pour garder précieusement dans la nuit de son regard ce fils qu'il a trop peu admiré.
Un roman mêlant Histoire et cinéma ne pouvait que me plaire. Denis Rossano en plus d'être un érudit de littérature et de cinéma est un homme généreux, passionnant et partageant son expérience et les clés de son roman sans compter. Il parle d'ailleurs au quotidien du cinéma qu'il aime sur son compte IG. Allez y faire un tour et surtout n'hésitez pas à lire ce magnifique roman, Un père sans enfant. Un vrai coup de cœur et coup au cœur assuré!
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Ce récit à la 1° personne est la narration, mois par mois, année par année , de l'ascension irrépressible dans le contexte de l'Allemagne nazie d'un acteur allemand qui a réellement existé, Joachim Gottschalk. Ascension irrépressible si ce n'est que cet acteur charismatique, qui défend avec ferveur et sincérité les grands auteurs allemands, Schiller en tête, a le tort, aux yeux des dignitaires nazis, d'être marié à une jeune comédienne juive, dont il ne veut pas divorcer malgré les « conseils amicaux » qui lui sont dispensés. Jooachim Gottschalk ira jusqu'au bout de ses engagements et restera fidèles à son amour jusque dans la mort.
Cette fin est mentionnée et donc connue depuis le début du récit, celui-ci étant construit sur un long retour en arrière. Cela donne à ce récit une dimension tragique , le récit se déroulant selon une implacable fatalité. On ne peut qu'éprouver « terreur et pitié » devant ce destin si représentatif de son époque.
D'autre part, cette biographie romancée est extrèmement documentée, et nous entraîne de façon très crédible dans les coulisses des théâtres de Leipzig, de Francfort, de Berlin ; elle nous entraîne également dans les studios de Babelsberg, fer de lance de la propagande nazie, sous l'égide de Goering, et qui paradoxalement, vont pouvoir constituer un refuge pour certaines « brebis galeuses ». Car, c'est un des grands intérêts de ce récit, de montrer que l'art de la compromission était monnaie courante, que face à l'adversité, l'humain est capable de beaucoup de « souplesse » et de petits arrangements. L'idéalisme de Joachim Gottschalk n'en paraît que plus extraordinaire. Il est appréciable que sa mémoire ait ainsi été honorée par ce récit de bonne facture. ( Merci à Babélio et aux éditions Allary de m'avoir permis de lire ce livre).
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Étrange livre que ce "Un père sans enfant" . Pas une fiction sans pour autant être vraiment une autobiographie ce récit raconte la vie d'un homme qui fut célèbre dans l'Allemagne nazie des années 30 et l'Amérique triomphante des années 50.La vie et surtout le drame de ce père séparé de son fils après un divorce douloureux et qui ne le reverra que par écran interposé celui-ci étant devenu un enfant star du cinéma sous le troisième reich.
Denis Rossano fait revivre le Berlin centre culturel d'avant-guerre , la montée du nazisme et de la propagande, l'exil d'Hans Detlef Sierck qui deviendra Douglas Sirk à Hollywood et ses grands studios tout en menant une véritable enquête pour retrouver Klaus le fils perdu dont peu de gens se souviennent .
Fourmillant d'informations sur l'histoire du cinéma allemand des années 30 , ce livre est une petite merveille de lecture ! Des chapitres courts et à un récit bien structuré font qu' il se dévore d'un bout à l'autre.
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parti sur une bonne idée, l’auteur s’obstine jusqu’à l’obsession à prouver qu’il est dans le vrai. Du coup, ça donne un livre qui tourne en rond bourré de répétition, souvent mal écrit, et qui épuise le lecteur… A éviter Sauf si vous avez du temps à perdre ! Dommage, car Douglas Sirk méritait mieux !
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