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EAN : 9782370732897
306 pages
Allary Editions (29/08/2019)
4.29/5   33 notes
Résumé :
Le père est un des plus grands cinéastes d'Hollywood. Le fils est un jeune premier du cinéma nazi. Le roman vrai de leur déchirure.Le père est Douglas Sirk, réalisateur en vogue dans les années 20 et 30 en Allemagne, contraint de fuir avec sa femme juive aux États-Unis, où il deviendra célèbre grâce à ses mélodrames. L'enfant est Klaus, le fils que Douglas a eu avec sa première femme. Convertie à l'idéologie du Troisième Reich, elle fera du garçon un enfant star d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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La Suisse, 1987. Hans Detlef Sierck se meurt sur son lit d'hôpital. Après avoir traversé les affres du vingtième siècle, connu les traumatismes de l'exil, de la trahison, la cruauté de la séparation, après avoir aimé la jeune et tendre Hildegarde, après avoir vécu une grande passion pour le cinématographe, Detlef est devenu une légende du cinéma. C'est un déferlement d'hommages.

Rainer Werner FASSBINDER, le chien fou de la nouvelle vague allemande dira du Maître « Il a fait les films les plus tendres, les films qui aimaient les gens et qui ne les méprisaient pas comme nous le faisons ».

Libération lui consacre trois pages entières et écrit « qu'il avait un souci de peintre, un désir fou de faire fresque, un amour forcené de la matière et des lumières ».

Le monde du cinéma est en deuil, c'est le Septième Art qui perd l'un de ses plus fidèles représentants, un de ceux qui ont contribué à sa renommée !

Denis Rossano, l'auteur de cette biographie romancée, est français d'origine allemande, journaliste de cinéma. Je l'ai déjà rencontré avec « Vie et mort de Joachim Gottschlak ». Dans « Un père sans enfant », il est à la fois l'auteur et le narrateur. Denis se raconte et il nous raconte une histoire, celle qui découle de toutes ses recherches, de toutes les interviews conservées et archivées à la cinémathèque en Suisse «le fonds Douglas Sirk ».

Ne vous y trompez pas, il n'a jamais rencontré le Maître et pourtant, la supercherie fonctionne très bien, on y croit.

En 1981, Denis est étudiant, il a étudié l'histoire du cinéma allemand pendant quatre ans. Il a choisi, comme sujet de maîtrise, le cinéma germanique sous le 3ème Reich. Sa directrice de thèse, très intriguée par son choix, lui pose des questions sur ses motivations. Elle entend la fascination qu'exerce sur Denis, Douglas Sirk. Elle lui offre « Sirk on Sirk »de l'Américain Jon Halliday et c'est aussi, elle, qui va lui faire découvrir l'existence de Klaus et du drame vécu par Douglas Sirk qui n'est autre que Hans Detlef Sierck, né le 26 avril 1897 à Hambourg.

Lorsque la flamme est attisée, le feu intérieur crépite. Rencontrer ce réalisateur prestigieux devient une priorité pour Denis. Il trouve son numéro de téléphone, s'autorise un appel, et voit sa témérité récompensée. de longs et précieux séjours à Lugano vont permettre à Denis de faire connaissance avec le Maître. Enregistrements, photographies, confidences, l'intimité de Detlef et de son épouse Hilde se dévoile aux yeux de Denis. Qu'est-il venu chercher lui demande Detlef, écrira-t-il un livre un jour ? Denis lui-même ne le sait pas.

En 1987, à l'annonce du décès de Detlef, bouleversé, Denis ressort toute la documentation accumulée sur lui : les écrits, les photographies, les cassettes où il prend plaisir à entendre la voix de Detlef. Tout lui revient en mémoire, il se laisse submerger par les réminiscences qui s'entremêlent, suscitent le retour des voix, des sons, des images.

Et ce sont tous ces souvenirs, ceux de Detlef, de Hilde, de lui-même qu'il dépose sous nos yeux de lecteur. Derrière l'illustre réalisateur, nous pourrions croire que cet homme a mené sa vie comme il l'entendait. Nous découvrons qu'au-delà de la réussite, l'homme a vécu le traumatisme de l'exil, qu'il cache au plus profond de lui une grande souffrance, que s'il a vécu une belle histoire d'amour, il a connu aussi les tourments du renoncement, tous les ingrédients d'un mélodrame réussi et pourtant si réel !

Denis cherche aussi à découvrir ce qu'est devenu cet enfant dont la photographie figure sur la couverture du livre. Klaus Detlef Sierck est né, en 1925, d'une première union de Detlef avec une actrice ratée, Lydia : une union qui sera de courte durée dans cette République de Weimar où l'Allemagne tente de renaître de ses cendres et où le jeune prodige Detlef est propulsé dans le monde du théâtre avec une rapidité rare !
Mais en trois années, le monde change et Lydia est sous influence. Dans cette atmosphère où le fanatisme pointe le bout de son nez, Lydia est attirée par le chant des sirènes du national socialisme. C'est alors que la tendre et la joyeuse Hilde entre dans la vie de Detlef ! Elle est juive et la haine de Lydia va faire le reste. Detlef reçoit une ordonnance avec interdiction de voir son fils.

Klaus a quatre ans lorsque l'injonction foudroie le père et le fils. Detlef ne pourra plus jamais voir son fils, il n'en parlera plus jamais, la blessure ne se refermera pas. La mutilation s'accompagnera d'un sentiment de culpabilité insurmontable lorsqu'il devra fuir vers les Etats-Unis ; Goebbels prenant les rennes de l'UFA dans la nuit de Noël 1937. Tout s'écroule pour le couple Sierck qui jusqu'à présent pouvait encore survivre grâce à la direction de l'UFA qui restait relativement épargnée par les nazis. Hilde et Detlef quittent leur domicile de Wansee en laissant tout derrière eux, leurs biens, objets de valeurs, mobiliers. Un abîme implacable vient accentuer la douleur de Detlef que ce dernier va murer dans un silence et qui fera de cet homme, le maître du mélodrame. L'ombre de Klaus se profilera dans tous les films de son père.

Qu'est devenu cet enfant ? Il est très beau, blond aux yeux bleus, le modèle idéal de l'enfant aryen. Poussé par sa mère, Klaus est un enfant manipulé, endoctriné par une Lydia fanatique. Très jeune, il sert la cause du national-socialisme par ses nombreuses apparitions dans des films de propagande qui vont le rendre célèbre. Mais subitement, il disparait des écrans. Effacé Klaus Detlef Sierck ! Et c'est ce qui fait l'essence même du récit. Denis a été particulièrement touché par la destinée de cet enfant. de l'histoire de ce père et de ce fils que la vie n'a pas épargnés, l'auteur nous entraîne dans l'intimité de Hans Detlef Sierck alias Douglas Sirck, avec l'espoir d'élucider le mystère qui entoure la destinée de Klaus.

Denis Rossano a choisi d'écrire un roman pétri de bienveillance, charnel, en imaginant ses entretiens avec Detlef Sierck. Il a tenu à rester au plus près de la réalité de la vie de Detlef devenu Douglas Sirck. Il a privilégié une écriture qui laisse passer les émotions intimes plutôt qu'une biographie. C'est vraiment réussi. La poésie affleure à chaque page, l'empathie active notre imaginaire, le récit vibre, on est au diapason, l'alchimie est telle que j'ai ressenti une présence tout au long de ma découverte de la vie de Detlef Sierck alias Douglas Sirck.

Denis Rossano nous offre un roman passionnant de ce réalisateur qui ouvre une porte sur le cinéma allemand des années trente en mettant en évidence toutes ses ambigüités; il fut en effet l'un des plus grands d'Hollywood, notamment avec Mirage de la Vie – Lana Turner, Juanita Moore et John Gavin - qui a connu tous les records du box office chez Universal,



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Que je suis contente d'avoir lu « un père sans enfant » de Denis Bossano. C'est un ouvrage riche d'informations sur la vie de Douglas Sirk, metteur en scène de théâtre et réalisateur allemand. Bien sûr, je le connaissais de nom et peut-être aussi ai-je vu un ou deux de ses films, mais je ne m'étais jamais interrogée jusqu'à ce jour sur sa vie d'une part et d'autre part, de façon plus générale sur les réalisateurs allemands durant la période 1920 -1945.
C'est pourquoi, ce livre m'a apporté beaucoup, m'a ouvert les yeux sur la difficulté d'exercer un métier d'art dans cette période où tout était contrôlé et censuré. Ambiguïtés, culpabilité, honte, colère, font partie de la palette de sentiments par lesquels Douglas Sirk mais sans doute bien d'autres, sont passés.
Toutefois, Douglas Sirk se distingue des autres de par son histoire particulièrement cruelle puisqu'il a un enfant avec Lydia et très rapidement, lorsque l'enfant, Klaus a 4 ans, le couple se déchire et Lydia l'empêchera de voir leur fils. Non seulement il sera donc privé de voir grandir son fils mais aussi il le saura sous l'emprise de sa mère qui va lui inculquer les valeurs du nazisme en vigueur.
Cette douleur, ce manque marqueront toute la vie de Douglas Sirk ainsi que son oeuvre cinématographique.
C'est un livre poignant et comme je l'ai déjà dit riche d'enseignements. Les multiples références à d'autres réalisateurs et acteurs connus ne sont pas fastidieuses, bien au contraire.
Un grand merci à Babelio et aux éditions allary de m'avoir permis de lire ce livre d'une grande qualité.

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Un père sans enfant , c'est l'histoire du réalisateur Douglas Sirk , de son vrai nom Hans Detlef Sierck , réalisateur qui lancera la carrière de Rock Hudson dans les années 50 , l'âge d'or du cinéma hollywoodien .
La vie même de Douglas Sirk est digne d'un film , il est d'origine danoise , ses parents s'installent en Allemagne lorsqu'il est enfant .
Des années plus tard , il se marie à une actrice , a un fils , jusque là l'histoire est banale .
Des années de bonheur tout simple , celles qui ne se racontent pas .
Mais nous sommes dans les années 30 en Allemagne et que celui qui est toujours Hans Detlef Sierck tombe amoureux d'une actrice mais détail très important celle - ci est juive .
Pour se venger l'épouse bafouée qui adhère aux nouvelles idées du régime , empêchera le réalisateur de voir leur fils , elle l'élèvera seule , elle obtiendra sans problème la garde exclusive car être marié à une juive commence à être très mal vu par le régime en place .
Quelques années plus tard , Hans Detlef Sierck , choisira de partir pour les États Unis avec sa seconde épouse juive .
Il deviendra Douglas Sirk , deviendra célèbre mais gardera toute sa vie une culpabilité terrible pour ce choix auquel personne ne devrait être confronté .
Ce roman c'est aussi une quête , celle de l'auteur qui rencontrera le célèbre réalisateur à la fin de sa vie , qui osera évoquer le fils perdu , disparu sur le front russe , le fils qui fera partie comme des milliers d'adolescents allemands des jeunesses hitlériénnes , qui jouera dans des films de propagande , représentant parfait du jeune aryen blond aux yeux bleus comme son père .
C'est un livre délicat , sensible , très bien écrit , qui nous fait réfléchir sur cette époque troublée sans jamais porter de jugement .
Après cette lecture , j'ai eu envie d'en savoir plus sur Douglas Sirk , de voir ses films , une très très belle découverte cette lecture .

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Petit préambule. Douglas Sirk a eu une carrière fulgurante dans Hollywood de l'après-guerre. Jusqu'en 1959 il réalisa une quinzaine de films, tous remarquables. Il fit de Rock Hudson une star et donna au mélodrame ses lettres de noblesse. Des mélo aux scénarios délirants qu'il magnifiait par une mise en scène élégante, un cadrage parfait et un travail chromatique flamboyant.

Jamais ironique, toujours empathique avec ses personnages, son cinéma était populaire et sincèrement humaniste. Pas étonnant que Fassbinder, Almodovar, Haynes ou Ozon se réclament de son travail. Un cinéphile digne de ce nom se doit d'avoir vu « le temps d'aimer et le temps de mourir » et « le mirage de la vie ».

Mais Douglas Sirk, né Detlef Sierck en 1897 à Hambourg, a eu deux vies. Dans les années trente il est un intellectuel en vue de la République de Weimar. Metteur en scène de théâtre très célèbre, il se lance dans le cinéma au moment où Hitler prend le pouvoir.

Réalisateur à succès mais marié en deuxième noce à une actrice juive, il devra s'enfuir aux Etats-Unis en 1937 laissant derrière lui le fils d'un premier mariage. Klaus né en 1925, élevé par une mère furieusement nazie, deviendra un enfant star, parfait jeune aryen blond, dans les films de la UFA, la société de production la plus importante d'Allemagne dirigée par Goebbels. Klaus Detlef Sierck, fils de Douglas Sirk, mort à dix-neuf ans sur le front de l'Est, symbole sacrifié du cinéma du troisième Reich.

Quel roman historique formidable ! Un mélodrame déchirant comme toute l'oeuvre de Douglas Sirk. Denis Rossano, après un énorme travail de recherche, nous plonge dans l'Europe en feu des années trente. Un récit historique romancé, mais une enquète historique où tout est vrai, dont la construction et la mise en scène rendent la lecture passionnante.

Une image forte s'imprime alors, un père regardant son fils sur un écran de cinéma, seule « image mémoire » d'un fils qu'il n'a pas vu depuis des années et qu'il ne reverra jamais.

Si vous êtes cinéphile cette lecture est indispensable, et si vous n'entendez rien au cinéma mais qu'un jour vous avez été un enfant elle le sera tout autant.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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3 mauvaises raisons pour ne pas lire l'excellent ouvrage de Denis Rossano, petit bijou de délicatesse, de romanesque et d'émotion.

Ce n'est ni un roman, ni une biographie, ni un livre de souvenirs.

Exact, ce sont les trois à la fois. de sa passion étudiante pour le cinéma allemand, de sa rencontre avec Douglas Sirk, metteur en scène devenu mythique depuis que Jean Luc Godard a déclaré à l'aube des années 60 aimer son cinéma et de son questionnement quant à la vie du fils du réalisateur, Klaus, l'enfant qu'il lui fut interdit de revoir après son divorce d'avec sa première femme, Denis Rossano construit un récit d'une incroyable richesse aussi bien documentaire que romanesque. Sa connaissance du cinéma allemand, surtout celui des années 30/40 ( comprenant donc la période nazie, rarement évoquée) se mêle sans problème aux récits de ses rencontres réelles dans les années 80 avec un Douglas Sirk, vieillissant, à demi-aveugle et finissant sa vie en Suisse avec comme fil conducteur le destin de ce fils élevé sans son père qui deviendra, l'enfant star du cinéma sous le Troisième Reich. Tout devient passionnant sous la plume de cet auteur qui cultive avec bonheur une certaine nostalgie comme une connaissance parfaite d'une époque que beaucoup ont voulu oublier.

Douglas Sirk ? C'est qui ?

Certes "Mirage de la vie " ou "Le temps d'aimer et le temps de mourir " mélodrames somptueux n'évoquent plus grand chose à grand monde aujourd'hui, hormis quelques cinéphiles pointus. Pourtant, les oeuvres de Douglas Sirk continuent à inspirer quelques cinéastes actuels ( Ozon en France et encore plus Todd Haynes aux USA). Ce roman permet donc de faire la connaissance avec ce créateur et de comprendre ( sans avoir vu ses films) combien un drame personnel peut irriguer toute une carrière et donne évidemment envie de découvrir sa production, qui a su porter le grand mélodrame dans des zones jamais atteintes. Sans jamais être ennuyeux ( bien au contraire), avec un sens du partage bluffant, Denis Rossano nous fait sillonner au travers d'un destin singulier comme dans l'enfer d'une terrible époque allemande, celle qui avait comme ministre de la propagande un certain Joseph Goebbels...( et qui donc dirigeait les énormes studios de cinéma allemand ). Douglas Sirk, dont la vie possède quelques zones un peu grises, en fut une de ses vedettes, et doublement victime. Parti un peu tard au Etats-Unis, il traîna longtemps sur son compte un certain doute quant à ses accointances avec le régime nazi.

Encore un roman qui ne s'adresse qu'aux passionnés de cinéma !

Pas du tout, parce que le thème principal, reste quand même cette histoire de ce fils qu'il ne put jamais revoir, thème franchement romanesque qui tient le lecteur en haleine jusqu'au bout. Au premier degré, cela se lit avec délice et curiosité. Mais le mélange des trois genres permet d'autres lectures, comme d'autres miroirs posés çà et là ( à l'instar de ceux qui ornent tous les films de Douglas Sirk), d'autres fenêtres ( très importantes aussi dans l'univers cinématographique du maître du mélo) qui ouvrent sur d'autres émotions ou réflexions, historiques ou psychologiques. le livre va crescendo dans l'émotion, même lorsque l'auteur évoque ses promenades avec le réalisateur qui gardait une lucidité exceptionnelle et qui lui dit lors de sa dernière rencontre : " ... je le sais : c'est un livre que vous allez écrire. Je ne suis pas certain que cela m'enchante, mais peu importe, c'est à un livre que toutes nos conversations vont vous mener . A un roman.[ ... ] Et je vous le dis aussi, votre livre sera un songe. Un songe de ce qu'a pu être ma vie, et de ce qu'a pu être la vie de mon fils, mais pas une fidèle représentation de nos destinées." C'était au début des années 80 et presque 40 ans plus tard, le livre est là, roman de deux vies, deux drôles de vies, qui a le mérite de faire revivre le temps d'un récit, deux hommes autant broyés par le régime nazi que magnifiés par des songes de pellicule et par les mots justes et émouvants d'un auteur vraiment inspiré.
Lien : http://sansconnivence.blogsp..
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critiques presse (1)
Bibliobs
01 octobre 2019
Avec infiniment de délicatesse, Denis Rossano rembobine le fil de cette vie fantomatique, et comble les trous avec quelques touches de fiction. On tourne les pages avec fièvre, tant cette histoire est incroyable, vrai mélo, ce genre magnifié par Sirk – et par le destin.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
1949 - Les Américains, qui ont bien compris la formidable puissance du cinéma de Goebbels, ont démantelé la UFA : une erreur selon Detlef.

Quatre ans après la fin de la guerre, alors que le pays se remet lentement à produire des films - il y en a 62 en 1949 - Detlef fait face à un choc auquel il ne s'attendait pas : les maîtres d'œuvre du cinéma hitlérien, les réalisateurs qui ont servilement accepté de se soumettre à Goebbels, sont toujours là. Ce sont eux qui font le cinéma de la nouvelle Allemagne. Après une période dite de dénazification, ils reprennent du service comme si de rien n'était. Detlef aurait voulu que les structures de la UFA soient conservées mais pas que les valets du nazisme soient aux commandes. Maintenant, ils règnent à nouveau et ils construisent un cinéma d'après-guerre qui va instaurer une nouvelle amnésie collective. Certains se sont-ils repentis ? Detlef en doute. Ils se reconvertissent habilement, c'est tout.

Tous ceux qui ont été les visages du cinéma sous Hitler, quand ils ne sont pas décédés, parviennent à revenir sur les écrans. Magda Schneider est de ceux-là. Le grand retour de Zarah Leander est annoncé. Kristina Söderbaum va bientôt tourner son nouveau film - sous la direction de son mari, (Veit Harlan poursuivi pour le Juif Süss) naturellement. L'industrie a été réduite à zéro et pourtant, c'est la continuité qui caractérise sa renaissance et non la rupture nécessaire.
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- Echanges entre Zarah Leander et Detlef sur le tournage du film "La Habanera"

- Il est bien Ferdinand, dit-elle en s'exécutant. Elle parle de son partenaire dans le film. Et elle ajoute, amusée : Tu as l'œil pour découvrir des acteurs et leur offrir le rôle idéal pour les lancer. Il va faire du chemin grâce à toi.

Detlef sourit.
- C'est un excellent acteur et un type sympathique. Je l'ai vu jouer au théâtre, son talent est considérable, et il a quelque chose de magnétique. Une présence. Toi et lui ensemble, devant la caméra ... Je ne sais pas si tu t'en rends compte mais il y a cette alchimie qui passe, cette chose envoûtante que seule la caméra sait capturer.

L'Autrichien Ferdinand Marian, encore peu connu du grand public, obtient, en cette année 1937, ses premiers grands rôles au cinéma. Dans quelques jours, le public va le voir dans "Madame Bovary" : il y joue l'amant inconsistant par qui le désastre arrive. Mais c'est "La Habanera" qui va l'imposer comme un séducteur dangereux, à la fois attirant et néfaste, irrésistible et cruel.
En 1940, il incarne le rôle titre du plus fameux film antisémite du siècle "Le Juif Süss".
Il ne veut pas du rôle, mais Goebbels fait pression. Il prend peur. Son cachet est augmenté. Il finit par accepter. Il le prévoyait : son image en est à jamais entachée ; elle l'est encore aujourd'hui, longtemps après sa mort, en 1946. Un accident de voiture qui est peut-être un suicide, personne ne le sait. Tous les choix ont des conséquences et Marian ne l'ignorait pas. Il est l'un de ceux qu'on ne peut trop vite condamner : il va cacher chez lui le premier mari de sa femme, un fameux metteur en scène de théâtre, juif. Lui-même a été l'époux d'une pianiste juive avec qui il a eu une fille. Toutes deux étaient réfugiées à l'étranger.
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Un lac dans les montagnes de Bavière

Des cygnes. Des cygnes venus se poser le soir et qui se sont endormis avant que les glaces ne les pétrifient.

Le petit garçon lâche une exclamation qui pourrait être de l'émerveillement ou de la stupeur ou les deux à la fois. Les grands oiseaux ont été transformés en sculptures féeriques. Des statues, façonnées par la neige et le froid, par le vent et la nuit. Ils sont six.

- Ce sont les six princes transformés en cygnes par leur méchante belle-mère, explique le père. Il évoque l'un des récits favoris de Klaus, un conte des frères Grimm qu'il lui raconte certains soirs.

L'enfant le regarde un instant, il hésite, il ne sait pas s'il doit être triste.
- Ils dorment, rajoute le père. Tout à l'heure quand nous serons partis, ils se réveilleront, ils reprendront leur envol et ils iront rejoindre leur sœur pour la sauver. Tu te souviens de l'histoire ?

L'enfant écoute attentivement. Son visage ne trahit pas ce qu'il pense. Il continue de regarder les cygnes, son père ne bouge pas. Le temps s'est arrêté ; il y a juste les couleurs du matin, la glace. Et les cygnes.
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- Quel âge avait Klaus quand vous l'avez vu pour la dernière fois ?

Je suis assis face à Detlef (Douglas Sirck). Nous sommes installés dans un café. Dehors, une fine pluie de printemps. Nous partageons un thé aux épices. Ma deuxième semaine à Lugano vient de commencer et, pour la première fois, je viens de prononcer le nom de Klaus. Je crois que ma voix a tremblé. Mes mains sont crispées autour de ma tasse. Les yeux de Detlef sont peut-être délavés par la cécité naissante mais ils voient bien que je suis tendu et très ému aussi. Articuler le prénom de l'enfant, à voix haute, devant le père : pas tout à fait un défi, plutôt une nécessité. Je ne sais pas pourquoi j'ai posé cette question, elle m'est venue d'un seul coup, sans réfléchir. Je savais juste qu'il fallait que j'invoque Klaus : je ne pouvais plus repousser encore le moment.

- Klaus répète Detlef en hochant lentement la tête. Ainsi donc, vous savez.
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Et puis partir, c'est laisser Klaus derrière, entre les mains de sa mère qui essaye d'en faire un parfait petit enfant nazi. Detlef n'a pas vu son fils depuis trop longtemps : le manque se transforme en douleur, il sait qu'il est en train de le perdre. La culpabilité de ne pas s'être battu davantage pour lui le saisit. Un élancement de désespoir écrase sa cage thoracique.
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Video de Denis Rossano (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Denis Rossano
"Cet enfant m'a bouleversé. En écrivant "Un père sans enfant", j'ai essayé de le sauver." Denis Rossano nous raconte la genèse de son roman vrai, digne des plus grands mélodrames hollywoodiens.
Prix Révélation 2019 de la Société des Gens de Lettres.
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