Citations de Diane Meur (103)
Même un modèle économique aussi solidement établi, aussi triomphant que le capitalisme avancé dans sa version totalitaire passera, lui aussi, pour laisser place à autre chose…Une autre fin possible lui venait en tête. Il ne s’agit donc pas de nous « adapter » au monde de demain : il s’agit de le faire.
Ce que je voulais dès le départ:tisser de la toile, fabriquer de mes doigts un filet à envelopper le monde, avec de larges mailles pour gagner en étendue, mais aussi des mailles fines et serrées, pour que le poisson ne passe pas à travers, pour que jamais plus rien ne se perde, ne s’oublie, ne disparaisse au fil de l’eau et sans laisser de trace.
L’histoire d’une famille ne m’intéresse que si elle devient l’histoire du monde.
Les villes les plus puissantes ont été fondées sur le sang d'un mort ; les édifices les plus durables ont, quelque part dans le plein de leurs murs, des ossements.
« Vous faites comme si « rester de son temps » était une simple affaire de volonté ou d’aptitude et vous tancez notre pauvre André qui, d’après vous, n’en fait pas assez pour se tenir à la page ; ce que vous ne voyez pas, c’est que ce temps ne se définit pas tout seul. Décréter qui en fait partie et qui au contraire est à la traîne, se montre rétif, est le mauvais élève de la marche vers l’avenir , telle a toujours été la prérogative des dominants. p. 148
Vous faites comme si « rester de son temps » était une simple affaire de volonté ou d’aptitude et vous tancez notre pauvre André qui, d’après vous, n’en fait pas assez pour se tenir à la page ; ce que vous ne voyez pas, c’est que ce temps ne se définit pas tout seul. Décréter qui en fait partie et qui au contraire est à la traîne, se montre rétif, est le mauvais élève de la marche vers l’avenir, telle a toujours été la prérogative des dominants.
Mais, argumentait Stan, la consommation de masse dans une partie du monde, les prix cassés, tout ça, c'est seulement possible si, ailleurs, des gens bossent pour presque rien, avec des journées de travail comme on n'en connaît plus ici depuis le XIXe siècle, sans protection sociale, sans les libertés politiques ou syndicales qu'on a, nous. Et en plus, on veut qu'ils restent chez eux ! Pour continuer à nous ravitailler en tee-shirts à trois balles. "Pas question de bouger, mec, on aime pas ton passeport, Laisse la mobilité aux puissants et aux forts... "
« Ne le prenez pas comme ça madame,. Nous ne sommes plus derrière les comptoirs pour être plus près des clients, pour pouvoir mieux vous aider.
- Ben voyons. Vous êtes trois, au lieu d'être huit ou neuf, et c'est pour pouvoir mieux nous aider ? »
Être plus près des clients devait être un élément de langage, cette triste bonne femme n'y pouvait rien et Sylvie aurait évidemment mieux fait de ne pas réagir. Mais elle n'arrivait plus à dominer son sentiment d'injustice, ce sentiment de ne pas être reconnue pour ce qu'elle était, ni traitée comme elle le méritait. Tu ne sais pas, triste bonne femme, que je suis développeuse de projets chez Summum ? C'est moi qui te fais rêver ! C'est grâce à moi que tu te sens belle, parfois !
« Un jour, cette ville a été rayée de la carte, et nous ne saurons peut-être jamais pourquoi. » (p. 355)
Tu es multiple jusqu’à la monstruosité. Et cependant, pour qui te voit de loin, tu es une et unie, un seul grand corps de pierre dont tes habitants sont les atomes, tous distincts, mais tous toi-même, tu aimes à le penser. » (p. 29)
« Nous pensons être fidèles à Anouher en conservant ses mots, mais c’est lui être plus fidèle que de changer ses mots pour garder sa pensée. » (p. 65)
« Tu as prononcé une phrase dont le sens et l’intention se trouvent hors d’elle, et qu’il faut compléter en pensée. » (p. 39)
Voilà un de mes rares habitants mâles qui m’était devenu sympathique (car sans cela j’avais conçu, de la part virile de l’humanité, une assez piètre opinion : prédation, autoritarisme, abus de pouvoir et j’en passe) ; et il était parti sans se retourner, blessé dans son premier amour, le cœur plein de reproches qu’il ne savait pas injustes. Parti, en bref, pour ne jamais revenir. C’était donc ça, la vie des hommes ? Se lier aux autres, se prendre d’intérêt pour eux, placer en eux son espérance et être cruellement frappé par leur départ ou par leur mort ? Je regrettais de ne pas être restée à ma place, d’avoir voulu sortir du lot commun des maisons, passives, sans affects et, partant, sans douleur. (p. 334)
Wioletta me reste pour l’heure aussi opaque qu’à sa mère, et je me rends compte qu’elle m’est opaque depuis près de deux ans sans que j’y ai pris garde. Car il fut bien un temps où je la perçais à jour comme les autres, où j’entrais de plain-pied dans ses secrètes rêveries. Elle a dû employer toutes ses forces (et elle en a : les femmes de cette époque apparaissent souvent comme des sacrifiées, de faibles jouets entre les mains des mâles. C’est vrai, mais c’est aussi que leur force n’a pas le loisir de se traduire en action et se déploie toute entière vers l’intérieur, faisant d’elles des championnes de la résistance passive, voire de l’autodestruction) à se replier sur elle-même pour préserver son secret. (p. 264)
Jusqu’ici, j’avais toujours eu l’impression d’être une de ces maisons de poupée sans façade où l’oeil peut plonger innocemment jusqu’au fond de chaque pièce. Maintenant il me semble que tout s’est cloisonné. Les nombreuses portes qu’on ouvrait et refermait auparavant sans y prendre garde, chacun a eu l’occasion de s’interroger sur leur épaisseur, de les repousser soigneusement avant d’engager quelque conciliabule, voire – eh oui, on aurait tort de croire ce passe-temps réservé aux domestiques – d’y coller une oreille pour surprendre ce que murmurent deux tiers qui se croient à l’abri. Cela explique que, même moi, qui d’habitude sais tout, j’ai quelquefois suivi de fausses pistes ou omis de voir ce qui se passait sous mes yeux.
Et moi aussi, j’ai ressenti dans mes fibres cette atmosphère de menace, de mystère et aussi d’espérance. Oui, d’espérance : je suis persuadé qu’en chaque homme, si attaché qu’il soit à l’état présent des choses, sommeille un goût caché pour la secousse qui change le monde et infléchit les vies. Cette secousse encore indistincte, j’affirme que tous, ici, la désiraient sans forcément se l’avouer, comme le corps finit par désirer le coup qu’il sait inévitable, ou comme la pucelle finit par désirer la blessure qui fera d’elle une épouse ou une déchue, mais du moins autre chose. (p. 167)
qu'est-ce au fond nuire à sa moitié ? n'est-ce pas trahir une haine pour soi-même ?
La vérité, c’est que je voyais de moins en moins comment tirer de cela un roman. […] J’ai besoin de personnages qui vivent, moi, vivent leur vie de personnages, laquelle n’est pas encore écrite au départ et dont je ne sais pas tout.
comment traiter avec justice une minorité qui ne peut être rattachée à aucun territoire précis ?
le pouvoir corrompt les aspirations les plus pures, les plus naturelles de l'homme, qui sont de vivre en paix, d'être nourri par son travail, de parler et transmettre la langue qui est la sienne.
les gens heureux sont des indifférents et des placides