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EAN : 9782370734402
384 pages
Allary Editions (25/08/2022)
3.92/5   12 notes
Résumé :
Dans le Berlin des années 1920, le talent de Joachim Gottschalk s’impose comme une évidence sur les planches des théâtres. Il l’acteur le plus prometteur d’une nouvelle génération pleine d’espoirs.Mais alors que Joachim brille et vole de succès en succès, jusqu’aux plateaux de cinéma, l’Allemagne, elle, s’enfonce dans le fascisme. Marié à Meta, une Juive dont il est éperdument amoureux, et tout entier dédié à son art qui est sa raison de vivre, Joachim se voit chaqu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique

Rentrée littéraire septembre 2022 – Allary Editions

Tous mes remerciements aux Editions Allary et à Babelio pour ce livre captivant, reçu en masse critique.

Berlin, vingt-huit octobre deux mille, Aloïs Kirchner, 90 ans, reçoit Ilsa Selpin, une jeune journaliste qui prépare un article sur le grand acteur, Joachim Gottschalk, qui a été son meilleur ami depuis la fin des années 20 jusqu'au 6 novembre 1941.

Le 6 novembre 2000, une plaque commémorative doit être apposée au 2, Seebergsteig à Berlin qui fut le domicile de Joachim Gottschalk, Meta, son épouse et Michael, leur fils.
Aloïs a rencontré Joachim en mai 1926 au cours de théâtre de l'un des plus prestigieux professeurs de l'époque, Ferdinand Gregori. C'est là, en train de répéter, qu'il a entendu Joachim réciter Sophocle, cette phrase prémonitoire :
« L'homme que la cité a mis à sa tête, il faut lui obéir. Jusque dans les plus petits détails, que ce soit juste ou ….pas ».

Aloïs a seize ans, Joachim vingt-deux ans. Tous les deux rêvent de théâtre mais ce jour-là, c'est comme une évidence pour Aloïs, Joachim possède le talent, le magnétisme d'un très grand acteur, il ne déclame pas, il vit son personnage ! de cette première rencontre, une amitié indéfectible verra le jour. Au fil des années, des épreuves, des succès, des persécutions, par-delà la mort, rien ne pourra interrompre ce lien qui unit Aloïs et Joachim.

C'est en septembre 1928 que Joachim présente Meta Wolf à Aloïs. Elle est actrice et fait partie de la même troupe que Joachim. Très amoureux l'un de l'autre, ils se marient en 1930. Meta est juive allemande totalement assimilée et non pratiquante, c'est bien là son seul défaut au regard du NSDAP mais un défaut qui deviendra une véritable épée de Damoclès pour le couple. Ce péril va s'accentuer au fur et à mesure que les évènements en Allemagne s'aggravent. Les échauffourées ne cessent d'éclater un peu partout entre les communistes et le NSDAP. Hitler fait son premier discours autorisé à Berlin en novembre dans le stade du Sportpalast plein à craquer. Une nouvelle ligne est franchie et d'étape en étape, l'étau de la dictature se resserre sur le peuple allemand. Goebbels se voit nommé ministre, à la tête de la Reichskulturkammer, et Hans Hinkel est chargé de l'aryanisation de la culture cinématographique : un malade intelligent de la pire espèce.

Ce livre est passionnant, sa lecture est captivante malgré une atmosphère anxiogène communicative. Sa structure narrative, d'une grande précision historique, permet de ressentir la pression accablante de l'idéologie régnante pendant ces années en Allemagne. le récit se construit année après année, évènement après évènement. L'Histoire de l'Allemagne s'entremêle avec l'histoire du couple Gottschalk et les tensions maintiennent en servitude le peuple allemand. Pénétrer ce monde de la culture, découvrir ces actrices et acteurs qui ont marqué leur temps dans des films à retentissement mondial, les révélant aussi au grand public, tout comme la présence de Max Reinhardt, grand metteur en scène de théâtre, rend ce récit palpitant.

La répression envers les homosexuels tels que Gustaf Grundgens qui deviendra le symbole des compromissions artistiques, les décès maquillés en suicide comme celui de Hans Otto, le couperet antisémite qui s'abat en 1933 sur le petit monde du théâtre, pour s'abattre ensuite sur le monde du 7ème Art, bannissant les juifs du monde du spectacle, toutes ces informations favorisent un exil important, une véritable hémorragie dans cet univers. Et pourtant, dans ce Berlin en pleine effervescence culturelle, la propagande fait son lavage de cerveau. Personne ne se soucie de la disparition ou de l'exil de tous ces comédiens ou metteurs en scène juifs ou/et opposants.

Malgré tout, Joachim continue d'espérer. Par moment la mélancolie le gagne, voit-il Meta devenir l'ombre d'elle-même ? Pense-t-il à son fils Michael ? Les menaces se font plus pressantes. Une nouvelle éventualité d'un tournage ou de répétition se fait jour, de nouveau il se sent invincible. La perspective de perdre tout ce qui fait son monde le tétanise malgré les conseils de ses amis comme Brigitte Horney qui l'incite à partir en Suisse avant que les frontières ne soient complètement fermées. Quels sont ces mécanismes qui le paralysent et lui interdisent toute prise de décision alors que pendant ce temps, la menace Hans Hinkel se fait plus présente.
Qu'est-ce qui pousse un homme à se condamner, accompagné de sa femme et de son fils, jusqu'au bout de l'inéluctable le 6 novembre 1941. La fatalité ? Un désir de mort ? Un état mental dévastateur ? Il faut se projeter dans cette Allemagne gangrénée par la « Bête » pour tenter de comprendre dans quelle déliquescence psychologique se trouvait ce peuple.

L'auteur Denis Rossano, est un auteur français d'origine allemande. Il réside à Los Angeles où il a été longtemps correspondant cinéma pour la presse française. Denis Rossano possède une culture cinématographique solide, ce qui transparaît dans ce récit particulièrement bien documenté. Il s'était déjà attaché à écrire un livre sur l'un des plus grands réalisateurs hollywoodiens, Douglas Sirk, de son vrai nom Hans Dietlef Sierck, que l'on retrouve dans le livre sur Joachim Gottschalk. Il parle très bien de la ville de Berlin, on se promène avec lui dans cette ville qui devait être très attirante avant qu'elle ne soit détruite. Nous pénétrons dans le milieu artistique qui n'était pas particulièrement favorable à la politique d'Hitler mais qui, petit à petit, deviendra asservit, chacun jouant sa propre partition selon ses intérêts pendant que d'autres tentent de résister. Ce livre m'a renvoyée à un autre livre très instructif et extrêmement poignant « Seul dans Berlin » de Hans Fallada.

L'auteur nous entraîne dans un récit immersif qui nous fait réaliser l'oppressante situation de l'Allemagne de ces années avec beaucoup d'habilité. J'ai dû arrêter ma lecture parfois tant la tension était maximum.

Denis Rossano parle de nous dans cette Allemagne des années 30. Il parle de vous, de moi. Il suscite une réflexion morale autour de nos comportements. Peut-on accepter l'inacceptable ? Jusqu'où pouvons-nous repousser nos limites du supportable devant tant de cruautés ? Comment expliquer nos comportements, cette manière de fermer les yeux pour préserver notre petit confort personnel ? Comment expliquer le déni d'une réalité pourtant vécue au quotidien ?

Je rapporte ici une pensée d'Aloïs : Qu'elle est cette léthargie qui nous enchaine à ce pays ? le poids de nos compromissions, un attachement morbide à la terre de notre enfance ?

Durant tout le temps qu'aura duré le nazisme, on enregistre environ mille six cents suicides chez les juifs berlinois.

En 1947, la DEFA, le premier studio de cinéma allemand financé par les l'URSS, produira un film romancé sur Joachim et Meta : Mariage dans l'ombre. Ce sera le plus gros succès cinématographique germanique de l'après-guerre.
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"Quand le rideau un jour tombera, je veux qu'il tombe derrière moi."

Vie et mort de Joachim Gottschalk c'est le parcours d'un homme qui partira au sommet de sa carrière parce qu'on ne lui laisse pas le choix. Joachim est comédien. de ceux qui ont ça dans le sang. Un talent pur. Mais Joachim aime Méta. Il l'épouse. Bientôt, Michael voit le jour. Quel est le problème ? Méta est juive, son fils aussi et l'Allemagne nazie.
Par touches insidieuses, son quotidien change. Méta ne peut plus monter sur scène, il ne peut plus paraître avec elle en société, sa place au théâtre est incertaine, il lui faut des passeports pour tel rôle ou un autre. Tout devient compromission. Il devrait partir. Tout le monde dit qu'il devrait partir. Il reste. Parce qu'il ne veut pas voir l'effondrement. Parce qu'il ne peut pas croire à tout ça. Il reste et il joue. Jusqu'au bout. Sous les applaudissements d'un peuple et de rois ayant besoin de divertissements.

Dans ce livre, c'est Alois qui nous raconte l'histoire de Joachim. Un narrateur interviewé bien des années plus tard. C'est un procédé que Denis Rossano avait déjà utilisé dans son précédent roman. C'est efficace, ça permet de poser les personnages. Pour autant, Alois manque de corps. Trop souvent le spectateur posé là pour être nos yeux et nos oreilles. Et je n'ai pas retrouvé l'émotion d'Un père sans enfant.

A l'inverse, je trouve que la partie historique est plus présente et j'ai aimé decouvrir le Berlin des années 30, la montée fulgurante du fascisme et l'inertie de ce milieu culturel qui ne voit rien venir. Ne veut rien voir venir malgré les départs précipités pour l'étranger et les suicides organisés. Et puis, évidemment, j'ai aimé ce monde du théâtre. La scène qui compte plus que tout parce qu'elle est le feu qui fait tenir.

Et puis, je dois mentionner les chapitres de 1941 en fil rouge. La beauté de ces chapitres tellement cinématographiques. Un film noir. Une nuit à Berlin et Joachim qui marche dans la rue sous une pluie battante. A eux seuls, ces moments de l'histoire disent tout de cette vie. On y lit Schiller et les mots de ceux qui se savent condamnés. On y lit toute la tragédie. le dernier acte.
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Ce récit à la 1° personne est la narration, mois par mois, année par année , de l'ascension irrépressible dans le contexte de l'Allemagne nazie d'un acteur allemand qui a réellement existé, Joachim Gottschalk. Ascension irrépressible si ce n'est que cet acteur charismatique, qui défend avec ferveur et sincérité les grands auteurs allemands, Schiller en tête, a le tort, aux yeux des dignitaires nazis, d'être marié à une jeune comédienne juive, dont il ne veut pas divorcer malgré les « conseils amicaux » qui lui sont dispensés. Jooachim Gottschalk ira jusqu'au bout de ses engagements et restera fidèles à son amour jusque dans la mort.
Cette fin est mentionnée et donc connue depuis le début du récit, celui-ci étant construit sur un long retour en arrière. Cela donne à ce récit une dimension tragique , le récit se déroulant selon une implacable fatalité. On ne peut qu'éprouver «  terreur et pitié » devant ce destin si représentatif de son époque.
D'autre part, cette biographie romancée est extrèmement documentée, et nous entraîne de façon très crédible dans les coulisses des théâtres de Leipzig, de Francfort, de Berlin ; elle nous entraîne également dans les studios de Babelsberg, fer de lance de la propagande nazie, sous l'égide de Goering, et qui paradoxalement, vont pouvoir constituer un refuge pour certaines «  brebis galeuses ». Car, c'est un des grands intérêts de ce récit, de montrer que l'art de la compromission était monnaie courante, que face à l'adversité, l'humain est capable de beaucoup de « souplesse » et de petits arrangements. L'idéalisme de Joachim Gottschalk n'en paraît que plus extraordinaire. Il est appréciable que sa mémoire ait ainsi été honorée par ce récit de bonne facture. ( Merci à Babélio et aux éditions Allary de m'avoir permis de lire ce livre).
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Denis Rossano est un journaliste spécialisé dans le cinéma et qui s'intéresse, semble-t-il, particulièrement au cinéma allemand sous le régime nazi. C'est en tout cas le thème commun de ce nouveau roman et de son précédent, Un père sans enfant. Dans ces romans, il s'intéresse à deux personnalités du théâtre et du cinéma allemand, deux artistes populaires, mais qui avaient le tort de ne pas se plier à la propagande imposée par les nazis et pire encore, d'être mariés à des femmes juives.

Si Detlef Sierk (plus connu sous le nom de Douglas Srik), sujet de son premier roman, a fait très tôt le choix de quitter l'Allemagne et d'immigrer aux États-Unis, Joachim Gottschalk a décidé de rester. Je ne vais rien spoiler en racontant son histoire puisqu'elle est connue. Joachim Gottschalk était un acteur, de théâtre principalement, qui a commencé à percer au cinéma à la fin des années 30. Face à sa popularité grandissante, Goebbels, ministre de la propagande, tenait absolument à le plier au régime. Il lui a donc posé un ultimatum : pour pouvoir continuer à travailler, il devait divorcer. Gottshalk a refusé. Devant ce refus, Goebbels ordonna la déportation de Meta et de Michael, le fils du couple, et l'incorporation de Joachim dans la Wehrmacht. Avant leur arrestation par la Gestapo, Joachim et Meta se sont suicidés avec leur petit garçon.

Cette histoire, Denis Rossano, nous la raconte à travers le regard d'un ami proche du couple (personnage imaginaire) interviewé par une journaliste près de 60 ans plus tard. Ce procédé permet de donner vie aux personnages, de les humaniser un peu plus, plutôt que de se contenter d'une biographie ou d'un récit un peu distancié.

J'ai été très touchée par l'histoire de la famille Gottschalk. Joachim, Meta et Michael sont des visages parmi la multitude de ceux qui comme ont été victimes de ce régime absurde, violent et cruel. Ils ont été si nombreux à ne pas vouloir fuir, à ne pas croire que les choses iraient si loin, que leur pays ne pouvait pas les rejeter, à espérer que l'orage allait passer, que la folie nazie disparaîtrait aussi vite qu'elle était arrivée et qu'alors ils pourraient reprendre leur vie. Puis vint un moment où fuir n'était plus possible... Denis Rossano nous fait parfaitement ressentir l'état de tension permanente. On a déjà tant dit, tant écrit sur cette période, mais aucun récit n'est de trop...

Denis Rossano, en s'intéressant à la vie artistique sous l'Allemagne nazie, nous offre un angle d'observation intéressant sur cette période. Entre résistance, compromission ou adhésion pleine et entière, les artistes allemands, comme leurs concitoyens, sont confrontés à un cas de conscience. D'autant plus que leur activité est utilisée, détournée, par le régime pour porter un message au peuple allemand.

Ce fut donc une lecture passionnante sur le plan historique, porteuse également de questionnements et très émouvante. Bref je recommande !
Lien : http://tantquilyauradeslivre..
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Qui se souvient de Joachim Gottschalk ? Un acteur incroyable, au talent fou, qui a brûlé les planches avant d'enflammer les écrans de cinéma de l'Allemagne des années trente.

Une ascension aussi fulgurante que le fut l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Un acteur totalement dévoué à son art et amoureux fou de Meta, actrice elle aussi, mais qui a eu la mauvaise idée d'être juive. Dans ces temps troublés la vie des deux jeunes acteurs va devenir de plus en plus difficile.

Faut-il partir ? Quitter sa patrie comme le font Billy Wilder ou Douglas Sirk ou bien essayer de devenir un acteur allemand indispensable jusqu'à devenir intouchable, même si pour cela on doit se compromettre dans des productions de propagande nazie.

Joachim et Meta un couple emporté dans la folie du monde, une guerre que tout le monde pressentait mais sans imaginer l'inimaginable.

La vie et les rêves brisés de jeunes hommes et de jeunes femmes à l'âge de tous les possibles.

Denis Rossano, dont Baz'art avait adoré, mais vraiment adoré, « Un père sans enfant » son précédent ouvrage consacré à Douglas Sirk, se replonge dans le milieu du cinéma durant le troisième Reich.

Extrêmement documenté, nous suivons pas à pas la fulgurante et tragique carrière de Joachim Gottschalk.Une descente aux enfers et un funeste destin mais une lecture absolument addictive.

En le lisant,on se souvient souvenu du film de Itsvan Szabo, oscar en 1981 "Mephisto" avec un acteur que l'on voyait beaucoup à l'époque mais qui n'a pas eu la carrière qu'il méritait, Klaus Maria Brandauer...

Un page turner historique qui donne envie de revoir « Lili Marlène » de Rainer Fassbinder, « Mephisto « de Istvan Szabo, «Cabaret» de Bob Fosse et pourquoi pas « To be or not to be » de Ernst Lubitsh pour mettre un peu de sourire dans cette dramatique filmographie.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Berlin - septembre 1938

Mais le succès se paie. Gründgens avait vu juste : le public commence à poser beaucoup de questions sur la vie privée de Joachim. Sa sensibilité inusitée, si rare chez les hommes du cinéma germanique, séduit mais elle interpelle aussi. Les gens s'interrogent. Et la presse s'en fait l'écho.

- Meta se tourmente à nouveau, m'informe Ruth (Hellberg).

Je vais rendre visite à mon amie dans l'appartement de la Seebergsteig :
- Les journalistes vont fouiller dans son passé, s'émeut Meta à voix haute. L'affaire de Francfort va ressortir. On m'a appris que la Chambre du cinéma du Reich est en alerte. Je ne sais pas si elle communique avec la Chambre du Théâtre. J'ai peur, Alois. Je redoute le pire.

Je m'efforce de la réconforter :
- Ils savent ce qu'ils font à Terra Film. Ils gèrent la situation. Ils ont besoin de lui, ils vont le protéger. Je en pense pas que la Chambre du cinéma du Reich s'agite beaucoup, ils ont d'autres chats à fouetter. Et Joachim est trop aimé dans le théâtre pour qu'il risque quoi que ce soit de ce côté.

Je ne suis pas très convaincant. Mes arguments peuvent se révéler aussi vrais que faux. Comment savoir, dans ce pays ? Nous nous accrochons tant bien que mal à l'espoir que la gloire de Joachim sera sa sauvegarde.

Page 221
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"Rumpelmayer, l'un des lieux les plus à la mode de Francfort" - 1934

Il y a du monde. Des femmes à la dernière mode, leurs cavaliers. Un petit ensemble de musiciens joue des airs populaires. Alors que nous sommes assis et que nous parlons des évènements du moment, une jeune femme, soudain, se matérialise devant notre table. Joachim la connaît. Il se lève. Une comédienne. Il nous présente et nous échangeons quelques mots. Elle est charmante, très blonde, habillée de blanc. Et puis, après une dizaine de minutes, son compagnon, qui devait s'impatienter, vient la chercher. Il porte un uniforme nazi. Et d'un seul coup tout change : l'atmosphère, l'air que nous respirons, le goût des gâteaux, le rythme de nos respirations. Regarde-t-il Meta plus longuement que nécessaire ? Sommes-nous paranoïaques ? Son amie évite adroitement les introductions et ils finissent par s'éloigner mais nous entendons clairement l'homme prononcer le nom Gottschalk. Il a donc reconnu Joachim. Articule-t-il aussi le mot "juive" ? Je sens sous la table les jambes de Meta trembler tout doucement. La main de Joachim se glisse dans la sienne.

page 121
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Printemps 1937 - Berlin studio de la UFA

Alors que nous traversons les plateaux, nous rencontrons une très belle jeune femme. Cheveux noirs, visage félin, des yeux en amande. Beaucoup de gens s'affairent autour d'elle. Elle nous salue d'un sourire, nous faisons de même. Je me tourne vers Wolfgang (Liebeneiner) :

- Lida Baarova ?
- En personne, la nouvelle star du moment.

Joachim la suit du regard.

- Ravissante. Elle est tchèque non ? La nouvelle conquête de Gustav Fröhlich, si je ne me trompe.
Fröhlich est l'un des jeunes premiers les plus populaires du pays. Il a divorcé de sa femme, Gitta Alpar, une star de l'opérette qui avait le tort, impardonnable aux yeux du régime, d'être fille de rabbin. Le couple avait émigré en Autriche, mais l'acteur ne voulait qu'une chose, redevenir une star en Alle magne, alors il a choisi de quitter son épouse et Goebbels l'a accueilli à bras ouverts.

- Fröhlich et Baarov ont fait un film ensemble, je crois dis-je "L'heure de la tentation".

Wolfgang hausse le épaules : Vous êtes en retard mes amis. Fröhlich appartient au passé. Elle est maintenant la maîtresse de Goebbels.

page 165
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Aloïs Kirchner, meilleur ami de Gottschalk, raconte leur histoire à une journaliste venue l'interviewer en 2000 :

Saxe, printemps 1934.

L'aventure théâtrale en Saxe s'achève. Nous aurons tout de même tenu encore un an. Mais tout s'effondre en ce printemps. Sierck (Douglas Sirk), de plus en plus acculé par les nazis locaux, a décidé de se consacrer au septième art. C'est d'ailleurs lui qui, après avoir annoncé la nouvelle, m'incite à rejoindre Berlin pour en faire autant : selon lui, les pressions sont moindres dans le cinéma.
Le Vieux Théâtre de Leipzig ne me congédie pas. Mais Joachim et Meta ont pris la décision de quitter la troupe et je ne veux pas continuer l'expérience sans eux. Joachim a décidé qu'il ne pouvait pas refuser l'offre qui lui a été faite en février par le théâtre de Francfort, l'un des plus importants du pays. Une place idéale, loin de Leipzig, trop provincial et où les rumeurs sur lui et son épouse enflent. Francfort, c'est la promesse de l'anonymat de la grande ville, comme une protection "Personne ne saura" espèrent les Gottschalk. C'est aussi, pour Joachim, l'assurance de très grands rôles. Il a le soutien inconditionnel d'un important directeur, Hans Meissner qui mise énormément sur sa nouvelle recrue. Meta, elle aussi, comprend. Depuis que le couperet antisémite s'est abattu sur notre petit monde du théâtre, à l'été 1933, elle n'a plus eu le droit d'apparaître sur aucune scène. Elle est peut-être devenue protestante sur le papier mais cela n'y change rien. Elle ne s'en remet pas. Joachim et moi non plus. Sa brillance, sa verve à jamais effacées ? Impensable.

page 88
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Joachim s'adressant à Aloïs :

- Grundgens (Gustaf - grand acteur de ces années) a eu une lubie : il s'est mis en tête qu'il devait devenir le prince de Zeesen. Comme il est l'ami du ministre Göring, on ne lui dit pas non. Il est allé voir Rudolph (juif) avec un assesseur en uniforme de la SA et a acheté le domaine pour une bouchée de pain, à peine cinquante-huit mille reichsmarks : moins de la moitié de sa valeur réelle.

Je reste silencieux.

- Rudolph a quitté l'Allemagne peu après précise Joachim. Il a fait ses adieux à Meta au téléphone. C'est à ce moment qu'il lui a tout raconté. Elle a été assez ébranlée , je t'avoue.

page 104
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Prix Révélation 2019 de la Société des Gens de Lettres.
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