Edgar Hilsenrath : Entretien avec Antoine Spire (1994 - Mémoires du siècle / France Culture). Par Antoine Spire. Réalisation : Isabelle Mezil. Diffusion sur France Culture le 1er septembre 1994. Edgar Hilsenrath, né le 2 avril 1926 à Leipzig (Saxe, Allemagne) et mort le 30 décembre 2018 à Wittlich (Rhénanie-Palatinat, Allemagne), est un écrivain allemand, connu avant tout pour ses romans "Nuit" ("Nacht", 1964), "Le Nazi et le Barbier" ("Der Nazi & der Friseur", 1977) et "Le Conte de la pensée dernière" ("Das Märchen vom letzten Gedanken", 1989).
Depuis son premier roman "Nuit", dans lequel Edgar Hilsenrath relate avec un réalisme cruel son expérience en tant que survivant du ghetto, il prend l'Holocauste comme thème central sans jamais porter une seule accusation directe ni dépeindre les criminels et les victimes en noir et blanc, le but de son uvre entière étant d'écrire contre l'oubli. En revanche, dans le reste de son uvre, il est passé à des formes d'expression plus vigoureuses, qui tiennent le lecteur à distance, comme la satire, le grotesque ou le conte.
À propos de son roman "Le Nazi et le Barbier", le magazine "Der Spiegel" écrit: « ... une satire sur les juifs et les SS. Un roman picaresque, grotesque, étrange et parfois d'une cruelle sobriété qui évoque avec humour noir une sombre époque. » L'histoire met en scène un Allemand dénommé Max Schulz qui participe allègrement à la furie meurtrière de ses compatriotes après avoir rejoint la SS puis, après la défaite, usurpe l'identité de son ami d'enfance, Itzig Filkenstein, se rend en Israël et devient un sioniste fanatique... Le livre, écrit en 1968-1969, n'est publié en Allemagne qu'après avoir été publié en 1971 avec succès aux États-Unis dans la traduction anglaise sous le titre "The Nazi and the Barber. A Tale of Vengeance". Après que le manuscrit a été refusé par plus de 60 maisons d'édition allemandes, il paraît enfin dans les derniers jours d'août 1977 chez un petit éditeur de Cologne, Helmut Braun. La première édition (10 000 exemplaires) est vite épuisée, deux autres suivirent rapidement.
Dans le roman "Le Conte de la dernière pensée", paru en 1989 et pour lequel Hilsenrath reçoit le Prix Alfred Döblin, l'auteur s'attaque au problème du souvenir et du récit historique. En décrivant le génocide arménien et en le comparant à la Shoah, il s'élève contre toute forme de violence faite à un peuple et met en garde contre l'oubli. La forme du conte, choisie par l'auteur pour s'attaquer au mensonge, signifie également que l'histoire racontée n'a plus de témoins. Dans beaucoup de livres d'Hilsenrath, émergent nettement des traits autobiographiques, qui sont cependant habituellement repris sous forme de fiction. Son ouvrage autobiographique le moins romancé est paru en 1997 sous le titre "Les Aventures de Ruben Jablonski" ("Die Abenteuer des Ruben Jablonski").
Sources : France Culture et Wikipédia
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- Les poèmes ne sont pas faits pour être publiés.
- Et pourquoi Effendi ?
- Est-ce que vous vous feriez un trou dans votre poitrine pour que les curieux puissent voir au fond de votre cœur ?
Toutes les grandes doctrines me font peur, surtout quand elles sont exploitées par l'État et la bureaucratie. Des millions ont disparu derrière des barbelés au nom d'une justice sociale révolutionnaire censée rendre les gens heureux, et des bûchers ont brûlé au nom du christianisme. Je ne fais pas confiance aux flambeaux de ceux qui font le bonheur de l'humanité. Je me tiens à distance des doctrinaires. Ceux qui assènent de pieuses paroles et prétendent aimer l'humanité tout entière, n'aiment en réalité personne. Quand on aime, on fait toujours des choix. Je ne peux pas aimer tout le monde, mais dans le cadre de mes possibilités, je peux faire en sorte qu'il ne soit fait de tort à personne.
... Quand on écrit quelque chose pour se débarrasser l'âme, on en est définitivement libéré. L'écriture est une libération pour moi.
Celui qui dans ce pays désire une fille qui ne tapine pas et n'est pas une call-girl ou quelque chose dans le genre (...), pour celui-là, l'amour dépend avant tout de l'aura de réussite qu'il est tenu, en tant qu'homme, de dégager. Si toi, Jakob Bronsky, tu devais rencontrer une telle fille, elle se posera les questions suivantes: Qui est Jakob Bronsky? Pourquoi écrit-il dans une langue qui n'est pas "in" et qui n'est parlée que de quelques greenhorns? Où ces gribouillages le mèneront-ils ? A rien, probablement. Que sait-il, Jakob Bronsky, de l'american way of life? Sait-il, Jakob Bronsky, que seule la réussite compte, et rien d'autre? Est-ce un mec qui écrase l'autre sans le moindre scrupule tout en croyant au bon Dieu? Sait-il que notre monde est un monde paradisiaque? Croit-il, Jakob Bronsky, à l'infaillibilité de notre système? Connaît-il les idéaux de nos ancêtres, ceux arrivés avec le premier navire, le Mayflower, et que pense-t- il de la culture Coca-Cola? Croit-il, Jakob Bronsky, au rêve américain? Va-t-il un jour posséder une voiture flambant neuve, des costumes de prix, une maison ou un appartement à lui dans les quartiers en vogue de l'Eastside? Ses revenus dépasseront-ils les cent cinquante dollars par semaine de sorte qu'on puisse dire: celui-là, il vaut cent cinquante dollars, minimum! Claquera-t-il, ne serait-ce qu'une fois, cent balles en une soirée par pure exubérance, juste pour me montrer qu'il en a les moyens? M'invitera-t-il à Las Vegas? Croit-il, Jakob Bronsky, à l'intérêt de devenir membre d'un Country Club et que fait-il pour y parvenir? Va-t-il falloir que je subisse sa bite? Est-ce que ça vaut le coup? Car, au bout du compte, je voudrais me marier un jour, puisque c'est ce qu'on attend de moi. Car, au bout du compte, je voudrais aussi divorcer un jour pour encaisser ma pension alimentaire. Sera-t-il, Jakob Bronsky, un jour en mesure de payer une pension alimentaire, Jakob Bronsky, ce vieux clodo qui prétend avoir vingt-sept ans? Non, Jakob Bronsky. Tes gribouillages ne m'intéressent pas. Ta trique encore moins. Douche ta bite à l'eau froide!
Même chez nous,le bonheur existe.Le bonheur de celui qui grelotte et trouve une couverture.Le bonheur de celui qui a faim et trouve un peu de pain.Et le bonheur de celui qui est seul et trouve un peu d'amour.
Des œufs au lard, dit-elle. Tu es juif, tu ne devrais pas manger de lard.
- Je ne 'occupe pas trop de religion, dit Lesche. J'appartiens au peuple juif par la destinée commune, le passé commun holocauste.
- Tu ne peux pas te libérer de l'holocauste, dit-elle.
- Je n'en serai jamais libéré, dit Lesche.
Je suis le conteur dans ta tête. Appelle-moi Meddah. Et maintenant tiens-toi tranquille Thovma Khatisian. Absolument tranquille. Car tu n'en as plus pour longtemps. Bientôt ce sera fini. Et alors...quand tes lumières commenceront à s'éteindre...Je te dirai un conte.
(Incipit)
Je dis : « Vous pourriez manger un petit quelque chose. Peut-être un sandwich jambon-gruyère ? »
« Je ne mange pas de jambon », dit Monsieur Selig.
« Vous êtes pratiquant ? »
« Non. Pas du tout. Mais je ne mange plus de jambon depuis que les nazis m'en ont fourré de force dans la bouche. »
« Quand ça ? »
« 1940. À Varsovie. En Pologne sous l'Occupation. »
« Avant vous mangiez du jambon ? »
« Bien sûr. Nous n'étions pas pratiquants. »
À cette époque-là, je n'étais encore qu'un petit poisson. Je m'étais vendu au diable. Avec mes bottes et mon uniforme, je m'étais accroché à la roue de l'Histoire, mais je ne pesais pas lourd. Qu'est-ce qu'un petit poisson ? Qu'est-ce qu'un uniforme ? Et qu'est-ce qu'une paire de bottes ? Mais les millions de petits poissons, avec ou sans uniforme, avec ou sans bottes, tous ces petits poissons qui à l'époque ont dit OUI et qui comme moi se sont accrochés à la roue de la fortune... Ce sont eux qui l'ont mise en mouvement.
-Les anciens nazis sont presque tous morts, dit Lesche, ils ont crevé depuis, au moins les responsables. Ceux qui sont encore en vie étaient trop jeunes à l'époque pour prendre part aux crimes, et il y a la génération suivante. Qui voulez-vous donc haïr ?
- Je ne hais personne. Je rage contre une époque inhumaine.