Dans ce roman, Françoise Lefèvre évoque les premières années de son fils autiste. Des années de combat contre l’autisme, où chaque progrès est une victoire gagnée au prix de grands efforts. Élever un enfant autiste est incompréhensible pour qui n’a pas vécu cette situation. Le terme de cannibale du titre prend tout son sens : « Je me souviens de tout et de rien. Si je devais n’employer qu’un seul mot pour parler de cette époque, je dirai « transfusion ». J’ai la nausée et le vertige quand je me rappelle certaines étapes, ces heures chaotiques où j’ai cru perdre ma vie à t’insuffler toute mon énergie. J’ai cru perdre la tête à lutter contre ta force d’opposition, tes refus, tes colères et surtout tes cris. Tes cris me transperçaient le cerveau. Je t’aurais tué parfois de me faire si mal, d’aspirer avec tes hurlements toute ma poésie. Mes pensées. Ma bonne volonté. Tout mon amour. Mon increvable amour pour toi. Tu prenais tout et ne donnais rien. Tu mettais toute ton énergie à ne rien donner. »
Elle évoque aussi les jugements des autres devant ce handicap si mal compris « Tu m’éreintes, Sylvestre, tu m’éreintes. Mais les autres me fatiguent encore davantage. Le chœur des autres. Ceux qui savent tout et n’écoutent rien. »
C’est un roman d’amour, un roman de bataille. Le roman de l’amour d’une mère pour son fils, le roman d’une bataille pour faire sortir l’enfant de son isolement et petit à petit l’amener au monde. C’est cela finalement, une deuxième naissance lorsque l’enfant sort de son mutisme et commence à communiquer. Jean est mort, l’enfant s’appelle désormais Sylvestre, un nouveau prénom puisqu’il a une nouvelle vie.
L’auteure porte en elle un roman qu’elle peine à écrire. Le personnage de Blanche la hante et le destin de celle-ci semble évoquer le destin de cette mère et de son fils. J’ai vraiment apprécié la façon dont l’auteur parle de son métier d’écrivain « Il y a tant de retrait, d’enfermement dans l’acte d’écrire que c’est étrange d’imaginer toutes ces pages ayant leur propre vie. Infusant à d’autres êtres une force bénéfique, alors que pour les écrire on s’est privé de tout. » Elle parle d’enfermement et de retrait pour le métier d’écrivain, finalement l’écrivain serait-il aussi enfermé que le sont les autistes ? L’acte d’écrire leur permettant de faire communiquer leur monde intérieur avec le monde extérieur.
Les mots de l’auteur se déversent tantôt avec douceur, tantôt avec fureur. Au départ j’ai eu un peu de mal avec ce déferlement de mot, je me suis sentie happée, submergée. Et finalement, je me suis laissé porter et emporter par la vague des mots. Que de force dans ce texte ! De nombreux passages m’ont marquée et bouleversée, les mots de Françoise Lefevre sont d’une grande beauté.
Certains ont reproché à l’auteur de ne pas avoir évoqué (ou à peine, en remerciement) le rôle des professionnels et du père auprès de l’enfant. Mais ce roman n’est pas l’histoire d’une thérapie. C’est l’histoire d’une mère et de son fils.
C’est une histoire forte et profonde, une très belle histoire d’amour.
Devenu adulte, Sylvestre (ou plutôt Hugo) a également écrit un livre racontant son histoire L’empereur c’est moi. Il a également participé à un documentaire dans lequel il parle de son autisme : Hugo parle de Sylvestre de Sacha Wolf.
Lien :
http://tantquilyauradeslivre..