Citations de François d` Epenoux (138)
« Nous avons peut-être fait un peu trop de bruit…
–Comment ça va ?
–Je veux dire, on a ri, on a bu, j’espère que ça n’a pas choqué les maisons voisines.
–C’est la vie, maman. Papa nous manque, il y a un vide, on le comble, on fait du bruit pour dix alors que nous sommes neuf, on compense, on se rapproche, on se réchauffe d’autant plus.
–Mais on n’est pas discrets !
–Tant mieux.
–Que veux-tu, on s’aime.
–Ben oui, ça doit être ça. »
Un père n’est plus, un enfant qui naît. Ce hasard des trajectoires, ces connexions improbables, ces proches plus proches qu’ils ne le croient. Les clins d’œil du destin m’étonneront toujours. En sortant de l’hôpital, je lève les yeux très haut en me demandant à quel endroit du ciel Papa et cet enfant ont bien pu se croiser.
Pour l’heure, la mort de papa n’a atteint que notre cerveau, notre esprit et, peut-être, un morceau de notre cœur. Alors profitons-en. Car un jour surgira, du fond de notre âme comme du fond d’un terrier noir, un reptile venimeux : le manque.
Les gens ont de ces expressions. Ils prétendent que mon père a « trouvé » la mort. Comme s’il l’avait égarée. Comme s’il venait enfin de retrouver une paire de lunettes–impossible de mettre la main dessus. Ah bon, papa a trouvé la mort ? Génial ! Où était-elle, finalement ? Sous son lit, dans un sac de voyage, dans sa boîte à gants ? Ah là là mais quel distrait.
Cinquante-quatre ans, exactement.Cinquante-quatre ans pour en arriver là.Dans une chambre d'étudiant, la vie d'étudiant en moins.
Pourvu qu'il ne s'en aperçoive pas, elle ne veut pas se trahir,pas maintenant.Il poursuit, toujours sur le même registre de la compréhension tendre:
_Tu sais, Chlo,c'est ta décision...je la respecte
Aussi, avant que plus rien ne lui fasse ni chaud ni froid, avant que les années ne lui glissent entre les mains et ne fripent ses doigts, il sent intuitivement qu'il doit agir, et vite.Oui, mais quoi faire? N'importe quoi, mais quelque chose.
...Et pour le restant de ses jours, décida d'une façon générale que la discrétion et le silence valaient mieux que le bruit inutile et les coups dans les murs...
... comme toutes ses femmes qu'il n'approcherait jamais, qu'il ne séduirait pas, dont il n'attraperait rien sinon un regard, un sourire, un parfum, une jambe repliée à l'avant d'une voiture, le claquement des talons sur les dalles, un souvenir avant même une présence....
La vie c'est pareil, on ne peut pas compter dessus. Pour moi, la seule chose qui existe, c'est la seconde qui suit celle que l'on vient de vivre...De seconde en seconde, on traverse le cours de la rivière. Le but c'est de ne pas trop se mouiller. Et de ne pas tomber.......Et puis un beau jour, sans s'en apercevoir, on a franchi la rivière. C'est déjà l'autre rive. On n'a rien vu, rien vécu, mais on y est arrivé. On est content. Le problème, c'est qu'on est mort...
On crève incultes, ignares, en n'ayant vu du monde que le milliardième. C'est comme un palais dont on ne visite que les chiottes...
il a tenu à mourir seul. Dans un désert dépourvu de photos et de souvenirs. L'idée de vous voir à son chevet au moment du dernier souffle, l'idée d'avoir à vous dire adieu lui était tout bonnement insupportable...
Les femmes, ils les aimait, les convoitait, les respectait. Tu sais, il me le disais souvent : tant qu'à ne pouvoir les séduire toutes, autant n'en aimer qu'une. Sans regret. Passionnément. Et cette femme, c'était toi.
il savait que le rire est la première ouverture qu'une femme concède, avant celle du baiser, du cœur et de l'amour... de l'étreinte. Et qu'il y a dans le rire féminin un premier abandon, une parenthèse dans les postures et les stratagèmes de la séduction, bref une capitulation délicieuse qui laisse au prétendant un avant goût de conquête...
L’argent, c’est tout, figure-toi. Tout ! L’argent, c’est la culture. Que je sache, on a plus de chances d’être cultivé en revenant de Venise que de la salle polyvalente d’une cité HLM. L’argent, c’est la beauté. En plein mois de janvier, tu seras sûrement plus jolie en cachemire de retour des Seychelles que toute blanche dans un survêt pourri. L’argent, c’est la santé. Si tu te prends un platane, vaut mieux que ta tête rebondisse dans l’airbag de ta BM que dans le pare-brise d’une estafette.
Conclusion, l’argent c’est la vie !
Elle entreprit de réchauffer à dîner pour celui qui, maintenant, ne devait plus tarder. Elle se brûle. C’est toujours dans ces moments-là que l’on se brûle. Les objets profitent de notre vulnérabilité pour frapper en traître. Comme les humains, ils sont capables d’une incroyable méchanceté.
–Je te dérange ?
–Tout va bien. Je m’occupais de mes pivoines. Je leur soignais les ailes.
–Les ailes ?
–Et oui. La pivoine, c’est la seule fleur qui aurait pu être un oiseau. Qui aurait dû. «Pivoines », tu ne trouves pas que ça fait nom d’oiseau ? On aurait pu dire : tiens, regarde, un vol de pivoines…
–Jamais remarqué.
–Et puis, quand tu observes une pivoine de près, tu sais, on dirait ces plumes contrariées qu’il y a sur le cou des cygnes, ou le jabot mouillé d’un flamand rose dans le vent. Un bouquet de pivoines, c’est une volée d’oiseaux qui se blottissent les uns contre les autres, qui tremblent de ne pouvoir voler.
(...)
–Et puis, surtout, j’en ai marre des roses. C’est snob les roses. C’est tout droit, tout raide, trop bien peigné. Les roses, ça a un côté petite-bourgeoise endimanchée qui m’agace. Un côté collet monté qui ne veut pas se salir. Un peu trop net pour être vrai. Alors que la pivoine… La pivoine, c’est une fleur décoiffée, une fleur ébouriffée. Tu as déjà vu une pivoine blanche ? On dirait une mariée au petit matin, qui a dansé et bu toute la nuit et dont la robe s’est froissée à force de tournoyer. Un froissement de froufrou et la belle se volatilise…
Je me sens rare, pur, étincelant parce que joyau humain parmi d’autres joyaux, je me sens libre et tendre, indulgent pour moi-même et pour ceux qui m’entourent et, tiens, assez confiant que mon fils sera un jour dans ce monde comme un glaçon dans l’eau, pas un poisson, non, un glaçon, parce qu’un poisson, ça peut toujours mourir déboussolé sous l'océan, ça peut toujours être pêché, énucléé, coupé en morceaux, congelé et décongelé et passé à la poêle, tandis qu’un glaçon, mais un glaçon, c’est merveilleux, un glaçon ça ne peut que tinter, puis fondre, puis se fondre dans de l'or liquide au creux d’une paume avant de réchauffer le cœur d’un valeureux parmi tant d’autres–oui, c’est si bon d’être un glaçon, un doux glaçon dans l’eau et oui, tu seras un glaçon, mon fils.
Tout le monde se démerde avec ses rêves et le réel, comme tu dis, les envies de partir à l’autre bout du monde, le métro, les emmerdes, les petits chefs, le loyer, le blé qu’il faut gagner. Sauf à être rentier, c’est le lot des gens normaux.
Fallait-il que les gars de la marine ne fussent pas regardants sur la marchandise, pas exigeants sur la chair fraîche ; fallait-il qu'au cours de leurs traversées ils en eussent rêvé, de chouettes pépées du port, pour accepter de monter avec ce rogaton, ce minuscule quignon de femme chantant des airs allemands façon Marlène Dietrich, ange noir aux ailes atrophiées qui, mon Dieu, ne possédait – et n'avait jamais dû posséder–ni les jambes, ni la voix, ni les yeux, ni à vrai dire le moindre point commun avec son illustre modèle sinon celui, paradoxal et abusif, de pouvoir malgré tout être désigné sous le terme de femme…
Femme ! [...] Femme, Germaine Schüller ?
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