Vous aimez les romans policiers mais vous êtes frustré de ne jamais trouver le coupable ?
Alors ce roman est pour vous !
Trop bon, trop con dit l'expression. Eh bien c'est exactement dans cette catégorie qu'il faut ranger Wilfried Gamelle, le policier le plus crédule ( pour ne pas dire autre chose ) qu'il m'ait été donné de rencontrer.
"Gamelle était un flic tellement prévisible, tellement honnête, tellement dépourvu de vices, qu'il mordait à tous les hameçons."
L'expression "tendre le baton pour se faire battre" semble presque avoir été inventée pour lui.
Il n'est cependant pas le seul.
Pour cette occasion de circonstance, il est temps pour moi de vous avouer qu'il m'ait arrivé par le passé de faire confiance à la mauvaise personne.
A l'aube de mes vingt ans, je faisais un tout dans le centre-ville d'Arras entre deux cours de la faculté de lettres modernes quand un grand gaillard m'a alpagué.
- Dis, t'aurais pas une clope ?
Je lui en ai offert une, et dans un chaleureux esprit de camaraderie naissante, il m'a proposé de boire quelques bières avec lui.
C'était un ancien skinhead très musclé et très tatoué. Il était encore très perturbé par une histoire d'arabes qui avaient coupé les testicules de son frère. Il venait d'arriver en ville et cherchait de nouveaux amis.
Moi pas spécialement mais je suis quelqu'un de poli et cet échange relevait d'une certaine curiosité.
C'est encore devenu plus étrange quand il m'a raconté l'histoire de ses tatouages ( il y avait un dragon ) et quand il m'a proposé de constater par moi-même à quel point ses biceps étaient gonflés.
Après nous avons fait un jeu. Je devais faire semblant d'avoir une arme et lui parvenait à me maîtriser grâce aux arts martiaux qu'il avait pratiqués.
C'est ainsi qu'il me fit une clé de bras alors que je le mettais en joue avec une arme à feu imaginaire.
Ensuite ça a été au tour du couteau. Dans la liesse générale, comme j'avais un cran d'arrêt dans une poche ( plus pour me donner un genre qu'autre chose ), je l'ai sorti d'un air faussement menaçant et hop, nouvelle clé de bras qui lui a permis de récupérer mon bien.
Après quoi il n'a plus du tout été mon ami. Il est même devenu un tantinet agressif.
Ne me demandez pas comment mais je me suis retrouvé sous la porte cochère d'une église, avec mon propre couteau sous la gorge. Les rares témoins de la scène ont fait comme si de rien n'était.
Et moi je n'en menais pas large face à cet étranger devenu fou de rage et très antipathique. Surtout quand il a commencé à tracer de légers sillons sur ma gorge avec la lame que je lui avais involontairement remise, faisant couler le sang.
Pas à grands flots bouillonnants mais je ne me sentais pas brillant de m'être mis dans un tel pétrin.
J'ai fini par m'en sortir en me tournant progressivement vers la rue piétonne et en me délestant d'un billet de cinquante francs, qui a suffi à le calmer un peu.
Encore choqué, j'ai repris le chemin de la faculté sous la pluie. Je suis arrivé en retard avec le cou encore dégoulinant de mes plaies heureusement superficielles.
Et oui, on peut le dire : J'ai fait preuve d'une naïveté confinant à la connerie.
J'aurais pu incarner le capitaine Wilfried Gamelle.
Bien au-delà des stéréotypes, on est carrément dans le burlesque, la mascarade. Mais toujours raconté avec le plus grand sérieux, la marque de fabrique de l'auteur ardennais qui raconte d'énormes conneries avec un ton impeccable et logique, comme si tout était normal, ce fameux humour pince sans rire qui fait qu'on ne sait plus toujours si c'est du lard ou du cochon.
Et quand on pense que Gamelle est probablement le meilleur élément du commissariat, dirigé par un illuminé qui résout ( ou pas ) ses enquêtes en s'appuyant sur l'astrologie, et qu'il a pour binôme un cul-de-jatte qui rentabilise ses heures de travail en dessinant des traits sur des pages blanches, alors on peut se dire que les malfaiteurs sont bien à l'abri, en particulier le meurtrier qui décime la ville ( une quarantaine de victimes à son actif ) et qui a encore de beaux jours devant lui.
Dans aucun autre polar je n'ai lu des investigations de ce genre pour mener à bien une enquête.
Pour parfaire cette galerie de personnages ubuesques, il faut ajouter l'ex-femme de Gamelle : la belle, l'attachante, l'alcoolique Justine. Une femme qu'il n'a jamais méritée. Il se console en pensant qu'il n'était qu'un
simple ver de terre amoureux d'une étoile et qu'il aura au moins eu la chance de passer une partie de sa vie à ses côtés.
Le nouveau mari de celle-ci, un homme très fortuné au noble patronyme de Jeffrey Durandal-Beethove, fera également partie de l'aventure.
Il me faut également évoquer cet aveugle qui aurait voulu être policier, Fernand Ladouce, très riche lui aussi comme en témoignent ses lunettes de la collection Gnagna ( "ce sont des lunettes qui en mettent plein la vue aux gens qui voient clair." ), ses repas quotidiens chez l'Ami Popol, ses meubles luxueux ou son champagne hors de prix.
"Courir sur la piste des grands criminels doit être un bonheur incomparable."
"Ah, si je n'avais pas été aveugle, quelle belle carrière de fin limier aurais-je pu faire ?
Ou encore ce sculpteur qui sur commande pourra reproduire une statuette fidèle à votre fier phallus ou à votre délicat vagin, des éléments indispensables pour décorer votre intérieur.
Un flic bien trop honnête est un roman qui m'a d'abord enthousiasmé. Tellement décalé que j'étais toujours dans l'attente de la nouvelle invention inédite et abracadabrantesque de
Franz Bartelt. Se douter du coupable des meurtres dès les premiers chapitres n'a rien de dérangeant, je pense même que c'est tout à fait volontaire de la part de l'auteur. Certaines scènes n'auraient pas fonctionné sinon. Et ça n'empêchera pas quelques révélations beaucoup plus inattendues ou quelques surprises un peu plus tard.
J'ai donc souri régulièrement pendant la première partie du livre même je trouvais parfois que Bartelt en faisait un peu trop pour qu'on puisse vraiment entrer dans son délire.
Et puis ça s'est gâté ensuite en seconde moitié avec la mise en place d'une seconde trame, où on retrouve Wilfried Gamelle mais cette fois dans le cadre de sa vie privée. Et si cette partie confirme à quel point notre inspecteur est d'une gentillesse confinant à la naïveté la plus débile qui soit, il faudra trop longtemps avant de comprendre où voulait en venir l'écrivain et le plaisir a laissé place à l'ennui.
Egalement, l'Ardennais a toujours eu une plume d'une rare élégance qui, alliée à son imagination, donne des romans ou des essais uniques en leur genre. Quel que soit le genre auquel il s'adonne, on lit du Bartelt et non un policier ou un livre dit de littérature générale. C'est un auteur qui a un vocabulaire et une façon de manier les mots extraordinaires et qui peut décrire les scènes les plus crues d'une façon raffinée. Alors ça n'est pas que mes petits yeux sont chastes, mais c'est bien la première fois que je le vois écrire bite et chatte dans une de ses oeuvres. Avec n'importe qui d'autre ça serait passé comme une lettre à la poste mais de sa part ça m'a réellement surpris ... et déçu.
Il y a donc du pour et du contre dans cette parodie de roman policier, et je n'arrive pas vraiment à trancher dans un sens ou dans l'autre.
Tout ce que je peux dire, c'est que
Franz Bartelt a à mon avis déjà été bien plus inspiré sans pour autant mettre son humour au placard, une ironie plus mordante avec souvent cet air de ne pas y toucher. Pour le découvrir,
La fée Benninkova ou L'
hôtel du grand-cerf me paraissent de bien meilleurs choix.