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Citations de Emmanuelle Bayamack-Tam (292)


Sans partager intégralement les phobies de sa fille et de son gendre, elle était tout de même d'accord avec eux pour reconnaître que nous étions une espèce en voie d'extinction. Nous avions peur et nos peurs étaient aussi multiples et insidieuses que les menaces elles-mêmes. Nous avions peur des nouvelles technologies, du réchauffement climatique, de l'électrosmog, des parabènes, des sulfates, du contrôle numérique, de la salade en sachet, de la concentration de mercure dans les océans, du gluten, des sels d'aluminium, de la pollution des nappes phréatiques, du glyphosate, de la déforestation, des produits laitiers, de la grippe aviaire, du diesel, des pesticides, du sucre raffiné, des perturbateurs endocriniens, des arbovirus, des compteurs Linky, et j'en passe. Quant à moi, sans bien comprendre encore qui voulait nous faire la peau, je savais que son nom était légion et que nous étions contaminés. J'endossais des hantises qui n'étaient pas les miennes mais qui frayaient sans peine avec mes propres terreurs enfantines. Sans Arcady, nous serions morts à plus ou moins brève échéance, parce que l'angoisse excédait notre capacité à l'éprouver. Il nous a offert une miraculeuse alternative à la maladie, à la folie, au suicide. Il nous a mis à l'abri. Il nous a dit : « N'ayez pas peur. »

Pages 24-25, P.O.L, 2018.
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Un léger soupir soulève notre petite assemblée, à peine une onde, une risée sur les principes végétariens qui nous ont été inculqués. Les grands sont bien gentils d'avoir choisi pour nous, mais ils ont complètement sous-estimé l'attrait qu'un pilon de volaille fricassée pouvait exercer sur de jeunes estomacs. Nous nous séparons sur l'engagement solennel de veiller au grain. Inspection de l'arsenal, quadrillage du royaume, rondes diurnes, tours de garde nocturnes, les esprits s'échauffent et nous aimons ça : rien de tel qu'un ennemi commun pour réveiller l'esprit clanique — et peut-être aussi, soyons justes, rien de tel pour redevenir des enfants tant que c'est encore possible, en cette fin d'été qui voit quatre d'entre nous battre pavillon vers les rives, sans charme ni mystère, de l'âge adulte.

Page 260, P.O.L, 2018.
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Omnia vincit amor, tu parles, c'est exactement l'inverse... L'amour est faible, facilement terrassé, aussi prompt à s'éteindre qu'à naître. La haine, en revanche, prospère d'un rien et ne meurt jamais. Elle est comme les blattes ou les méduses : coupez-lui la lumière, elle s'en fout; privez-la d'oxygène, elle siphonnera celui des autres ; tronçonnez-la, et cent autres haines naîtront d'un seul de ses morceaux.

Pages 316-317, P.O.L, 2018.
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il faudra juste qu'on m'explique un jour pourquoi les gens se torturent avec leur apparence physique au lieu d'aimer celle dont la nature les a dotés.
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— Qu'on lui coupe la tête !
Personne n'a prononcé cette sentence, mais elle est dans l'air, elle y flotte, depuis qu'Arcady a décrété qu'il n'y avait pas de place chez nous pour des gens qui ne sont pas nous. Qu'on leur coupe la tête, à tous ces voyageurs sans bagage : ça leur apprendra à débarquer chez les gens les mains vides. Qu'on leur coupe la tête, vite fait bien fait : ça leur évitera des mois d'errance et de tortures supplémentaires. Qu'on leur coupe la tête, parce que finalement, elle fait tache dans le paysage, elle dépasse, elle dépare au pays des merveilles. A Liberty House, on a le droit d'être vieux, laid, malade, drogué, asocial, ou improductif, mais apparemment pas jeune, pauvre et noir.

Pages 321-322, P.O.L, 2018.
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Jusqu'ici je n'avais pas compris que l'amour et la tolérance ne s'adressaient qu'aux bipolaires et électrosensibles blancs : je pensais que nous aviong le cœUr assez grand pour aimer tout le monde Mais non. Les migrants peuvent bien traverser le Sinaï et s'y faire torturer, être mis en esclavage se noyer en Méditerranée, mourir de froid dans un réacteur, se faire faucher par un train, happer par les flots tumultueux de la Roya : les sociétaires de Liberty House ne bougeront pas le petit doigt pour les secourir. Ils réservent leur sollicitude aux lapins, aux vaches, aux poulets, aux visons. Meat is murder, mais soixante-dix Syriens peuvent bien s'entasser dans un camion frigorifique et y trouver la mort, je ne sais pas quel crime et quelle carcasse les scandaliseront le plus. Ou plutôt, non, je le sais, je connais trop bien leur mécanique émotionnelle, leur attendrissement facile concernant nos amies les bêtes, et leur cruauté pragmatique quand il s'agit de nos frères migrants. Ils ne mangent plus de viande et ils ont peur de la jungle, mais ils tolèrent que sa loi s'exerce jusque dans leurs petits cœurs sensibles.

Page 314, P.O.L, 2018.
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Pour réussir, les gens comme moi doivent se vouer entièrement à leur entreprise, un seul objectif à la fois. En plus, je suis douée pour ça ; la focalisation, la précision, la persévérance, les travaux de longue haleine. Or, les prescriptions non écrites de Liberty House, nos tables de la loi gravées dans l'air et sur le sable, enjoignent exactement l'inverse : papillonner, ne pas s'attacher, ne pas attacher, fuir la constance, l'exclusivité, la relation fusionnelle. Mais justement, ça me fait envie, moi, la fusion. Tant qu'à disparaître, autant que ce soit pour la bonne cause, absorbée par un corps étranger, fondue à lui comme une neige au feu — crépitante, exaltée, heureuse.

Page 289, P.O.L, 2018.
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La vie en communauté, l'amour collectif, c'est bien joli, mais j'aimerais un peu d'exclusivité. Or à Liberty House, l'amour est diffus et indifférencié : chacun en a sa part et tous l'ont tout entier — ce qui me convient mieux en théorie qu'en pratique. Depuis mon arrivée ici, je partage tout avec tous : les douches, les repas, les corvées ménagères, les soirées au coin du feu, ou les salutations au soleil. Même mes parents ont cessé de m'appartenir, et je les surprends parfois à poser sur moi un regard perplexe, comme s'ils avaient complètement oublié mon existence, absorbés qu'ils sont par la leur. Quant à leur autorité parentale, ils l'ont complètement déléguée à Arcady, comme ils se sont déchargés du reste, de toutes leurs responsabilités et préoccupations d'adultes. Quand je leur tombe dessus au détour d'un couloir ou dans les allées du potager, ils répondent à mes caresses de chiot haletant d'assez bonne grâce, mais toujours avec une pointe d'étonnement, comme s'ils se demandaient ce qui leur vaut une telle démonstration de tendresse.
On comprendra donc que j'aie envie d'inspirer à quelqu'un des sentiments plus passionnés et une prédilection plus marquée que l'affection sans ferveur que me dispensent les membres de ma confrérie, parents et tuteur compris. J'essaierais volontiers les sites de rencontre, mais le CDI de mon collège en bloque l'accès, comme s'il était complètement exclu qu'un adolescent veuille chercher l'amour. Non, si Arcady persiste à ne pas vouloir de moi, ma seule chance de tomber sur un partenaire à la hauteur de mes aspirations, c'est de continuer à arpenter les rues de la ville, ces rues qui clignotent sous la pluie comme pour me dire de ne pas désespérer : patience, l'amour viendra.

Pages 96-97, P.O.L, 2018
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Je retiens à grand-peine le bourdonnement de liesse qui me monte aux lèvres et m'allonge sur l'herbe dans une pose que j'espère engageante et lascive. Mais avec Arcady, inutile de poser, inutile de chercher à être sexy : il n'a besoin d'aucune incitation pour désirer sans fin. Appuyé sur un coude, il me contemple comme Si j'étais la huitième merveille du monde et entonne une antienne de célébration telle que je n'en ai jamais entendu ni n'en entendrai probablement jamais plus — et je souhaite à chacun d'y avoir droit un jour, parce que tout le monde devrait être désiré comme je l'ai été ce jour-là entre les ombelles de fenouil et les fétuques blondes :
— Tu es trop belle, Farah ! C'est marrant, l'année dernière je te trouvais mignonne, mais un peu fadasse, et là, tu me rends fou! Tu le sais, ça, que tu me rends fou ? Je te regardais tout à l'heure, quand on était à table, et je me disais, putain, mais quand est-ce que je vais pouvoir me la mettre sur le bout? Je n'en pouvais plus !

Pages 174-175, P.O.L, 2018.
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Nous habitons Liberty House depuis quelques semaines. Mes parents commencent tout juste à redresser la tête. Ma grand-mère est là, mais elle hésite encore entre son bel appartement parisien et la vie en communauté parmi les inadaptés sociaux. Quant à moi, il ne m'a pas fallu longtemps pour adhérer à tout, tout adopter en vrac, manger végétarien, me balader à poil, saluer le soleil, vivre au milieu des grands vieillards, des éclopés et des syndromes en tout genre.

Page 143, P.O.L, 2018.
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Car j'ai un peu le sentiment d'avoir été le dindon de la farce, ce qui, à notre table végétarienne, est tout de même un comble.
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Je connais trop bien les ruses rhétoriques de mon mentor, sa capacité à attendrir les cœurs, à ouvrir les esprits, à tirer le meilleur de nous-mêmes. J'attends la suite, l'obligation qui va nous être faite d'ôter nos œillères et de faire bon accueil à tous les migrants, à commencer par Angossom le magnifique. Or, la suite tarde à venir : Arcady patauge, trouve des excuses à tout le monde, aux demandeurs d'asile comme à ceux qui le leur refusent, et au bout d'un quart d'heure de
ratiocinations et circonvolutions acrobatiques, finit par trancher en faveur du protectionnisme et de la vigilance citoyenne :
— Bon, nous allons cadenasser ce qui doit l'être : les chambres inoccupées, le cellier, le grenier. De votre côté, ouvrez l'œil. Et si vous tombez sur des intrus, demandez-leur gentiment et fermement de quitter les lieux. Au besoin, menacez-les d'appeler les gendarmes.

Pages 307-308, P.O.L, 2018
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Cela dit, je ne connais aucun adulte qui s'imagine faire son âge : tous sont convaincus qu'on leur donne dix ans de moins.
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L'amour est faible, facilement terrassé, aussi prompt à s'éteindre qu'à naître. La haine, en revanche, prospère d'un rien et ne meurt jamais.
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C'est drôle, la vitesse à laquelle la plupart des gens se spécialisent : à vingt ans, c'est plié, non seulement ils aiment les hommes à l'exclusion des femmes, ou l'inverse, mais encore ils vont préférer les bruns aux blonds, les sportifs aux intellos, les Noirs aux Arabes, etc.
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C'est bien joli de se faire lutiner, mais je n'aurai pas toujours la chance de tomber sur des amoureux omnivores et pas regardants : si je veux une suite à ce bel été, je dois déterminer si je suis une fille ou un garçon au lieu de rester dans l'indétermination à laquelle mon corps incline irrésistiblement.
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Heureux les riches, car non seulement ils sont riches mais ils ont le droit de profiter du royaume enchanté avant tout le monde. Malheureux les autres, les exilés, les réfugiés, les démunis ! Je pense à eux, bien sûr, mais à quoi bon penser quand ce qu'il faudrait c'est ouvrir grand les portes, abattre les grillages, lever le siège, partager les récoltes, céder la citadelle.
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Je ne sais toujours pas qui je suis, mais la liste de mes envies est infinie - et celle de mes détestations ne l’est pas moins. Hors de question que je vive comme tout le monde et que je consacre l’essentiel de mon temps à me remplir de nourritures industrielles, d’images ineptes et de musiques dépourvues d’âme. On se résigne toujours trop vite à être une poubelle.
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Sans compter qu'être une fille vous conduit tout droit à être une proie, sauf à décrypter et à anticiper le comportement de votre prédateur naturel. Et encore, je suis plutôt grande et visiblement arabe, bien qu'on me prenne parfois pour une métisse ou une latino. Ce que je veux dire par là, c'est qu'être petite, mince et blanche vous désigne comme un gibier facile en cas de chasse à courre — c'est à dire tout le temps, vu qu'il n'y a pas de saison, pas de trêve hivernale. Je suis un gibier moins facile, mais j'ai quand même dû défendre ma peau plus d'une fois. J'ai beau être racisée et physiquement impressionnante, je reste une fille. Et je tiens à préciser aussi qu'être jolie n'entre absolument pas en ligne de compte : les moches se font autant emmerder que les belles. La seule chose qui finit par décourager les chasseurs, c'est l'âge : quand la bête grisonne et prend des fanons, eux perdent la piste et ne la retrouvent jamais.
(p. 323)
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L’arrivée de l’été m’ayant provisoirement délivrée de toute obligation scolaire, je n’ai rien d’autre à faire que d’être moi à temps plein.
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