Gaspard Koenig

Ce qui fait notre humanité, ce n'est pas la température. C'est le sol. Imaginez un été où les céréales refusent de pousser. Où les graines restent toutes ratatinées dans le bon cœur qu'on appelle encore un champ. Juste un été. Les vaches, moutons, poulets, toute notre viande sur pied sera la première sacrifiée. Menu végétarien pour tout le monde. Grognement du peuple. On videra les silos pour faire du pain. Quand les réserves seront épuisées, émeutes. Resteront encore quelques légumes sous serre : on s'entretuera pour un poireau. Imaginez l'hiver suivant, quand les nappes phréatiques cesseront de se remplir, l'eau de pluie ne s'écoulant plus à travers une terre devenue minérale. On ouvre le robinet: plus rien. On va voir le voisin : rien non plus, c'est bizarre. On attend une journée. Pas deux. Les villes se dépeupleront en quelques heures dans un chaos indescriptible. Il n'y aura plus personne pour entretenir les réseaux de téléphones, d'Internet et d'électricité. La planète plongera dans le noir. Les maîtres du monde, ceux qui possèdent un potager et un puits, repousserons les hordes chapardeuses de cadres, d'ingénieurs et d'ouvriers chassés des villes.

Henry David Thoreau qui refusait de payer ses impôts à un Etat fédéral esclavagiste, Arthur ne voulait pas contribuer à la vaste machine de surveillance des citoyens et de destruction des sols. Les fonctionnaires étaient à ses yeux des collabos de l'agro-industrie, de mêèhe avec la FNSEA. Il n'allait certainement pas payer leur salaire. Seule Maria tentait encore de raisonner Arthur. Elle défendait la sociale -démocratie. Pleurnichait sur les services publics, la solidarité, la participation citoyenne, toute la soupe conceptuelle classique des universitaires de la gauche réformiste.Arthur ne supportait plus ces discussions. Il ne reconnaissait ni la République, paravent des intérêts de la classe dirigeante, ni les prétendus services publics, simples appâts pour contrôler la population.

Pour autant Bookchin ne rejetait pas la technologie et ne prônait ni le retour universel à la terre ni le harakiri de l'espèce humaine. Il considérait que l'humanité devait s'organiser de manière conforme à ses dispositions naturelles, c'est à dire l'association, le consensus et l'entraide. De même que la nature tendait intrinsèquement à la liberté, l'émancipation individuelle ne pouvait venir que d'une relation apaisante à l'environnement. S'intégrer à son écosystème, c'était aussi construire la forme optimale de sociabilité. loin de les étouffer, les communautés favoriseraient ainsi l'émergence des personnalités singulières. Cet anarchisme pastoraliste correspondait bien à la philosophie d'Arthur.

On oublie parfois, dans les débats sur l'immigration, que l'intégration n'est pas une affaire de papiers, mais de générations.

Page 395

-Pourtant, il y a toujours des gens dans le village ?
-Ce ne sont pas les gens qui sont partis. C'est la vie qui s'est enfuie.

Page 165

Les territoires appartiennent à ceux qui y vivent ; ils en reçoivent leur nom et leur lèguent une culture.

Page 83

"Je sais bien ce que je fuis, mais pas ce que je cherche"
Montaigne

Page 18

Comme Rimbaud qui écrit à sa famille en 1881 : " Je vais acheter un cheval et m'en aller." Où ? Peu importe. L'essentiel, c'est d'aller , de s'en aller.

Page 18

Assis au fond de son fauteuil, Mathieu était retombé dans sa torpeur habituelle. Paisible, massif, immuable.Avec cette faculté innée de ne penser à rien qui exigerait pour Arthur et ses semblables plusieurs années de stage de méditation.

« N’est ce pas la vertu des voyages : nouer une forme de fraternité, même brève et fragmentaire, avec des gens à qui tout m’opposerait politiquement et culturellement ? »

Ceux qui habitent en ville et qui travaillent dans des bureaux en verre. Et puis ceux qui passent à la télé pour nous expliquer ce qu'on devrait penser. Tous ceux-là se baladent à l'air libre en faisant des phrases. Ils croient que sans eux, le monde s'arrêterait de tourner. Mais la vérité, c'est que sans nous, ils n'auraient rien à bouffer.

L'humanité s'était ruée pour comprendre l'infiniment grand des cieux mais restait balbutiante devant l'infiniment petit des sols.

Il était, dans sa simplicité même, dans son ouverture au moment présent, dans sa totale acceptation des désirs qui le traversaient, au-dessus de l'humanité commune.

La nature en sursis les invitait à philosopher. Ils ne refaisaient pas le monde, comme les générations précédentes. Ils le regardaient se défaire et tentaient de se trouver un rôle dans l'effondrement à venir.

En cas de contrôle fiscal, de problème de droit du travail ou quoi que ce soit d'autre, n'hésitez surtout pas. Nous ferons le nécessaire. L'administration peut être terriblement bornés dans notre pays.

Comme si le décor, les huissiers, l'attente, tout avait été pensé pour plonger irrésistiblement les êtres dans l'état qu'on exigeait d'eux: l'allegeance.

Présenter un visage à haîr, n'était-ce la dernière trace d'humanité dans un processus juridique formalisé à l'extrême.

En arrivant en début de soirée sur le parvis de la gare Montparnasse, au pied de la tour hideuse, il ralluma son portable. La pauvre bête, peu habituée à dormir aussi longtemps, mit du temps à reprendre ses esprits. Puis elle commença à piailler sans plus pouvoir s’arrêter. Elle semblait parfois se calmer mais, dès que Kevin pensait la tenir bien en main, les notifications reprenaient leur course folle, l’une chassant l’autre.

Combien de fers ne me suis-pas ôté à moi-même durant ce voyage ?
Les fers des bien matériels.
Les fers des barrières sociales.
Les fers de l'ambition.

Je me suis teint de Montaigne. Je peux à présent suivre mon propre chemin.