Gabi Martinez vous présente son ouvrage "
Les défenses" aux éditions Bourgois.
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les-defenses
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La folie me concède la froide sincérité du visionnaire monstrueux qui se contente de transmettre crûment. La coquille de la sagesse défaite, aucune diplomatie n'incite à feindre. L'avenir devrait se concevoir à partir de cette absence de bruit et de désir d'étalage. Dans le fond de mon déclin, je ne veux que des essences.
- Va-t-en, lui dis-je.
Jamais nous n'avions examiné l'eau ni la jungle avec une telle méticulosité que maintenant. Jamais nous ne fumes autant attentifs à la moindre variation dans l'air avec une telle intensité. Nous parlions du vent avec déférence, on priait pour lui, pour qu'il souffle, impétueux, écrasant On essayait d'interpréter les sons les plus lointains comme s'ils étaient le prélude à un changement qui probablement ne voudrait rien dire. Cette tension devint partie de la routine.
Au bout du compte, le désir d'apercevoir des animaux, et à plus forte raison des animaux en liberté, est un trait commun à tous les habitants des villes. La science le fait remonter à une mémoire génétique qui s'obstinerait à nous rappeler qu'il fut un temps où notre espèce partageait ces mêmes conditions de vie. C'est pourquoi, semble-t-il, la contemplation de bêtes sauvages éveille en nous un sentiment mêlé de nostalgie et d'envie, en plus d'une peur atavique pour ces formes d'existence qui, aussi belles soient-elles, échappent à notre emprise car elles appartiennent à un univers devenu trop énigmatique.
La richesse de ce pays est immense, nous sommes e grenier de l'Afrique, un endroit clé dans le monde. Personne ne peut continuer de se permettre de perdre une source comme la notre et pour cela je suis convaincu que cette fois la paix sera durable.
Cela faisait quatre ans que je caressais l'idée de poursuivre des animaux invisibles. [...] Les trouver ne constituait pas l'objectif principal, puisqu'ils étaient invisibles, mais en suivre la trace devait me permettre de pénétrer non seulement les territoires qu'ils avaient habités, mais aussi la réalité et l'imaginaire des sociétés dont ils avaient nourri les songes.
La vue des canards me fit penser à une phrase de Peter Scott : "Tout le monde doit se battre pour une cause, ne serait-ce que celles de ces putains de canards." C'était précisément mon cas. Les putains de canards. Le dodo. Le yéti. Les moas. Des causes qui me faisaient voyager et découvrir, par exemple, que ce peuple polynésien était composé de mangeurs de porc enthousiastes ; que la cigarette, la boisson énergétique et la prise d'anabolisants constituaient une singulière trinité maorie ; ou encore qu'il flottait souvent à Rotorua, une odeur fétide.
(...)
Les geysers rejetaient de soudains jets d'eau chaude formant un voile fugace de particules qui se mêlaient à la vapeur de soufre qu'exhalaient des roches plus proches, enveloppées dans une odeur putride en provenance du sous-sol.
La légende veut que le tigre blanc se révèle le jour où le pouvoir sera entre les mains des justes ou lorsque la paix régnera dans le monde. Quelques mois après notre incursion coréenne, la présidente de la République - la fille du dictateur militaire resté dix-huit ans à la tête du pays - démissionna, accusée de favoriser les intérêts d'une confidente chamane qui la manipulait. Quant à la paix dans le monde... On pouvait raisonnablement admettre que les Coréens devraient encore attendre pour apercevoir le tigre blanc.
"Le clonage, je n'y crois pas, me dit le conservateur. Non seulement l'ADN dont nous disposons n'est pas de qualité suffisante, mais de plus, si jamais nous clonions un moa, qu'en ferions-nous ? Il renaîtrait dans un environnement en tout point différent, il ne serait pas dans son monde. Non, non. La priorité n'est pas de ressusciter des animaux éteints, mais de sauver ceux qui sont encore en vie, mais menacés."
De retour à Westport, je me rendis à la pêcherie, cherchant à rencontrer le plus de monde possible. Les travailleurs déjeunaient le nez dans leurs téléphones et leurs casse-croûte lorsque je demandai à un ancien à l'allure de chef d'équipe s'il connaissait des histoires de moas.
"Cette terre est une terre fantomatique, parsemée d'esprits, dit-il. Et le moa en fait partie.
- Et pourtant, on ne cultive pas trop son souvenir.
- Aux yeux de certains, il passe pour un imbécile. Mais vous voulez que je vous dise, je m'en remets à l'imbécile notoire..."
Puis, reprenant, après une pause pleine de théâtralité :
"Car au moins, il offre quelque chose de différent. Les êtres raisonnables me foutent le cafard. Regardez-les."
Les jeunes gens empaquetés dans des blouses maculées de sang et d'autres fluides continuaient de pianoter sur leurs téléphones.
"Il paraît qu'ils sont normaux, dit-il. Je vous en laisse seul juge."
Nous quittâmes les lieux aux premières heures du jour, toujours dans la nuit noire. Ces festivités m'avaient permis de mieux cerner la place qu'occupait la danta dans l'imaginaire des croyants : lorsque je demandai au grand maître spirite ce que représentait la danta, l'homme hésita, ne sachant trop que dire, et comme il se trouvait à cet instant entouré de journalistes venus pour la cérémonie, il s'empêtra dans une litanie de lieux communs pour finir par parler de la "divine" Maria Lionza. Le chef spirituel, comme la plupart des gens, ignorait presque tout de l'animal que chevauchait leur reine.
J'espérais que la danta interpréterait ma présence à la fête comme une authentique preuve d'affection et qu'elle saurait apprécier ma volonté de lui redonner sa place en se montrant, par exemple, lors de l'expédition que nous prévoyions pour le lendemain à la montagne du Tigre.