Il fallait laisser à l’art sa liberté : la critique peut servir à celui qui est critiqué, pour prolonger sa vie, tandis que la répression fait des princes des ennemis du peuple et les contraint à se montrer de plus en plus cruels, au point de les rendre odieux, si bien que n’importe quel faux tribun pourrait en profiter pour pousser les masses à l’insurrection.
Ainsi procède l’histoire humaine, par d’insensibles glissements sémantiques.
Les quatre pôles du savoir humain : le Beau était l’art en général, la poésie en particulier ; le Vrai la philosophie, y compris les sciences physiques qui étaient une de ses branches ; le Juste représentait le droit canonique et le droit civil ; le Bien la théologie. À chaque mur son registre.
Les mots, on le sait, sont immortels. La peinture s’abîme plus vite.
Et puis le jour de sa mort avait été le dernier de l’histoire de l’art.
Dans une chanson À la mort du divin Raphaël, destinée à Léon X, le poète Francesco Maria Molza pleura la disparition de l’artiste comme la fin d’une ère :
… Notre siècle vient de perdre
sa plus belle lumière, son plus précieux
ornement, et le noble et doux abri
grâce auquel – ô dure mort félonne –,
l’Italie espérait devenir plus belle que jamais.
Ici on ne parle de rien d’autre
que de la mort de cet homme de bien,
qui à la fin de sa trente-troisième année a fini sa première vie,
la seconde, qui est celle de la renommée […] sera éternelle.
PANDOLFO PICO DELLA MIRANDOLA, Lettre à Isabelle d’Este
Au sujet de la mort de Raphaël
Ils voulaient apprendre des anciens la sensualité de l’esprit, la spiritualité des sens.
Ils avaient l’impression que c’était ce secret qui avait fait leur grandeur : l’humilité avec laquelle ils avaient appris des Grecs vaincus l’art de la grâce, la formule magique de la beauté, qui est le divin lorsqu’il se manifeste dans la matière à travers la proportion des corps et la mesure harmonieuse des paysages ou des perspectives.
Pourquoi la lune ne tombe t elle pas?
Car, de même qu'une journée bien utilisée te donne habituellement un joyeux dormir, on peut espérer qu'une vie bien utilisée te donnera un joyeux mourir.
Et pourtant, il lui sembla, s'il devait en sortir vivant, que c'était une expérience riche de sens caché, comme il arrive parfois, dans la vie, qu'on avance à tâtons, qu'on s'arme dans l'obscurité du chemin d'un destin provisoire; et on se souhaite, en avançant à l'aveugle, de sortir tôt ou tard à la lumière, de retrouver son chemin. Ainsi est la forêt du monde.