Citations de Emmanuel Carrère (1635)
"[...] la rêverie, c'est l'exact contraire de la méditation. Petit bruit de fond mental dont le plupart des gens n'ont même pas conscience alors que c'est la pire des pertes de temps et d'énergie."
" [...] à tout moment votre pire ennemi peut devenir votre allié, parce qu'il est l'ennemi de votre autre ennemi."
"L'abrogation du réel passe par celle de la mémoire."
Il avait, depuis vingt ans, fait de son organisme un shaker à cocktails chimiques et on lui présentait l'addition
Je vois des gens de télévision, de cinéma. Je leur montre notre reportage, je leur explique que je voudrais retourner dans un bled appelé Kotelnitch et y passer un mois pour filmer ce qui arrive, s'il arrive quelque chose, ce qui n'est pas garanti. On me dit qu'il faudrait affiner mon approche, trouver un angle. En fait, qu'il faudrait faire un synopsis, c'est-à-dire résumer ce qu'il y aura dans le film. Je réponds que je ne sais pas ce qu'il y aura dedans, que je ne veux pas le savoir, que si je veux faire le film c'est pour l'apprendre. Mes interlocuteurs soupirent : c'est un projet pointu.
Paris , le 21 novembre 1996
Cher Jean-Claude Romand ,
Il y a maintenant trois mois que j'ai commencé à écrire . Mon problème n'est
pas , comme je le pensais au début , l'information . Il est de trouver ma
place face à votre histoire .
Une des choses qu’il avait aimées chez Juliette, c’est qu’elle n’était pas la femme avec qui il aurait dû être normalement. Elle l’avait bousculé, sorti de son sillon. Elle était la différence, l’inattendu, le miracle, ce qui n’arrive qu’une fois dans une vie et encore, si on a beaucoup de chance. C’est pour ça que je ne vais pas me plaindre, conclut Patrice : j’ai eu cette chance.
Ecumant de colère, il déplore que le système se soit ramolli au point que l'on n'envisage plus la solution de bon sens : une balle dans la nuque, point. Ils ne se gênent pas au Chili, et d'accord, sous Staline, on a peut-être un peu exagéré mais maintenant c'est dans l'autre sens qu'on exagère.
Et comme tout ce qu'il a rêvé de faire enfant, il le fera.
[ Incipit ]
Le matin du samedi 9 janvier 1993, pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants, j'assistais avec les miens à une réunion pédagogique à l'école de Gabriel, notre fils aîné.Il avait cinq ans, l'âge d'Antoine Romand. Nous sommes allés ensuite chez mes parents et Romand chez les siens, qu'il a tués après le repas.
Pour le moment il était là, il tenait dans dans ses bras sa gemme en train de mourir et, quel que soit le temps qu'elle mettrait, on pouvait être sûr qu'il la tiendrait jusqu'au bout, que Juliette dans ses bras mourrait en sécurité. Rien ne me paraissait plus précieux que cette sécurité-là, cette certitude de pouvoir se reposer jusqu'au dernier instant dans les bras de quelqu'un qui vous aime entièrement.
A un certain, moment, c'est ne penser qu'à soit qui est le plus humain. Se soucier de l'humanité en général quand son enfant est mort, je n'y crois pas, mais je ne crois pas que Philippe et Jérôme se soucient de l'humanité en général, je crois qu'ils se soucient de survivre à la mort de Juliette.
Ils descendent tous les deux au sous-sol, ils prennent place tous les deux devant l'ordinateur qu'il met en marche. La musique commence, les images défilent. Patrice regarde sa femme. Diane regarde sa mère. Patrice regarde Diane la regarder. Elle pleure, il pleure aussi, il y a de la douceur à pleurer ainsi tous les deux, le père et sa toute petite fille, mais il ne peut pas et ne pourra jamais plus lui dire ce que les pères voudraient dire à leurs enfants : ce n'est pas grave. Et moi qui suis loin d'eux, moi qui pour le moment et en sachant combien c'est fragile suis heureux, j'aimerais panser ce qui peut être pansé, tellement peu, et c'est pour cela que ce livre est pour Diane et ses soeurs.
Rappelons que les trois terroristes qui se sont fait sauter là-bas ont heureusement été assez cons pour le faire, non pas à l'intérieur du Stade où ç'aurait été un massacre, mais, comme ils sont arrivés trop tard pour entrer, dehors où ils n'ont tué qu'une seule personne : pas grand chose au regard de la tragédie générale [...].
On nous parlera de compassion. Je réserve la mienne aux victimes.
Comprendre, c'est déjà excuser.
Freud a une seconde définition de la santé psychique, aussi éclatante que la première : c’est qu’on n’offre plus de prise au malheur névrotique, seulement au malheur ordinaire. Le malheur névrotique, c’est celui qu’on se fabrique soi-même, sous une forme affreusement répétitive, le malheur ordinaire celui que vous réserve la vie sous des formes aussi diverses qu’imprévisibles.
L’effroi, c’est la disparition du rideau derrière lequel se cache le néant, qui permet normalement de vivre tranquille. Le terrorisme, c'est la tranquillité impossible. Votre verdict ne permettra pas de réparer le rideau déchiré. Il ne guérira pas les blessures, visibles et invisibles. Il ne ramènera pas les morts à la vie. Mais il pourra au moins assurer aux vivants que c'est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot.
Georges Salines n'est pas d'accord. Lui aussi veut laisser les portes ouvertes. Il n'est pas seulement prêt à dialoguer avec le père d'un des trois assassins de sa fille, je crois qu'il serait prêt à dialoguer avec le garçon lui-même, s'il n'était pas mort. Et si Salah Abdeslam lui ouvre sa porte, il ira. Jankélévitch, qu'il cite en conclusion de sa déposition : « L'amour du méchant n'est pas l'amour de sa méchanceté, ce serait une perversité diabolique. C'est seulement l'amour de l'homme lui-même, de l'homme le plus difficile à aimer. »
Les filles qu'on croise sur les G.R. sont plutôt moches, d'habitude: deux beautés comme elles, c'est un rêve pour le randonneur.