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Citations de Drago Jancar (99)


Mihail Sevcenko était convaincu que les communistes étaient responsables de ses maux de dents terribles et répétés, de tout ce qu'il y avait de lamentable, d'abject et de malencontreux dans sa vie.
(Incident sur la pelouse)
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Ce matin est différent, je tiens dans mes mains une lettre qui m'a soudain plongé dans l'agitation. Je me méfie de ça, nous les gens qui pendant la guerre avons vécu les choses qu'on a vécues, on se méfie de ça, des souvenirs. Tous les beaux événements de cette époque traînent derrière eux quelque chose de mauvais; il vaut mieux qu'il n'y ait rien, ni bon ni mauvais, il suffit de se promener en boitillant, de lire les journaux, de préparer le repas. Et d'admirer les jeunes gens, surtout les longues files de femmes qui se passent des briques à la chaîne. Des bâtiments sortent des ruines, la vie renaît, ce qui est passé est passé, ce que les coups de feu et les bombes ont enterré est enterré. Même si à cet endroit, il y a quelques mois, il pleuvait des bombes, c'est le passé, et nous tous qui avons pris part à cette malheureuse guerre, demain nous serons des gens du passé. Moi je le suis dès à présent, c'est pourquoi je ne veux pas me rappeler.
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De temps à autre, des lettres qui donnaient du mal au postier de Poselje, car l'adresse était en cyrillique, troublaient la vie tranquille de Podgorsko. Véronika ne les ouvrait pas. Mais ses mains tremblaient quand on les lui remettait. Ensuite, elles restaient sur la petite armoire du salon jusqu'à ce que Jozi les jette. Je comprenais qu'elle ne pouvait pas ouvrir les lettres de Stevo. Quand un jour on coupe, on coupe avec tout. Mais je savais que ça n'était pas facile pour elle. Elle l'aimait toujours. Peut-être craignait-elle qu'en un instant tout lui revienne si elle ouvrait une de ces lettres, peut-être avait-elle peur de se retrouver soudain dans une gare.

Page 83 - (Toujours un quai de gare! Que d'images projetons-nous dans une gare!)
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Maintenant je suis à Palmanova. Je regarde mon visage dans le miroir recollé, une partie de mon visage. Pour mon âge, j'ai eu très tôt les tempes grises. Il me manque une dent devant, ça fait vraiment laid ce trou et mes lèvres coupées autour. C'est un vrai miracle, je n'ai été blessé qu'une fois, juste à la fin, quelque part au-dessus d'Idrija, avant qu'on se replie dans la plaine du Frioul. Avant qu'on se retrouve dans ce camp de prisonniers, nous les combattants d'hier, côte à côte, aujourd'hui seulement prisonniers, grande foule de vingt mille soldats et officiers qui hier encore guerroyaient, mais qui, aujourd'hui, battent le pavé autour des baraques et entre les tentes. Armée vaincue. Armée de débâcle. Armée sans État. Avec la photo de son jeune roi sur le mur de la baraque, du roi qui n'était nulle part quand on se battait pour son royaume et qui, maintenant que son armée est en captivité, se promène avec son chien dans un parc de Londres. Ou boit du thé. Ou écoute à la radio les nouvelles du dernier discours de cet espion russe qui porte le nom bizarre de Tito, de ce caporal autrichien, de ce moujik croate qui a emménagé dans la maison royale de Dedinje. Quand je passe devant la photo du roi, je regarde par terre. Si je le regardais dans les yeux, je devrais lui demander où il était quand, nous, ses soldats, on pataugeait dans la boue et le sang. Son grand-père , son père, tous les deux avaient accompagné leur armée quand il l'avait fallu, emmitouflés dans leur capote en plein hiver balkanique entre les canons et les chevaux. Lui, pendant toute la guerre, s'est baladé dans un parc londonien, encore maintenant il se balade. Je ne peux pas le regarder dans les yeux sans ressentir de la colère, du mépris même. Je préfère regarder par terre, nous les vingt mille hommes qui se sont retrouvés honteux et humiliés à Palmanova. Et la nuit, on regarde les étoiles. Et on ne comprend pas ce qui nous est arrivé à tous.

Pages 24/25
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Des officiers anglais se promènent dans le camp, il paraît qu’on devra passer devant une commission qui déterminera qui a collaboré avec les Allemands et qui a du sang sur les mains. Elle marche, elle marche… Quelle connerie, qui n’a pas de sang sur les mains après quatre ans de guerre?… la garde du roi Pierre. Pourquoi n’interrogent-ils pas ce caporal, ce Josip Broz, s’il s’appelle bien comme ça, ce communard qui a commencé toute l’affaire et qui a frappé dans le dos des nôtres en Serbie, dans le dos du général Draza? Hier encore ces chers Anglais considéraient Draza Mihajlovic comme le plus grand guerrier européen, Draza, « notre oncle », qui a fait l’école de guerre française, qui le premier s’est opposé aux Allemands et dont les Américains ont publié les photos en première page des journaux. Pourquoi ne demandent-ils pas à ce ridicule Tito qui s’est affublé du titre du maréchal – en réalité c’est un caporal autrichien – s’il a du sang sur les mains? Il y a quelques jours, il a parlé devant une foule nombreuse à Ljubljana. Nos estafettes qui vivent en Yougoslavie nous informent que les gens ont été contraints de se rassembler car là-bas ils sont tous contre les communistes et ils organiseront bientôt une révolte. Alors notre heure viendra, disent les nôtres. C’est pourquoi nous devons être prêts à tout moment, si la trompette sonne, il faut aller sous les drapeaux.
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La discipline était quelque chose de terriblement sérieux. Quand une action était en cours, toute objection équivalait à un sabotage, pratiquement à une désertion. Je ne pouvais rien faire. Dans son regard, il n'y avait pas seulement la peur et l'espoir, il y avait aussi quelque chose qui voulait dire, mais tu es notre Ivan, nous t'aimions bien, je voulais donner quelque chose de beau à Pepca pour votre mariage. Est-ce que tu ne vas rien faire ? Qu'aurais-je pu faire ? Janko aurait peut-être pu l'aider, il était commandant, mais ça ne lui est même pas venu à l'esprit. Et c'est avec lui qu'elle voulait rouler à moto, pas avec moi. Elle aurait conduit, et lui, à l'arrière, aurait ri bruyamment, il l'aurait prise par la taille et lui aurait dit Dieu sait quoi à l'oreille pour la faire rire. Elle l'avait laissé se montrer effronté avec elle, ça lui avait même plu. Elle m'avait demandé comment il s'appelait le soir où, en robe de soie, elle attendait ses invités. Elle faisait à peine attention à moi...
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Ce ne sont pas les choses qu'on a faites qui nous accompagnent mais celles qu'on n'a pas faites. Qu'on aurait pu faire ou au moins essayer, mais qu'on n'a pas faites.
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Le monde est sens dessus dessous. Il est cassé, comme ce miroir dans lequel je vois des morceaux de mon visage, les morceaux déchiquetés de ma vie.
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Être un soldat ne signifie pas être un homme violent. La violence est une partie du métier des armes, mais l'honneur d'officier ne permet pas de frapper un plus faible.
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Attirante, mais intouchable. C'est ainsi qu'elle est restée dans ma mémoire. Cette nuit, je la vois. Je sens sa présence même si je ne l'ai touchée qu'en lui prenant la main, je la sens comme si elle était ici, maintenant.
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Pourtant, en Lombardie, chaque fois que le calme régnait, quand les explosions assourdissantes ou les sirènes qui avertissaient de l'arrivée des bombardiers et des avions de chasse se taisaient, son image m'apparaissait. Même sa voix m'accompagnait dans les moments de silence, je l'entendais nettement. J'étais peut-être amoureux d'elle ? Oui, d'une certaine façon. J'étais seul et elle était une apparition merveilleuse dans cette époque sauvage. Quand je l'ai connue, il régnait là-bas un calme miraculeux, les oiseaux chantaient dans les arbres, les abeilles bourdonnaient sur les fleurs de sarrasin. Le pianiste, je crois qu'il s'appelait Vito, jouait Beethoven. Le peintre ronflait, complètement soûl. Je respectais son mari, c'était un homme pondéré toujours impeccablement habillé, lui aussi d'une certaine façon, je l'aimais, mais c'était sa compagnie à elle que je désirais ardemment. Au fond, elle est le seul souvenir clair, presque lumineux de l'époque de la guerre, vraiment le seul...
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Sur ma tête, il y a ces cheveux gris que je n'avais pas il y a cinq ans. Et quand je me regarde dans le miroir, je sais : ma vie a basculé de l'autre côté, du côté où sont tombés mes camarades, morts dans les marécages d'Ukraine, dans les chemins boueux de forêt, en Slovénie, là où, dans une embuscade, les balles des partisans ont fusé, fracassant les vitres des voitures et les visages...
Alors la mort frappait et détruisait avant d'aller guetter ailleurs. Cependant je ne la sentais pas comme maintenant, maintenant je sais qu'elle est en moi, dans mon corps qui claudique dans l'appartement et pendant les promenades matinales dans le parc où les oiseaux chantent très tôt le matin, où les insectes d'août bourdonnent quand je reviens, et ensuite dans la rue où les mains persévérantes des jeunes gens remplacent les briques et les poutres, murent des fenêtres et des portes, où on entend aussi des rires, des cris d'encouragement. Partout la vie renaît, mais en moi c'est la mort qui s'est installée, j'ai vu tant de gens mourir que maintenant je ne peux plus me réjouir de cet été où tout recommence, la mort, tel un rat, a fait son trou dans mon esprit et rien ne peut l'empêcher de se souvenir de la guerre, des années de service dans la Wehrmacht, de tout. Et qui me réveille au milieu de la nuit et me fait savoir qu'à chaque souffle, chaque pas claudiquant de la salle de bain au lit, j'avance vers son néant. La mort, je ne l'ai pas connue quand elle était tout près de moi dans ces lointaines contrées, maintenant je la vois partout, dans les feuilles mortes pendant ma promenade matinale, dans les yeux d'un vieux chien qui se traîne derrière son maître.
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J'ai rêvé que j'étais jeune. C'était tellement vivant, j'ai rêvé que j'étais jeune, j'avais à peine vingt ans. J'étais assise avec Peter dans une taverne, fatiguée après une journée d'excursion, des musiciens locaux jouaient et chantaient l'histoire d'une fille qui avait des cheveux noirs mais que tout le monde appelait bionda. Nous avons bu du vin. La fatigue, le vin, la chanson, tout nous submergeait. C'était magnifique, j'étais jeune.
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Je reçus sa dernière lettre au printemps 38. Il s'est à peine écoulé sept ans depuis qu'elle est partie. Pour moi, c'est comme si c'était hier. Je me souviens de l'appartement vide de Maribor, jamais je ne l'oublierai. Le mobilier était là, elle n'avait rien emporté, excepté ses vêtements et quelques bibelots, mais c'était vide car elle n'y était plus, elle n'était pas là, son rire, sa démarche silencieuse, rien, dans la salle de bains, l'eau gouttait de la douche, elle s'était douchée le matin et elle était partie. Même ces gouttes, je ne les oublierai jamais, encore maintenant je les entends, ploc, ploc, elles frappaient le bac en porcelaine, comme les secondes, comme les minutes, comme le temps qui s'écoulait dans le silence. Comme si quelque chose s'était arrêté et avait commencé à courir autrement, je m'en souviens précisément même si, pendant ces sept années, il s'en est passé plus que dans toute ma vie antérieure. Elle n'est plus là. La Yougoslavie non plus. L'armée du roi n'est plus nulle part, car il n'est pas possible d'appeler "armée royale" ces prisonniers désoeuvrés dans les baraques de Palmanova. Mais moi, je suis toujours ici, si c'est toujours bien moi.
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Tu peux aller, dit-il, je ne veux plus te voir.
Je partis. Nous ne nous revîmes qu'une seule fois. Au début de la guerre. Juste avant l'attaque d'avril sur la Yougoslavie. Plus tard, j'entendis dire qu'il avait livré son unité à un régiment blindé allemand à Dravograd. Il fut emmené en captivité où, débarrassé de son honneur d'officier, il a probablement vécu la guerre tranquillement. Moi, j'ai défendu son honneur d'officier et le mien dans la Bosnie ensanglantée et en Lika, et jusqu'aux derniers jours de la guerre, dans les montagnes de Slovénie. Dès cette époque, j'aurais pu savoir qu'il était lâche, s'il ne l'avait pas été, il n'aurait pas écouté un monsieur de Ljubljana, il m'aurait demandé ce qui s'était passé. Ca ne l'intéressait pas, ce qui s'était passé, et ce que je pensais ne l'intéressait pas, tu peux aller, avait-il dit, il n'avait même pas levé les yeux, quand je l'avais salué avant de passer la porte.
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Le souvenir est l’allié complaisant des personnes âgées
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L’amour triomphe de la distance, l’amour triomphe de tout. Sauf de la guerre. La guerre triomphe de tout, même de ceux qui se battent. Et de ceux qui attendent que ça passe.
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Si son père avait entendu qu'elle avait honte de dormir la bouche ouverte et que selon elle c'était terrible que sa salive ait coulé, il se serait fâché. Il était médecin, il avait vu beaucoup de corps nus, morts et vivants. On porte en nous tout ça, le sang, la salive, la merde, l'urine, notre corps c'est ça, disait-il. Quoi qu'il arrive au corps, maladie, blessure, il n'y a rien dont l'homme doive avoir honte, pour moi chaque malade, même dans les moments les plus laids à sa dignité. Et quand il était particulièrement de bonne humeur, disons le soir devant un verre de vin, il disait que nos corps sont les seuls lieux de nos âmes. avec nos corps et en eux, les âmes voyagent à travers le temps de notre vie, je crois en ça, disait-il, ce qu'il y a ensuite, je ne sais pas. Peut-être qu'elles nagent vraiment dans l'espace, peut-être qu'elles flottent près des fenêtres des vivants. Et nos âmes nous disent qu'on peut parfois avoir honte de nos actions, jamais de nos corps.
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Le mal est un nuage invisible qui voyage à la surface de la terre, il détecte un terrain favorable et le bon foyer pour se développer. Il s'y pose. Il grandit, les gens se mettent à se détester. La guerre est là. Plus personne n'est ce qu'il était ou ce qu'il aurait voulu être. Le mal crescendo. On fusille des innocents, on incendie les maisons, les villes sont en ruine. Puis ça s'élargit, finalement, le nuage s'est étendu sur presque toute l'Europe et dans l'immensité russe, il a même trouvé dans les lointaines îles du Pacifique des conditions propices pour y descendre et assassiner
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Mais même si c’était la guerre et si les informations toujours plus mauvaises, parfois même terrifiantes se bousculaient, les gens vivaient leur vie de tous les jours. Dès que les sirènes s’arrêtaient de hurler et les bombes de tomber, ils allaient au théâtre et au cinéma où avant chaque film on passait une revue hebdomadaire, Wochenschau, où des militaires en tanks déboulaient toujours plus superbement dans les plaines polonaises et défendaient la frontière occidentale de l’invasion des barbares, d’autres allaient aux expositions à Paris et mangeaient des croissants dans les cafés en compagnie de femmes,.....
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