Deux ans après Tout ce que nous allons savoir, l’écrivain irlandais Donal Ryan revient en France avec Par une mer basse et tranquille.
Comme d’habitude, c’est chez Albin Michel et encore une fois servi par la traduction impeccable de Marie Hermet.
Au centre de l’histoire, trois personnages que pas grand chose ne semble rapprocher et qui, dans la grande tradition des récits chorals, vont pourtant converger vers un même lieu, l’Irlande.
Divisé en trois parties et terminé par un épilogue inattendu, Par une mer basse et tranquille traque de nouveaux les ombres du passé et les fêlures des uns et des autres.
De la fuite à la confession
C’est par l’histoire de Farouk que commence Par une mer basse et tranquille, l’histoire d’un médecin syrien contraint de fuir son pays devant l’avancée des terroristes afin de mettre à l’abri sa femme et sa fille. Donal Ryan raconte l’horreur islamiste et la peur qu’elle sème dans le cœur des hommes, il exprime aussi le doute enraciné dans la culture, la tentation de rejoindre les « barbus » pour garder femme et fille sous clé, dicter leur vie et en finir avec cette petite voix jalouse qui murmure une misogynie ordinaire si tentante. Farouk casse le cliché du Syrien pauvre et sans éducation qui vient parasiter le pays étranger où il échoue, ce cliché commode créé et entretenu à dessein par l’extrême-droite. Il montre que la majorité des migrants sont mus par le désespoir et la crainte, piégés dans leur propre pays par des horreurs qui prennent le pas sur le quotidien. Malheureusement, ce qui les attend ailleurs n’est pas forcément plus reluisant. Abusé et moqué par les « passeurs », Farouk devient une épave à la dérive, un témoignage vivant de l’injustice et du cauchemar qui s’est abattu sur le peuple syrien…et sur bien d’autres.
Puis le récit change complètement avec Lampy, un irlandais pur jus qui vit dans une famille ordinaire ou presque. Avec Pop, son grand-père blagueur un peu lourd et Mam, sa mère discrète mais toujours présente, le jeune homme travaille en faisant le chauffeur pour une maison de retraite. Lampy n’a pas grand chose du grand génie et sa vie amoureuse frôle le désastre entre Chloé et Eleanor. Mais Lampy est courageux, du moins c’est ce qu’il veut croire lorsqu’il résiste à ses idées noires. Ce qu’il manque surtout à Lampy, c’est une origine, un père dont il ne sait rien, un amour qui ne s’est pas noyé mais n’a jamais été. Donal Ryan change son fusil d’épaule, oubliant l’extraordinaire et le tragique de Farouk pour un drame plus intimiste encore mais un peu moins percutant sans doute. Cette seconde partie constitue le ventre mou mais nécessaire d’une histoire où les non-dits s’accumulent dans un but bien précis.
Avec le dernier récit, l’irlandais renverse la table. Sous la forme d’une longue confession à la première personne d’un lobbyiste à la morale plus que floue.
John n’a rien d’un saint et son portrait sans concession montre les épreuves qui l’ont façonné, de la mort de son frère, Edward, à sa rencontre avec une jeune fille dont il changera pour toujours l’existence. Par ce personnage, Donal Ryan renoue avec l’ambiguïté morale, avec le portrait en nuances de gris qui lui sied le plus. John fascine autant qu’il écœure, pur produit de son époque, manipulateur et profiteur, victime et bourreau.
Survivre et reconstruire
Par une mer basse et tranquille pourrait ressembler à une succession de portraits centrés sur les blessures de l’intime, les non-dits et les catastrophes, de la mort à la vie, de la vie à la mort. Seulement voilà, Donal Ryan n’en reste pas là et finit par un épilogue qui rassemble les fils narratifs pour en faire un bouquet à la fois amer et apaisé, une conclusion en forme de rédemption et de vengeance, ou quelque part entre les deux.
Tout entier construit sur des évènements qui vont détruire et remodeler la vie de ses personnages, les privant d’amour par la même occasion, le roman arrive à capter l’influence du traumatisme sur l’existence, parvenant à montrer les contradictions et les sales petits secrets de ses héros qui comprennent trop tard qu’ils n’en sont pas.
Pourtant, Par une mer basse et tranquille peut paraître inégal de prime abord, la faute à une première et une troisième partie si puissantes qu’elles occultent la tristesse sourde émanant de la vie simple de Lampy…jusqu’à cette conclusion qui ressert les liens et organise une conjonction des blessures pour tenter un tour de passe-passe narratif brillant où la mort peut finalement rassembler et offrir une seconde chance aux hommes comme aux femmes.
C’est beau, brillamment nuancé et particulièrement émouvant. Comme tout ce qu’écrit Donal Ryan en somme.
Récits brisés, vies bouleversées, personnages blessés, voilà ce que promet Par une mer basse et tranquille qui cherche la peine et la rédemption des contrées syriennes aux villes irlandaises.
Donal Ryan livre un roman à trois vitesses et un carambolage final qui laisse des traces.
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